• Aucun résultat trouvé

Vécu des ajustements : de l’acceptation au conflit

La manière dont le collectif de travail perçoit l'impact de la crise sur l'établissement joue un rôle crucial dans la légitimation des ajustements mis en œuvre. Ce n'est ni une condition nécessaire, ni une condition suffisante pour qu'ils soient pleinement acceptés par les salariés (4.2.1). La contestation qui peut alimenter les conflits porte tantôt sur les modalités d'ajustement choisis, tantôt sur leur nécessité (4.2.2).

4.2.1. Les conditions propices à « l’acceptation » des ajustements

Nos enquêtes montrent que les ajustements sont relativement bien vécus par les salariés lorsque ces derniers répondent à un objectif de préservation de l’emploi permanent. Elles soulignent ainsi que la réduction de l’emploi intérimaire fait le plus souvent l’objet d’un consensus entre la direction et les instances représentatives du personnel. La baisse du recours à l’intérim est souvent présentée comme un « moindre mal » par les acteurs pour préserver l’emploi permanent, ce qui n’est pas sans rappeler le constat dressé par Béthoux, Jobert et Surubaru (2011). Certaines de nos enquêtes soulignent ainsi l’ambigüité ou l’ambivalence, du point de vue des RP, vis-à-vis de l’intérim :

« Je dirais que, c'est, d'ailleurs c'est assez surprenant parce que nos syndicats nous disent ‘on ne comprend pas qu'il n’y ait pas d'intérim parce que c'est une variable d'ajustement’ alors que c'est le discours qu'on a tenu pendant des années et sur lequel ils n’étaient pas d'accord. Et alors aujourd'hui quand on en a 0, ils sont surpris qu'on en ait 0 et ils ne comprennent qu'on ait 0 parce qu'ils disent que « c'est une variable d'ajustement » (RD, EQUIP).

certains représentants syndicaux se montrent toutefois plus critiques quant au coût représenté par cette forme de mobilisation de la main-d’œuvre, notamment lorsque les emplois occupés supposent un effort de formation en partie perdu lorsque le salarié intérimaire quitte l’entreprise (FORGE, AERO):

« Alors je vais vous dire moi je choque facilement les gens quand je dis ça mais moi par rapport à l’intérim, je pense qu’il n’y a pas pire que l’intérim, je pense qu’il aurait mieux valu que toutes ces personnes-là soient embauchées, quitte à ce qu’il y ait un plus de solidarité entre les gars parce que je vais vous expliquer pourquoi, parce que le problème qu’il y a eu, la crise étant passée après 6 mois ou 1 an, il a fallu réembaucher des intérimaires à plein wagon. Et heureusement pour eux, les intérimaires ils n’avaient pas attendu après [FORGE] pour retrouver du boulot. Ce qui fait qu’il a fallu reformer des personnes et on a perdu beaucoup de pognon, ça c’est clair hein, je leur ai dit en réunion, on a perdu beaucoup de pognon parce qu’on les avait laissées partir » (RP, CGT, FORGE).

Chez PEINT, qui a également misé sur la baisse du recours à l’intérim, le consensus provient du fait que les ajustements ont épargné le personnel « permanent », contrairement aux pratiques des entreprises environnantes, dont beaucoup ont procédé à des licenciements et à un gel des salaires, voire ont fermé durant la période.

Parce qu’ils répondent à une volonté commune de la direction et des IRP de préserver l’emploi permanent sur le site, le recours au chômage partiel, les mobilités internes et le rapatriement d’activités de sous-traitance paraissent être également un sujet consensuel entre les IRP et les directions. Les représentants du personnel rencontrés évoquent ainsi les bonnes conditions d’indemnisation, surtout en présence d’une convention APLD19 (EQUIP) et le caractère légitime d’une ré-internalisation des activités sous-traitées, dans l’objectif de préserver l’emploi permanent (FORGE) :

« C’est vrai que moi, je restais une journée à la maison, par rapport à l’APLD, je ne perdais que 7 euros par rapport à une journée, 2 jours ça faisait 14 euros, les gens à la fin, ils se battaient pour rester à la maison ! » (RP, FO, EQUIP).

« Dans nos revendications, c'est clair que pour nous, avant de se séparer de personnes, que ce

soient des intérimaires ou qu'on fasse du chômage partiel, à un moment donné, ça été de dire « oh, c'est bien gentil, mais tout le boulot qui se fait dehors, faut commencer à le rentrer quoi ! » Bien sûr, bien sûr que nous ça a été une demande que nous avions et sur laquelle nous avons appuyé fortement » (RP, CGT, FORGE)

Seul le caractère inégalitaire et sélectif de la politique de chômage partiel semble avoir constitué un point de discorde entre les IRP et la direction dans certains cas (EQUIP, FORGE, GRENAILLE). Toutefois, dans un seul des établissements concernés (FORGE), les organisations syndicales ont revendiqué et ont obtenu, non sans compromis, une mise en œuvre égalitaire du chômage partiel.

19Ces conventions ont été instaurées en mai 2009 par les pouvoirs publics afin de permettre une meilleure indemnisation

des salariés au chômage partiel que dans le cas des conventions classiques, puisque cette indemnisation représente 75 % du salaire horaire brut servant d’assiette de calcul de l’indemnité de congés payés contre 60 % dans une convention classique. Une convention APLD peut être conclue pour une durée de 3 mois minimum, renouvelable par avenant dans la limite de 12 mois. En signant une convention APLD, l’employeur s’engage à maintenir l’emploi des salariés concernés pendant le double de la période de mise en place du dispositif.

Les décisions salariales semblent relativement bien acceptées, même si elles ne font pas souvent l’objet d’un accord signé par les IRP, et donc ne paraissent pas être consensuelles. Dans un contexte de crise qui réduit les marges de négociation, la modération salariale n’est pas associée à une montée de la conflictualité. De fait, les acteurs ne semblent pas remettre en cause la légitimité de cette modalité d’ajustement, comme le relatent les exemples de BTP et de CONSEIL :

« Par rapport à la crise, aux difficultés financières, certaines personnes de l'encadrement ont été un petit peu surprises qu'il n'y ait pas eu des décisions assez drastiques qui soient prises sur des mesures concrètes pour essayer de réduire les coûts. Moi, en tant que RH, un blocage des salaires, un gel des salaires, ça ne me surprendrait pas. Or, on a depuis toujours une politique de rémunération avec en moyenne une augmentation de l'ordre de 2 à 2,5. » (RD, BTP)

« Les DP, comme on est quand même une petite entreprise, la réalité, on la voit assez vite et donc ça ne les a pas du tout choqués. D'autant qu'on n’a pas demandé à tous les salariés... mais uniquement des salariés qui avaient les salaires les plus élevés et uniquement et principalement aux associés, donc ce n’était pas non plus une restriction de tout le monde. Après, sur les restrictions au niveau des frais de déplacement et ce genre de choses, ça, ça été très bien compris puisque les difficultés étaient là. » (RP, CFDT, CONSEIL)

4.2.2. La conflictualité dans la crise

Du point de vue de la conflictualité associée aux ajustements opérés, les établissements enquêtés peuvent être classés en deux catégories.

Une première catégorie est formée par les établissements dans lesquels les salariés et leurs représentants n’ont pas mis en cause la légitimité de l’ajustement mais ont pu en contester les modalités (a). Dans une seconde catégorie, les salariés et leurs représentants ont contesté la légitimité même de l’ajustement (b). Cette partition des établissements est liée à l’existence ou non d’un diagnostic partagé sur les motifs justifiant les ajustements opérés, l’intervention d’un expert (mandaté par le comité d’entreprise par exemple) pouvant contribuer à ce diagnostic (c).

a) Contestation des modalités des ajustements

Dans la première catégorie d’établissements, l’ampleur du choc de demande subi en lien direct avec la dégradation de la conjoncture internationale, ne laisse aucun doute aux yeux des IRP sur la nécessité d’opérer des ajustements. Ce qui va faire l’objet de contestation voire de conflits ou à l’inverse de résignation, ce sont les modalités de ces ajustements, quand celles-ci sont insuffisamment discutées ou négociées, voire jugées iniques. Elles apparaissent en effet plus facilement acceptées quand le niveau et la qualité de l’information diffusée aux salariés sont bons, quand les modalités répondent à un principe d’équité entre les salariés (CONSEIL), quand il existe une tradition de dialogue social et a fortiori de la confiance entre les partenaires sociaux (FORGE). Certaines modalités apparaissent également plus acceptables par nature que d’autres. Les départs contraints sont ainsi plus contestés que les départs volontaires (ELEVATION), le rapatriement de l’activité sous-traitée, la diminution du volant d’intérimaires ou de C.D.D sont facilement acceptés (FORGE), à l’inverse de la diminution de l’emploi permanent. Le chômage technique et la mobilité

interne sont apparus également bien acceptés si les principes en ont été discutés et apparaissent équitables :

« Globalement y a pas eu de protestation, les gens étaient contents d'avoir le boulot et ils étaient bien indemnisés et de conserver leur emploi, de pas être menacés » (RP CFDT, EQUIP).

De même la modération voire le gel des salaires ont plus rarement été contestés que les mesures portant sur l’emploi permanent :

« Donc effectivement, oui, y a eu une certaine modération salariale et de notre part aussi à

cette époque-là, les exigences et le niveau de combativité avaient sûrement baissé hein, c’est clair » (RP CGT, FORGE).

Le plus souvent le sentiment de résignation est fort (CONSEIL, BTP, ELEVATION) et l’emporte sur la révolte.

« L'ambiance est tendue, on le sait très bien, mais il n'y en a pas un qui dit quoi que ce soit. A l'heure actuelle on subit la crise.» (Chef de chantier, BTP).

« Aujourd’hui ils courbent l’échine je pense. […] Ils écoutent quand même la radio, donc aujourd’hui ils savent que c’est dur pour tout le monde » (R.D., BTP)

La référence à l’impact de la crise sur l’économie du pays ou plus spécifiquement sur le bassin d’emploi est récurrente quand il s’agit pour les représentants de la Direction ou des salariés de qualifier le ressenti des salariés face aux ajustements opérés. Certaines fois c’est la survie même de l’établissement ou de l’entreprise qui est évoquée :

« On n’a pas le choix : ou on allait au dépôt de bilan ou on perdait 10 % d’effectif»(R.P. FO, COOP)

«Il n’y avait pas grand-chose à faire, faire une grève pour demander quoi ?»(R.P., CGT, COOP).

Dans ce cadre, le conflit n’apparaît émerger que pour infléchir, quand cela est jugé possible, les modalités imposées par la Direction. Parmi les établissements enquêtés, un seul établissement a connu, dans cette catégorie, un conflit dur portant sur l’emploi (TRACTPLUS). Les sources de ce conflit apparaissent en négatif de celles citées plus haut : un dialogue social marqué par la défiance, des modalités imposées, une diminution significative de l’emploi permanent reposant sur des départs contraints (cf. encadré 7).