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2 Logiques modales et analyse linguistique

2.1 Présentation des logiques modales .1 Lewis et l’implication .1 Lewis et l’implication

2.1.2 Propriétés de quelques systèmes modaux

Loin de proposer une présentation exhaustive et détaillée des nombreux systèmes de la logique modale55, nous rappelons ici quelques axiomes des systèmes les plus connus.

Le système T

Les systèmes modaux sont organisés hiérarchiquement. Le plus simple, noté T comporte les trois axiomes suivants :

Ax1 p ⊃ p

si p est nécessaire alors p est vraie Ax2 (p ⊃ q) ⊃ ( p ⊃ q)

55 Pour une présentation détaillée des systèmes modaux, nous renvoyons à (Gardies, 1979), (Hugues &

Cresswell, 1968), (Grize, 1973).

s’il est nécessaire que (p implique q), alors (s’il est nécessaire que p, il est nécessaire que q)

Ax3 Si A est un théorème, alors A est un théorème (règle de nécessitation)

D’autres systèmes sont obtenus en ajoutant à T un ou plusieurs axiomes. Parmi les plus célèbres, citons les cinq systèmes de Lewis et Langford, notés du plus faible au plus fort de S1 à S5 (tels que le système Si contient le système Si-1 qui le précède). Présentons rapidement les systèmes S3, S4 et S5.

Le système S3

Dans les systèmes de la logique modale, la réitération des opérateurs modaux et ◊ est autorisée56. S1 et S2 comportent ainsi un nombre infini de modalités, formées par composition (par exemple p, p, ◊◊p, ◊◊◊p, ◊ ◊p, etc). Le système S3 est plus fort que les systèmes S1 et S2 : il permet de « remédier à ce défaut ». Dans S3 il est possible de démontrer différents théorèmes, qui permettent de réduire le nombre de modalités. Ces théorèmes rendent compte d’équivalences strictes telles57 :

S3 p ≡ p

il est nécessaire qu’il est nécessaire qu’il est nécessaire que p équivaut dans S3 à il est nécessaire qu’il est nécessaire que p

S3 ◊◊◊p ≡ ◊◊p

il est possible qu’il soit possible qu’il soit possible que p équivaut dans S3 à il est possible qu’il soit possible que p

S3 ◊ ◊p ≡ ◊p

il est nécessaire qu’il est possible qu’il soit nécessaire qu’il est possible que p équivaut dans S3 à il est nécessaire qu’il est possible que p

56 En logique, un opérateur comme ∧, ⊃ ou ∨ ne peut être réitéré pour construire une Expression Bien Formée (l’expression p ∧∧ q par exemple n’est pas correcte). Dans le cadre de la logique modale cependant, il est possible de réitérer les opérateurs modaux : une expression comme ◊◊p est par exemple tout à fait acceptable.

57 Pour une explication plus détaillée, se référer à (Grize, 1973).

Dans le système S3 il est ainsi possible de définir, après réduction, un maximum de 42 expressions modales distinctes (40 modalités propres, c’est-à-dire comportant au moins un opérateur modal ( ou ◊), plus les deux expressions p et ¬p).

Le système S4

Le système S4 est le plus connu et le plus étudié des systèmes modaux. Il reprend S3 et l’enrichit de l’axiome suivant :

Ax p ⊃ p

s’il est nécessaire que p, alors il est nécessaire qu’il est nécessaire que p

La particularité de S4 consiste alors à disposer d’un théorème qui permette d’identifier le nécessaire au nécessairement nécessaire. Les 42 combinaisons modales de S3 se réduisent ainsi dans S4 à un nombre de 14 expressions modales distinctes :

p ¬ p

p ¬ p

◊p ◊¬ p

◊p ◊¬ p

◊ p ◊ ¬ p

◊ p ◊ ¬ p

◊ ◊p ◊ ◊¬ p

Ces 14 expressions modales peuvent être organisées dans un diagramme, puisqu’elles peuvent être liées deux à deux par l’implication pour former dans S4 une tautologie (par exemple : S4 p ⊃ p). Le diagramme suivant, dans lequel les flèches représentent l’implication, rend compte de cette organisation :

Figure 16 : Organisation des 14 interprétations modales du système S4

On obtient ainsi plusieurs propriétés dans S4, comme S4 p ⊃ p : s’il est nécessaire que p, alors p.

Système S5

Le système S5 reprend S4 et l’enrichit de l’axiome suivant :

Ax ◊p ⊃ ◊p

s’il est possible que p, alors il est nécessaire qu’il est possible que p

Cet axiome permet de réduire à 4 les modalités propres définies dans S5. On retrouve ainsi les 4 modalités aristotéliciennes, possible (◊), impossible (¬◊), nécessaire ( ) et contingent (¬ ).

L’ajout d’un axiome permet de passer d’un système à un autre plus fort, et de réduire finalement à 4 le nombre d’expressions modales propres :

Figure 17 : Hiérarchie des systèmes modaux de Lewis et Langford

Chaque système modal renvoie à une conception particulière des modalités possible et nécessaire. Doit-on pour autant parler de confusion dans le domaine modal ? Pour (Hugues & Cresswell, 1968), cette diversité des systèmes modaux est plutôt positive, car elle permet de mettre en exergue différentes propriétés (cité dans (Granger, 1995, p.65)) :

« Loin d’être un symptôme de confusion ou une source de perplexité, elle [la diversité des logiques modales] peut en fait aider à attirer l’attention sur des distinctions qui pourraient autrement passer inaperçues. »

La diversité des systèmes modaux laisse toutefois entrevoir la difficulté qu’il existe pour définir les modalités. Pour (Engel, 1990) c’est de cette difficulté qu’a émergé la nécessité d’interpréter les notions modales dans un modèle sémantique, qui permet une approche plus intuitive que la seule axiomatique.

Interprétation sémantique des logiques modales : le modèle des « mondes possibles » Si jusqu’à la fin des années 50, les travaux sur les logiques modales sont surtout syntaxiques et définissent des axiomatiques permettant de préciser le sens des

opérateurs modaux ◊ et , on remarque au début des années 60 une orientation sémantique, notamment dans (Kripke, 1963) et (Hintikka, 1962) qui développent le célèbre modèle sémantique des « mondes possibles » permettant d’interpréter les logiques modales.

La sémantique de la logique modale est construite à partir des concepts de structure et de modèle. Une structure est un couple F = < W, R >, où W est un ensemble non vide et où R est une relation binaire sur l’ensemble W, c’est-à-dire un sous-ensemble WxW.

- L’ensemble W est appelé univers et les éléments de W sont les « mondes possibles »

- R est appelé relation d’accessibilité. Une structure est donc constituée d’un ensemble W de « mondes possibles » liés par une relation d’accessibilité R. Soient deux mondes s et t appartenant à l’univers W ; le fait que t soit accessible à partir de s se note s R t.

- V : P→ 2w est une application de l’ensemble des variables propositionnelles P dans l’ensemble des parties de W. L’application V associe à chaque proposition p de P un sous-ensemble V(p) de W ; V(p) est interprété comme l’ensemble des mondes de W où la proposition p est vraie.

Les règles suivantes, présentées notamment dans (Hugues et Cresswel, 1968), où la notation M w A signifie A est vraie au monde w dans le modèle M, permettent d’interpréter les modalités nécessaire et possible :

- Mw A si et seulement si w R t implique Mt A pour tout t ∈ W

La formule « il est nécessaire que A » est vraie au monde w du modèle W si la formule A est vraie dans tous les mondes t accessibles à partir de w

- Mw◊A si et seulement si Mt A pour au moins un t ∈ W tel que w R t La formule « il est possible que A » est vraie au monde w du modèle W si A est vraie dans au moins un monde t accessible à partir de w

S. Kripke innove ainsi sur un point fondamental en logique modale en introduisant la relation d’accessibilité (notée R) entre les « mondes possibles ». Ainsi, un monde n’est plus possible « absolument » mais relativement à un autre, ce qui le conduit à réviser les conditions de validité des formules il est nécessaire que A et il est possible que A (Kripke, 1963, p.70) :

« Intuitivement on interprète la relation R de la façon suivante : soient deux mondes w1, w2 W, nous notons w1 R w2 pour « le monde w2 est potentiellement accessible à partir du monde w1 », « envisageable à partir du monde w1 », ou encore « relié au monde w1 » ; ce qui revient à dire que toute proposition vraie dans le monde w2 est possible dans le monde w1. […] Il va sans dire qu’une proposition vraie dans un monde quelconque w est possible dans ce monde w. Conformément aux modifications apportées à la notion de « monde possible », on estime qu’une formule A est nécessaire dans un monde w1 si elle est vraie dans tous les mondes possibles accessibles à partir de w1 […] De même, A est possible dans le monde w1 si et seulement si il existe un monde w2 accessible à partir de w1 dans lequel A est vraie58. » (notre traduction)

Ainsi, une proposition nécessaire dans le monde w 1 est une proposition qui est vérifiée dans tous les « mondes possibles » accessibles à partir de w 1 ; une proposition possible dans le monde w 1 est une proposition qui est vérifiée dans au moins un monde accessible à partir de w 1. On suppose la relation d’accessibilité réflexive : tout monde est accessible à partir de lui-même.

Cette définition des modalités en termes de « mondes possibles » accessibles les uns par rapport aux autres permet une certaine visualisation et donc une meilleure appropriation

58 « Intuitively we interpret the relation R, as follows : Given any two worlds H1, H2 ∈ K, we read “H1 R H2as H2 is “possible relative to H1”, “possible in H1”, or “related to H1”; that is to say, every proposition true in H2 is to be possible in H1. […] It is clear that proposition true in H is also possible in H. In accordance with the modified view of “possible worlds”, we evaluate a formula A is necessary in a world H1 if it is true in every world possible relative to H1 […]. Dually, A is possible in H1 iff there exists H2, possible relative to H1, in which A is true. » (Kripke, 1963, p.70)

des notions de possible et nécessaire, comme le montrent les schémas suivants qui proposent une interprétation des expressions il est nécessaire que p et il est possible que p :

Figure 18 : Interprétation des modalités nécessaire et possible en terme de « mondes possibles »