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Nature et ampleur des crises : méthodologie d'analyse

Partie 2. Les apports des monographies

2. De quelle(s) crise(s) parle-t-on ?

2.1. Nature et ampleur des crises : méthodologie d'analyse

Observée à l’échelle microéconomique, la réaction des entreprises à « la crise » nécessite de préciser (ou faire préciser) la nature des difficultés auxquelles elles ont été confrontées et à établir (ou faire établir) le lien avec la dégradation de la conjoncture économique. Ainsi, nous avons précisé à nos interlocuteurs que, pendant l’entretien, nous appellerions « crise » la période de conjoncture macroéconomique dégradée depuis 2008, mais que ce terme pouvait recouvrir une réalité et une périodisation différentes du point de vue de chaque établissement. De fait, il s’est avéré que la crise est plurielle, multidimensionnelle au sens où elle peut comporter une dimension macro-économique, mais également sectorielle voire, dans certains cas, une dimension davantage interne.

D'un point de vue méthodologique, notre appréciation de la nature et de l'ampleur de la ou "des" crise(s) est issue des récits qu'en ont donnés nos interlocuteurs ainsi que, lorsque cela s'est avéré possible, de sources de données quantitatives telles que les bilans sociaux, les informations comptables issues de la base Diane ou accessibles sur les sites des groupes, voire ceux compilant les

bilans des entreprises7, ou encore des articles scientifiques ou de presse. L'articulation de ces sources

et leurs éventuelles contradictions nous permet de dresser un bilan de ce que recouvre la crise pour les établissements enquêtés à partir de trois angles d'analyse : d'une part celui des indicateurs retenus (2.1.1), d'autre part celui du niveau d'appréhension de la crise (qui peut se situer à l'échelle de l'établissement, de l'entreprise ou du groupe) (2.1.2), et enfin le critère du mode de gouvernance qui rend compte de l'influence d'acteurs extérieurs (notamment du groupe) qui sont conduits à "produire" la crise à l'échelle des établissements (2.1.3).

2.1.1. La "mesure" de la crise

L'essentiel des établissements que nous avons enquêtés, en particulier ceux du secteur de l'industrie, ont enregistré une baisse de leurs commandes sur la période 2008-2010, pouvant atteindre pour certains d'entre eux 40, 45 ou même, dans un cas, 60%. L'indicateur de variation du volume

d'activité apparaît comme le point d'entrée pour appréhender la crise dans la majorité des cas.

Cependant, cet indicateur en apparence simple suscite des divergences quant à son interprétation et ses implications à plusieurs niveaux :

- la baisse des commandes et des volumes produits apparaît-elle de manière structurelle ou plus conjoncturelle ? Si l'année 2008 a souvent été citée comme le point de départ des difficultés rencontrées (PEINT, GRENAILLE, EQUIP, TRACTPLUS, ELEVATION), ces dernières ont aussi pu se résorber très vite, les établissements renouant avec une croissance de leur chiffre d'affaires dès 2009-2010, alors que dans d'autres cas la baisse de l'activité a débuté, voire a été « programmée » bien plus tôt (PNEU notamment).

Si les chutes d’activité s’accompagnent généralement de pertes de rentabilité, la corrélation n’est pas si simple : certains établissements peuvent connaître à la fois une croissance de l’activité et une perte de rentabilité (ELEVATION), voire adopter une stratégie délibérée de maintien de l’activité au détriment de la rentabilité (BTP, PEINT). Nous reviendrons sur le lien entre les deux indicateurs (cf. infra).

Ainsi, objectiver la situation économique d’un établissement et son évolution sur la période ne va pas de soi, ni le fait d'attribuer l’évolution ainsi mesurée à la dégradation de la conjoncture macroéconomique. Ces difficultés se trouvent accrues lorsque l'établissement fait partie d'une entreprise multi-établissements, voire d'un groupe.

2.1.2. La crise pour qui ? Le niveau d'appréhension de la crise : l'établissement, l'entreprise, le groupe

Sur l'ensemble des cas étudiés, l'établissement, sauf s'il s'agit d'une entreprise mono-établissement ou de l'établissement siège d'une entreprise multi-établissements, ne constitue pas une unité de décision ni de négociation. Nos interlocuteurs n'ont jamais été en capacité de nous fournir des indicateurs portant sur la santé économique ou financière de leur "établissement".

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En effet, dans le cas où l'établissement fait partie d'une entreprise multi-établissements ou d'un groupe, les indicateurs permettant de saisir la "réalité" de la crise (évolution de l'activité, de la rentabilité) sont consolidés pour l'entreprise et/ou le groupe, les résultats de l'établissement se fondant dans cette masse. Le niveau "établissement", qui est celui de REPONSE, apparaît alors peu adapté pour appréhender la réalité de la crise et les ajustements qui l'accompagnent. Dans plusieurs des établissements appartenant à un groupe que nous avons rencontrés, même le niveau de l'entreprise n'apparaît pas pertinent, les indicateurs ainsi que les décisions stratégiques se prenant au niveau du groupe. Il apparaît alors particulièrement difficile, sinon impossible, de justifier les ajustements à partir d'indicateurs portant sur l'établissement, parce que ceux-ci n'existent pas, du moins pour nos interlocuteurs. Le cas de SANSFIL est emblématique : les activités sont transversales et mobilisent conjointement des équipes de différentes filiales (organisation en ‘business unit’), l’imputation du chiffre d’affaires à telle ou telle filiale relève alors de choix du groupe et d’une logique purement financière. Au cours de l’entretien, le RD raisonnait d’ailleurs constamment à l’échelle du groupe et s’est avéré incapable de dire avec certitude dans quelle mesure l’entreprise avait perdu ou non en chiffre d’affaires sur une année précise.

Qu’ils soient décidés dans l’établissement ou ailleurs, les ajustements sur l'emploi, les rémunérations ou l'organisation du travail, se déroulent bien au niveau des établissements. La difficulté porte alors sur la légitimation d'ajustements réalisés au niveau des établissements par le biais d'indicateurs consolidés. La "nature" de la crise peut s'en trouver altérée lorsque les ajustements ne semblent pas corrélés à la santé économique de l'établissement.

2.1.3. L'influence des acteurs extérieurs dans les décisions d'ajustements : le poids des groupes et des logiques financières

Les modes de gouvernance dans les établissements appartenant à des groupes, en particulier de dimension mondiale, amènent à considérer un autre type de difficultés pour apprécier l'ampleur et la nature de la crise. C'est ce que nous avons pu constater notamment chez SANSFIL, PNEU, PHARMA, BANQUE. Le chiffre d’affaires et l’activité des différentes entreprises sont consolidés au niveau du groupe au gré de choix stratégiques d’imputation de certaines activités et commandes à telle ou telle filiale. Lorsque les activités sont à l’échelle du globe, la baisse du chiffre d’affaires d’un établissement situé en France peut également relever d’un choix stratégique plutôt que de difficultés économiques : par exemple, le déport volontaire d’activités d’une filiale vers une autre sans que les interlocuteurs au niveau de l'établissement puissent témoigner de difficultés réelles. Les indicateurs de santé économique et financière des groupes sont eux aussi difficiles à interpréter lorsque les groupes procèdent régulièrement à des achats et cessions qui font ‘artificiellement’ fluctuer leur activité (PHARMA, SANSFIL). La vente d’actifs vient ainsi perturber le suivi des bénéfices (BANQUE). Les filiales, en particulier, y jouent un rôle crucial comme amortisseur de la crise. Par le jeu d’achat ou de cession de filiales, BANQUE a pu « sauver la face » (RP_SNB) en affichant des résultats globaux en hausse, masquant ainsi les pertes (ou la baisse des bénéfices) encourues au niveau de la maison- mère par le pôle financier notamment. Ils ne sont, par ailleurs, pas toujours mis à disposition à l'échelle des entreprises et encore moins des établissements.

Ce sont les établissements eux-mêmes qui deviennent les supports des ajustements, sans que les parties prenantes à l'activité des établissements ne soient impliquées dans les décisions stratégiques

de redéploiement des activités du groupe. Dans ce contexte, la crise devient "produite" ou construite par le groupe au niveau de tel ou tel de ses établissements.