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Succession, intensité et polarisation des ajustements au niveau macro

Partie 2. Les apports des monographies

1. Le contexte macroéconomique : les ajustements au niveau agrégé ?

1.2. Succession, intensité et polarisation des ajustements au niveau macro

Sur la base des travaux caractérisant les évolutions du marché du travail publiés en particulier par l’Insee et la Dares, on peut établir une chronologie sommaire des ajustements en distinguant dans un premier temps les calendriers des flux d’emplois, des heures et des rémunérations.

1.2.1. Pour les flux d’emplois

En prenant appui essentiellement sur Ananian, Debauche et Prost (2012), on peut diviser grossièrement chaque sous-période en trois temps. Le premier concerne l’intérim, le second les entrées en emploi et le dernier, les sorties.

Ainsi, l’ajustement du marché du travail en termes de flux, pendant la période de choc, est cadencé ainsi : baisse de l’intérim, gel des embauches, licenciement.

Plus précisément :

- T4-2007 : Un ajustement par l’intérim, précoce, intense et bref.

Mesurée par l’évolution de l’effectif intérimaire en équivalent temps plein, la contraction de l’emploi intérimaire se manifeste en effet presqu’en amont de celle du PIB. Avant de repartir à la hausse au deuxième trimestre 2009, la baisse de l’intérim aura contribué pour près de 30% à la destruction d’emplois (Bardaji, 2011). Cette évolution très marquée a été perçue comme un révélateur du dualisme croissant du marché du travail, le travail temporaire servant d’amortisseur pour l’emploi permanent (Gautié 2013, Rémila Tallet, 2013).

- 2008 : un gel des embauches.

Identifié par une stabilité de la part des entrées dans l’emploi, le gel des embauches est concentré sur les deux premiers trimestres pour les CDD, moins prononcé mais se prolongeant toute l’année 2008 pour les CDI. Etrangement, ce sont les séniors qui ont été les moins affectés, le taux d’entrée des plus de 50 étant celui qui a le moins diminué sur cette période. C’est l’un des éléments qui contribue à polariser les ajustements sur les plus jeunes. - De T3 2008 à T3 2009 : une hausse des licenciements économiques concentrée sur une seule

année6. Plus nombreux dans l’industrie, les licenciements économiques touchent plus fortement les moins qualifiés. Les taux de licenciement pour motif personnel, de démission et de départ en retraite ont connu une baisse sur la même période.

Durant la phase de reprise, les dynamiques s’inversent dans le même ordre :

- 2009 T1-2011 T2 : les effectifs intérimaires repartent très nettement à la hausse sans retrouver le niveau atteint juste avant la crise.

- Dans le même temps, début 2009, le taux d’entrée entame une hausse régulière. Eu égard à la part des CDD dans les embauches, cette hausse est, sans surprise, presqu’entièrement portée par les embauches en CDD. La part des entrées en CDI, dont les variations sont habituellement modérées, a néanmoins connu une légère reprise jusqu’au milieu de l’année 2011 (Sanzeri, 2014).

- Avec deux trimestres de décalage, en T3 2009, l’évolution du taux de licenciement économique se retourne et connaît, sur un an, une baisse quasiment équivalente à la hausse observée l’année précédente. Le taux de LMP continue sa baisse jusque début 2011 tandis que le taux de sortie en CDD amplifie sa hausse.

Durant l’embourbement, la séquence observée pendant le choc se reproduit de manière atténuée : - Dès T2 2011, l’intérim se retourne à nouveau. Les effectifs restent en baisse jusqu’en T1

2013.

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Néanmoins, le dénombrement des licenciements économiques fait problème et cela, de plus en plus intensément comme en témoigne en particulier la hausse des entrées à Pôle emploi pour autres motifs. La montée des PDV comme instrument de restructuration est un élément susceptible d’influer sur cette difficulté à classifier les entrées au chômage (Bonnet, 2011 et Signoretto, 2013). Néanmoins la périodisation de l’évolution des licenciements est cohérente entre les deux sources. Le suivi à partir du fichier historique de Pôle Emploi fait apparaître un mouvement de hausse en 2008 et de baisse qui s’étale plus durablement. Le suivi du nombre des PSE notifiés à l’administration (Source Direccte) adopte la même chronologie (Charoze, 2014).

- Dans le même temps, le taux d’entrée en CDI se stabilise avec une très faible baisse. Le taux d’entrée en CDD continue, lui, de progresser avec la même intensité que pendant la reprise, la part des embauches en CDD ayant explosé à partir de 2009 pour atteindre un niveau supérieur de 10 points à celui observé avant la crise.

- A partir du début 2012, le taux de licenciement économique, revenu à un niveau proche mais inférieur à celui précédant la crise, adopte un profil plat avec une très faible croissance. Les autres taux de sorties sont stables eux aussi, sauf celui des départs à la retraite qui, par soubresauts, semble regagner son niveau d’avant 2008, et celui des CDD qui reste sur un trend croissant.

1.2.2. Pour le volume des heures travaillées

L’évolution de la durée effective annuelle agrège l’ensemble des modalités par lesquelles les ajustements des heures travaillées peuvent être opérés. Sur la période 2007-2011, dernière année pour laquelle on dispose des données, la baisse ne s’observe qu’en 2009. Le choc s’est ainsi accompagné d’une baisse de près de 2% de la durée annuelle effective du travail résultant de la combinaison d’une hausse de la durée habituelle hebdomadaire, d’une diminution des heures supplémentaires et du nombre de jours travaillés, cette dernière provenant elle-même de la hausse du recours au chômage partiel et d’une moyenne de 3 jours de congés supplémentaires effectivement pris par les salariés.

Le redressement de la durée annuelle effective du travail en 2010 a ramené cette grandeur à un niveau supérieur à celui observé avant la crise. Ce mouvement s’est prolongé l’année suivante. L’appréciation relative de cette évolution ne fait pas consensus. L’usage des leviers permettant l’ajustement du volume horaire de travail, en comparaison en particulier à l’épisode de récession du début des années 1990, a été jugé faible ou insuffisant par certains (Cochard et alii, 2010 ; Cour des comptes, 2013) tandis que d’autres estiment que « le choc d’activité a ainsi pu être absorbé de manière significative par une diminution des heures travaillées » (Gilles, Nikolai, 2012). La nécessité de faire la part entre heures de chômage partiel autorisées et effectuées a compliqué l’estimation du poids de ce dispositif dans l’ajustement au marché du travail. Pour autant, ramené aux secteurs principalement utilisateurs (industrie et construction), le recours au chômage partiel a joué un rôle significatif.

1.2.3. Les rémunérations

On peut suivre leur dynamique à partir des deux principaux indicateurs mobilisés dans les études macroéconomiques : le salaire de base et le salaire moyen par tête (rapport de la masse salariale aux effectifs). Aucun n’est pleinement satisfaisant puisque le premier ne rend pas compte de toutes les autres modalités de rétributions que les salaires, tandis que le second les intègre toutes mais les effets d’entrées et de sorties d’emploi qui l’impactent, empêchent d’identifier, par contraste, l’évolution de ces éléments de rémunérations variables.

Graphique 3 : Evolution des salaires mensuels entre 2005 et 2013

Source : ACOSS, baromètre économique

Au plan macroéconomique, c’est un trend de modération salariale et non de baisse des salaires qui est observé avec deux moments de hausse, juste avant le choc et juste après. Les employés ont connu la hausse la plus faible, les cadres, pris dans leur ensemble auront été à peine affectés par cette décélération. Les rémunérations par tête, en euros constants, se sont contractées pendant le choc et fluctuent ensuite autour d’un niveau stabilisé à 0,5%. Le fait que les effectifs sortant correspondent aux jeunes et aux moins qualifiés, donc aux salariés les moins bien payés, influe sur ces évolutions (Askenazy, 2012). Cet effet est sans doute plus fort que celui imparti à la baisse des montants versés au titre de la participation, de l’intéressement ou de l’épargne salariale. Impactant plus nettement les cadres, ceux-ci ont chuté de 10% en 2009 pour remonter de 14% en 2010 et baisser à nouveau de 4% en 2011. Ces montants ne représentent qu’une faible part de la masse salariale globale, et ils sont concentrés dans les plus grosses entreprises. Réaffectés aux salariés qui en bénéficient, ils peuvent représenter presque l’équivalent d’un 13ème mois. Souvent fonction du niveau de salaire et/ou de l’ancienneté, ils participent ainsi de la segmentation du marché du travail (Amar et Pauron, 2013).

Finalement, l’année 2009 semble bien être le moment le plus intense des ajustements opérés sur le marché du travail. L’épisode de reprise, de par sa brièveté, donne à voir une sorte d’inversion de toutes les ‘manettes’ pour une seule année. Il ne paraît pas trivial de hiérarchiser l’intensité de ces ajustements, d’autant qu’ils n’affectent pas les salariés de la même façon.