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Le concept de compatibilité dans la définition du nécessaire

3 Organisation des modalités liées au possible sous forme de réseau

3.1 Organisation des modalités aléthiques

3.1.1 Le concept de compatibilité dans les définitions de contingent et nécessaire .1 Le concept de compatibilité dans la définition du contingent

3.1.1.2 Le concept de compatibilité dans la définition du nécessaire

Dans un souci de cohérence avec les études menées sur possible et impossible, nous avons formulé trois types de requêtes sur la base textuelle Frantext afin d'obtenir des extraits comportant les expressions il est nécessaire de, il est nécessaire que et c'est nécessaire.

Le tableau ci-dessous rend compte des résultats obtenus sur notre corpus restreint à 646 textes :

Requêtes formulées Nombre d'occurrences Total il est nécessaire (de⏐d') 217

il est nécessaire (que⏐qu') 91

c'est nécessaire 37

345

Dans la langue, la modalité nécessaire n’est pas aussi forte que la nécessité logique (ce qui est nécessaire est vrai dans tous les « mondes possibles »), et semble prendre un sens « atténué ». Dans tous les exemples de notre échantillon, la modalité nécessaire exprime l'absence d'alternative et marque l'idée que la négation de ce qui est énoncé n'est pas envisageable, c'est-à-dire est impossible (au sens aléthique du terme).

On peut cependant regrouper les exemples selon que la modalité nécessaire porte sur une proposition indépendante, ou sur une proposition dépendante d’une autre (condition nécessaire ou propriété nécessaire).

1°) Modalisation d'une proposition indépendante

Dans les exemples qui suivent, nécessaire s'applique à une proposition indépendante de toute autre :

1. En ce qui concerne les résineux, il est nécessaire de faire une distinction entre, d'une part, le sapin-épicéa et, d'autre part, le pin sylvestre et le pin maritime.

2. […] en tout cas, il est nécessaire de souligner le point suivant : même si le gouvernement de Vichy se transportait un jour en tout ou en partie en Afrique du nord et proclamait qu'il veut reprendre la lutte, il ne pourrait avoir assez d'autorité et d'efficacité pour diriger la guerre.

3. Il est nécessaire de se montrer prudent dans l'appréciation des résultats de la politique de recrutement d'un groupe, dès que l'intérêt commun ne repose pas seulement sur des facteurs objectifs.

Nous proposons pour ces exemples la glose suivante :

p est nécessaire : non p est impossible

2°) Proposition dépendante d'une autre

Dans les exemples suivants, la modalisation porte sur une proposition liée à une autre : la proposition modalisée peut renvoyer à une condition nécessaire (il est nécessaire que p, pour avoir q) ou à une propriété nécessaire (il est nécessaire d'avoir la propriété p pour être q) :

Condition nécessaire

A l'image de la logique, on retrouve dans la langue la notion de condition nécessaire.

Dans le calcul des propositions, considérons l'implication p ⊃ q (si p, alors q). La proposition p est vue comme condition suffisante de la proposition q (il suffit d'avoir p pour avoir q) et la proposition q comme condition nécessaire de la proposition p (pour avoir p, il faut avoir q). Dans la langue, les expressions il est nécessaire de/que, permettent, entre autres, d'introduire ce qui renvoie, en logique, à une condition nécessaire.

Dans ce cas, une proposition q est qualifiée de nécessaire si sa réalisation est requise pour obtenir la réalisation d'une proposition p, introduite généralement par pour que, pour, afin de, dans le but de, etc. On comprend ainsi que, sans la réalisation de q dans le monde référentiel, la réalisation de p n'est pas envisageable dans ce monde, c'est-à-dire est impossible (au sens aléthique du terme). On exprime ainsi le fait qu’il est incompatible avec le monde référentiel d'avoir p réalisée et q non réalisée.

Les exemples suivant illustrent cet emploi de nécessaire :

1. […] car pour qu'un service de prévision puisse connaître l'état de l'atmosphère à des date et heure déterminées en temps utile pour établir une prévision, il est nécessaire que lui soient transmis rapidement les résultats des observations faites sur une très grande étendue, au moins sur une fraction importante du globe.

Commentaire :

Nous posons les propositions p et q, propositions renvoyant à deux procès, telles que :

p : un service de prévision connaît l'état de l'atmosphère à des date et heure déterminées en temps utile pour établir une prévision

q : les résultats des observations […] lui sont transmis

Le procès décrit par p ne peut se réaliser que si le procès décrit par q a été réalisé préalablement. Il est ainsi impossible d'avoir p et non q.

Dans cet exemple, il s'agit d’une connaissance générique (un service de prévision « en général ») et non d'une situation particulière.

2. D' autre part, afin de bien marquer que la France n'a jamais cessé la guerre et qu'elle rejette entièrement Vichy, il est nécessaire que nous retirions leurs fonctions au général Noguès, au gouverneur-général Boisson et au gouverneur-général Peyrouton.

Commentaire :

Soient les propositions p et q, propositions renvoyant à deux procès, telles que :

p : marquer que la France n'a jamais cessé la guerre […]

q : nous retirons leurs fonctions au général Noguès, au gouverneur-général Boisson et au gouverneur-gouverneur-général Peyrouton.

Pour que le procès décrit par p se réalise, il faut que le procès décrit par q soit réalisé. On ne peut pas envisager la réalisation de p si q ne se réalise pas au préalable.

Dans cet exemple, il ne s'agit pas d’une connaissance générique et atemporelle, mais d'un procès temporalisé.

3. Pour vous, par contre, il est nécessaire que je représente la scène, je vais être forcé d'inventer pour de bon, sans quoi vous ne comprendriez pas comment elle a pu se produire.

Commentaire :

Cet exemple nous semble particulièrement intéressant pour comprendre la signification de nécessaire. Sur le même schéma d'analyse, nous posons deux propositions p et q telles que p renvoie au procès : vous comprenez comment elle a pu se produire et q au procès : je représente la scène.

Contrairement aux autres exemples, la proposition p n'est pas introduite par une conjonction exprimant le but (pour que, afin de, dans le but de…).

Ici, c'est la négation de p qui est mentionnée, introduite par sans quoi.

L'énonciateur exprime très clairement que sans q, on ne peut avoir p. On retrouve presque littéralement la définition : il est impossible d'avoir p sans avoir q.

Dans cette série d'exemples, nécessaire apparaît dans un contexte où coexistent deux propositions p et q. La proposition q, qualifiée de nécessaire, est à rapprocher d'une condition nécessaire de la proposition p, en référence au calcul des propositions de la logique classique. Ainsi, on insiste sur le fait que, sans la réalisation de la proposition q dans le monde référentiel, la réalisation de la proposition p ne peut avoir lieu.

Nous proposons ici la glose suivante :

q est condition nécessaire de p : il est impossible d’avoir p sans q

Propriété nécessaire

Pour mieux appréhender cet emploi du terme, revenons brièvement sur quelques points.

• A chaque concept f on associe des propriétés g, qui peuvent appartenir à l'essence ou à l'intension de f.

o On dit qu'une propriété g est dans l'essence de f, ce que l'on note g ∈ Ess f, si l'on ne peut concevoir f sans g ; g est ainsi nécessairement relié à f.

o On dit qu'une propriété g est dans l'intension de f, ce que l'on note g ∈ Int f, si g est généralement relié à f ; g n'est donc pas nécessairement relié à f.

• Prenons par exemple le concept être-un-oiseau.

o Les propriétés avoir-un-bec, avoir-des-plumes, appartiennent à l'essence du concept puisqu'on ne peut concevoir un oiseau sans bec ni plumes.

o Les propriétés chanter et voler sont, quant à elles, dans l'intension du concept, car on peut concevoir un oiseau qui ne chante pas ou qui ne vole pas.

o On dit qu'un objet x tombe sous le concept f, c'est-à-dire appartient à l'extension de f, ce que l'on note x ∈ Ext f, si x a toutes les propriétés de l'essence de f.

Dans la langue, nécessaire peut qualifier une propriété de l'essence, comme l'illustre cet exemple :

Dans un système musical cohérent, qui s'oppose aux excès et au laisser-aller du romantisme et de ses prolongements, il est nécessaire que tous les éléments qui entrent en jeu convergent vers cette cohérence rigoureuse.

Commentaire :

Soient le concept f et la propriété g telle que : f : être-un-système-musical-cohérent

g : tous-les-éléments…

L'expression il est nécessaire que marque le fait que la propriété g est dans l'essence du concept f : g ∈ Ess f. On ne peut concevoir un système musical cohérent sans que tous les éléments qui entrent en jeu convergent… Il est ainsi impossible que x tombe sous f sans qu'il ait la propriété g.

Nous proposons ici la glose suivante :

g est propriété nécessaire du concept f : il est impossible qu’un objet x tombe sous le concept f sans qu’il ait la propriété g

A partir des gloses introduites dans ce qui précède, nous proposons les définitions suivantes :

1°) Proposition indépendante

Nécessaire p ≡déf Impossible (¬ p)

2°) Proposition dépendante d'une autre (condition ou propriété nécessaire) Nécessaire X pour Y ≡déf Impossible (Y ∧ (¬ X) )

avec X : q ou X : g(x) et Y : p ou Y : x ∈ Ext f

Dans les deux cas, on a recours à une définition de nécessaire impliquant la modalité impossible prise dans son sens aléthique, ainsi que la négation de ce qui est modalisé (¬

X). La différence entre les deux formalisations proposées réside dans le nombre d'arguments auquel s'applique la modalité impossible. Dans le cas d'une proposition indépendante, impossible s'applique à un unique argument. Dans le cas d'une condition ou d'une propriété nécessaire, un deuxième argument est mis en jeu (X est condition nécessaire de Y ; X est une propriété nécessaire de Y) ; impossible s'applique alors à la conjonction de deux arguments.

A la suite de ces observations en langue, il se dégage donc la définition suivante : p est nécessaire ≡déf non p est impossible. Avec l’emploi de nécessaire, aucune alternative à la réalisation de p n’est donc envisagée : seule p est présentée comme compatible avec le monde référentiel.

En reprenant les concepts de compatibilité et d’incompatibilité, on arrive à la glose suivante :

p est nécessaire : p est compatible avec le monde auquel se réfère l’énonciateur et non p est incompatible avec le monde auquel se réfère l’énonciateur