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Utilité du phosphore pour la stabilisation de carbènes

Chapitre I. Introduction

III.1 Utilité du phosphore pour la stabilisation de carbènes

Si on considère le Schéma 3 et Schéma 4 ci-dessous, les éléments du groupe des terres rares se situent a priori dans la catégorie des carbènes de Schrock (Schéma

3) et la configuration ne présentant aucun électron sur le métal et quatre électrons sur

le carbone (Schéma 4) devrait avoir une part assez importante dans la description de l’état électronique final du complexe.

Schéma 3. Représentation classique des interactions entre un fragment carbène et un métal

dans les configurations électroniques correspondant aux deux états fondamentaux possibles du carbène après une coupure homolytique de la liaison métal-carbone (et relaxation).

Schéma 4. Représentation des interactions entre un fragment carbène et un métal dans des

configurations électroniques du carbène résultant d’une coupure (partiellement) hétérolytique de la liaison métal-carbone.

D’un point de vue purement spéculatif, on peut donc espérer faire interagir un précurseur métallique dans son degré d’oxydation III (sans électron de valence) et un dianion géminé pour obtenir des complexes de terres rares se rapprochant le plus possible d’un complexe carbénique. La voie de synthèse correspondante, représentée en Schéma 16, paraît très simple :

Schéma 16 : Schéma de principe pour la synthèse d’un complexe carbénique de lanthanide à

partir d’un précurseur non carbénique.

Si A est un cation, il doit être plus électropositifs que les métaux utilisés pour que la métathèse de sel soit favorable. Ceci nous limite aux alcalins pour A, étant donné les électronégativités en jeu. Si A est l’hydrogène, il faut que le ligand L porté par le métal soit plus basique que le monoanion et le dianion coordinés au métal, ou que l’un ou l’autre des produits soit volatil ou insoluble.

Le premier dianion géminé est reporté en 1953 par West et Rochow.127 Ces espèces128,129 ont connu un important développement dans les années 1970 pour leur utilité en chimie organique ; elles permettent en effet une double réactivité qui limite le nombre d’étapes de synthèse. En l’absence de groupements stabilisants, les conditions de synthèse par réduction d’un précurseur halogéné ou métallé sont assez

dures et les gem-dianions résultants très réactifs, comme c’est le cas pour ce 7,7- dilithionorbornane130 qui doit être conservé et utilisé à basse température.

L’utilisation de groupements stabilisants en α du carbone porteur de la charge augmente l’acidité des protons qu’il porte, ce qui permet de se contenter d’utiliser des bases fortes au lieu de réducteurs radicalaires ou métalliques. Cette stratégie s’est montrée particulièrement riche,129 et tolère un nombre varié de substituants (Table

2).

J. Am. Chem. Soc. 1966, 88, 2348 Tetrahedron Lett. 1988, 29, 5237. J. Chem. Soc., Perkin Trans. 1973,

1, 1166.

Table 2 : Exemples de dianions utilisés in situ et leur référence.

Cependant ces dianions sont généralement obtenus in situ, avec des rendements variables et aucune méthode de purification. Il existe peu de dianions géminés isolés et ayant pu être caractérisés structuralement par diffraction de rayons X (Table 3).

Chem. Ber. 1989, 122, 1307. Angew. Chem.-Int. Ed. 1999, 38, 92. J. Am. Chem. Soc. 1999, 121, 2939

Angew. Chem. Int. Ed. 1999, 38, 1483

Table 3 : Exemples de dianions ayant été isolé et caractérisés par diffraction de rayons X.

Dans cet ensemble, les dianions stabilisés par des phosphores hypervalents sont particulièrement remarquables,131 et ont été l’objet de controverses.132 Les ylures de phosphore sont bien connus, mais l’adjonction d’un deuxième phosphore hypervalent à un même carbone lui confère des propriétés très particulières. Ainsi, le bis-(diphénylméthylphosphoranylidène)méthane133 1 ne peut être déprotoné ailleurs que sur le carbone pontant (Schéma 17).

Schéma 17 : Effets des déprotonations successives du sel de bisphosphoranylidène 1. Les

groupements bleutés représentent les positions basiques, les groupements orangés les positions acides

Des essais de déprotonation en ayant remplacé les deux hydrogènes centraux par deux groupements méthyles ont abouti à une migration de ces groupements vers l’un des méthyles non pontant (équation 22).134

Ceci souligne la remarquable efficacité de la stabilisation de la densité électronique au carbone par deux phosphores hypervalents.

Si on regarde la forme mésomère 3a dans le Schéma 17, les carbodiphosphoranes pourraient apporter quatre électrons à un centre métallique. D’autre part, un certain nombre de phosphonium ont déjà été utilisés pour l’obtention de carbènes, notamment par Guy Bertrand, avec par exemple les phosphino- phosphoniocarbènes135 (Schéma 18)

Schéma 18 : Représentation de la stabilisation des doublets non liants au phosphore et au

carbone au sein d’un phosphino-phosphoniocarbène.

Le phosphore est en effet un substituant particulièrement adapté pour l’obtention de carbènes ayant une réactivité plus proche de celle des premiers carbènes instables isolés.136 Ceci est dû à la fois à son électronégativité proche de celle

du carbone, ce qui lui permet de ne pas stabiliser excessivement la paire σ par effets inductifs (Schéma 1, partie I.1) et à une stabilisation par effet mésomère donneur modérée ou accepteur fort lorsqu’il est hypervalent. Cependant leur chimie de coordination est assez peu développée ; les raisons invoquées sont essentiellement une géométrie préférentiellement linéaire autour du carbone, ce qui est peu favorable à la coordination à un centre métallique et demande un surcroît d’énergie pour la formation d’une telle interaction, et la difficulté à assurer la stabilisation par donation π de la paire libre du phosphore en raison de la facilité avec laquelle les phosphines s’isomérisent.137

De manière similaire, la chimie de coordination des carbodiphosphoranes est assez peu développée sont reportés des complexes d’argent, de nickel et de palladium,138 ainsi qu’un complexe de tungstène qui n’a pas été caractérisé structuralement.139 Les études théoriques faites sur le sujet comparent l’interaction carbone-métal à celle obtenue avec un carbène N-hétérocyclique,140 qui est principalement σ donneur et très faiblement π accepteur. Il faut donc augmenter la densité électronique sur le carbone pour obtenir un précurseur carbénique capable d’établir une double liaison par donation vers un métal. r une déprotonation supplémentaire du carbodiphosphorane 3 rend le carbone central plus basique que le carbone du dernier méthyle non pontant ; il y a alors prototropie depuis le groupement CH3Ph2P- jusqu’au groupement P-C-P pour donner 4 (équation 23).141

Aucune double déprotonation de l’espèce 3 n’a été reportée jusqu’à présent dans la littérature. En revanche, l’utilisation d’éléments plus électronégatifs que le carbone en lieu et place des méthyles a permis cette double déprotonation (Schéma

Schéma 19 : Analogies isolobales entre les monoanions et dianions phosphorés et d’éventuels

dérivés des carbodiphosphoranes.131

Les dianions de type A-B142,143,144 sont obtenus de manière quantitative avec différents contre-cations et sont isolables. Leur chimie de coordination a été développée à partir des années 2000, notamment par les équipes de Cavell, de Liddle et au sein du laboratoire, en particulier en ce qui concerne les espèces A et C.1

III.2 Synthèse et réactivité de complexes porteurs d’un dianion