• Aucun résultat trouvé

Chapitre II. Carbènes de Scandium

II.2 Structures électroniques des complexes de scandium

II.2.1 Diagrammes orbitalaires

Une méthode usuellement utilisée pour la description des diagrammes orbitalaires des complexes organométalliques est l’analyse par décomposition de charge (CDA)38,39 qui permet de quantifier les interactions entre un ligand et le bloc d d’un fragment métallique en termes de donation-rétrodonation (dans le modèle de Chatt, Dewar et Duncanson).40,41 Ce type de décomposition appliqué aux complexes 2b,

3 et 4 n’est pas validé : les termes résiduels, qui correspondent aux interactions entre

orbitales vacantes, et donc idéalement nuls, sont trop importants (par exemple pour

2b le terme résiduel total est de -2, , l’orbitale H M -2 comptant pour 0,1). Ceci peut

signifier qu’il y a une trop grande part de covalence dans les interactions entre le dianion et le métal,42 ou encore que les propriétés chélates du dianion ne sont pas compatibles avec cette méthode. Les diagrammes orbitalaires présentés ont donc été construits à partir de l’observation des orbitales moléculaires frontières du complexe et des fragments isolés. L’objectif est d’analyser la localisation des développements de la fonction d’onde (ou de son module au carré, qui représenterait une densité électronique partielle) au sein des orbitales moléculaires frontières de chaque complexe, et d’identifier parmi ces orbitales moléculaires frontières celles qui semblent rendre compte d’un schéma d’interaction clair entre deux ou plusieurs orbitales frontières des fragments dont les fonctions d’ondes seraient particulièrement développées sur le carbone d’une part, le scandium d’autre part : interaction de symétrie σ ou π, à deux électrons et deux orbitales ou 2 électrons et trois orbitales, etc....

II.2.1.a

Complexe 2b

La structure optimisée du complexe 2b est en bon accord avec les données cristallographiques, avec des écarts compris entre 0,03 et 0,01 Å pour les interactions dans la sphère de coordination, une distance Sc-C de 2,210 Å et des distances P-C de 1,666 Å ; le plus grand écart apparaît pour le chlore, à 2,434 Å du scandium au lieu de 2,462(1) Å.

Comme on peut le voir en Figure 9, l’orbitale haute occupée H M est de symétrie π, l’orbitale haute occupée suivante H M -1 est de symétrie σ. Elles décrivent des interactions liantes entre respectivement la paire p libre du carbone et l’orbitale dyz du scandium, et la paire σ libre du carbone et l’orbitale dz² du scandium. Toutes deux sont principalement développées sur le carbone, avec des coefficients sur les atomes de soufre sans recouvrement significatif avec les orbitales d du scandium.

Aucun développement de la fonction d’onde n’est observé sur le chlore dans l’orbitale HOMO l’interaction de symétrie π entre le chlore et le scandium est quasi-inexistante, comme le révèle l’orbitale moléculaire H M -5 qui représente essentiellement la paire p du chlore de même symétrie que la paire p du carbone ; on remarque que la participation de l’orbitale atomique centrée sur le scandium à la fonction d’onde décrivant l’orbitale moléculaire H M -5 est très faible. Ainsi, le chlore en position

trans n’est pas un facteur de déstabilisation de l’interaction π.

En revanche, pour l’orbitale H M -1 de symétrie σ, l’interaction antiliante entre le chlore et le scandium est assez importante ; le chlore en position trans augmente l’énergie de l’orbitale d avec laquelle le carbone interagit dans un second ordre. Ce ligand trans est donc déstabilisant de l’interaction σ uniquement.

HOMO

HOMO-1

HOMO-5

Figure 9 : Diagramme d’interaction orbitalaires entre les orbitales frontières des fragments

(DPPMS2)2ˉ et [ScCl(Py)2]2+ rendant compte des orbitales frontières du complexe 2b, et représentation des orbitales de Kohn-Sham correspondantes pour une valeur de 0,036 e.Å-3. Les énergies sont données en eV.

Ce diagramme orbitalaire va dans le sens d’une interaction multiple entre le carbone central et le scandium ; le premier devrait se comporter comme un nucléophile fort, étant donné le large coefficient porté par le carbone sur l’orbitale moléculaire haute occupée ; cependant la faible participation du scandium à cette

orbitale moléculaire de symétrie π suggère que cette interaction est relativement faible, et pourrait être modifiée facilement.

On remarque dans toutes ces orbitales moléculaires un développement relativement important des fonctions d’ondes sur le ligand, avec les symétries des liaisons σ*(P-CPh) notamment. Pour tenter de quantifier le transfert électronique du carbone vers le scandium, et comparer son importance par rapport à la stabilisation par hyperconjugaison négative dans le ligand, des calculs NBO ont été menés et sont présentés en partie II.2.2.

II.2.1.b

Complexe 3

La structure optimisée du complexe 3 est en bon accord avec les données expérimentales, avec un écart dans les distances d’au plus , Å, à l’exception des distances soufre-lithium qui sont sous-estimées de 0,06 Å en moyenne. En fait, la majorité des écarts est portée par l’un des deux ligands, l’autre étant très proche de la structure cristallographique. On a notamment une légère élongation de toutes les distances autour du carbone, en même temps qu’un raccourcissement des liaisons S-Li et S-Sc sur ce ligand.

La question est de savoir si l’interaction carbone-scandium est préservée dans les deux symétries σ et π au sein des deux ligands, malgré leur position en trans l’un de l’autre.

La structure du complexe 3 est proche d’une symétrie C2, l’axe C2 reliant le scandium au lithium (Figure 10).

Figure 10 : Représentations irréductibles des groupes de symétries C2 et C2v pour le complexe 3 et son analogue anionique, construites à partir des orbitales 3d du scandium et des doublets σ et π des carbones PCP.

Sans le lithium, ce serait un groupe C2v pour lequel chaque doublet π par rapport à un plan PCP est porteur d’une symétrie différente ; chacun interagirait donc avec une orbitale d différente. L’orbitale H M - représente l’une de ces interactions quasi-exclusive entre le scandium et un doublet π (Figure 11).

Dans le groupe de symétrie C2, les doublets non liants de symétrie π par rapport à chacun des plans PCP sont un mélange d’orbitales px et pz, tandis que les doublets de symétrie σ sont coaxiaux le long de l’axe y. Pour chaque type de doublet, deux combinaisons sont désormais possibles, l’une de symétrie A, l’autre de symétrie B. n pourrait donc avoir un mélange important des doublets π et σ portés par les carbones dans l’interaction avec le scandium.

Cependant, la combinaison de symétrie A des doublets σ semble trop stabilisée par son interaction avec l’orbitale dx²-y² du scandium (HOMO-5, Figure 11) pour se mélanger avec la combinaison de même symétrie A des doublets π, d’autant plus que le recouvrement avec cette orbitale dx²-y² est principalement développée dans le plan nodal de chacun de ces doublets π. Cette combinaison π interagit donc préférentiellement avec l’orbitale dxy pour former l’orbitale moléculaire H M -1 (Figure 11), avec une forte réminiscence de la symétrie B1 du groupe C2v, mais un recouvrement faible avec l’orbitale du scandium en revanche, la combinaison σ de symétrie B dans le groupe C2, qui ne peut interagir avec une orbitale 4p du scandium trop haute en énergie, est stabilisée par mélange avec la combinaison de symétrie B des doublets π, de réminiscence B2. Les orbitales HOMO et HOMO-2 sont le résultat de cette interaction (Figure 11).

Dans ce complexe, la symétrie réduite provoque un mélange des interactions σ et π ; il apparaît cependant que le système σ interagit de manière significative avec le métal (HOMO-5 et forte participation aux orbitales HOMO et HOMO-2), tandis que les doublets π ne bénéficient pas d’orbitales d de symétrie adaptée. Si la présence d’un ion lithium n’imposait pas cette symétrie, comme c’est le cas dans les complexes ESm et

ETm, il y aurait deux orbitales d orthogonales dans le groupe C2V résultant, disponibles pour deux interactions séparées avec les deux doublets π. Il est assez difficile d’évaluer le caractère π des interactions carbone-scandium dans ce cas précis à l’aide d’un simple diagramme d’interaction. Plus particulièrement encore que dans le cas du complexe 2b, un modèle local peut se révéler utile pour la description de la liaison carbone-métal dans le complexe 3 (cf partie II.2.2).

HOMO, B

HOMO-1, « B2 »

HOMO-2, B

HOMO-5, A Figure 11 : Diagramme d’interaction orbitalaires entre les orbitales frontières des fragments

[(DPPMS2)2ˉ]2 et Sc3+ rendant compte des orbitales frontières du complexe 3. Représentation des orbitales de Kohn-Sham du complexe 3 à une valeur de 0,042 e.Å-3 pour les orbitales les plus représentatives des interactions carbone-scandium.

II.2.1.c

Complexe 4

La structure du complexe 4 n’ayant pas d’éléments de symétrie, une analyse qualitative rigoureuse est délicate ; la Figure 12 donne une représentation des orbitales frontières de ce complexe.

HOMO HOMO-1 HOMO-3

Figure 12 : Représentation des orbitales de Kohn-Sham du complexe 4 à une valeur de 0.036 e.Å- 3 pour les orbitales les plus représentatives des interactions carbone-scandium.

Les deux premières orbitales hautes occupées HOMO et HOMO-1 sont similaires à ce qui a été observé pour 2b, avec cependant un caractère antiliant moins marqué de la paire σ du ligand monoanionique en « trans » dans l’orbitale H M -1. Cette paire interagit en fait préférentiellement avec une orbitale de type dxz (HOMO-3, Figure 12), si l’on attribue une symétrie dx²-y² à l’orbitale d développée dans l’orbitale H M -1. Ainsi l’interaction antiliante au sein de l’orbitale porteuse du plus fort caractère liant carbone scandium de symétrie σ est relativement peu déstabilisante. On peut espérer une meilleure donation σ de cette orbitale fragment σ du dianion vers le scandium que dans le cas de 2b. D’autre part, l’allure de l’orbitale H M - dément l’idée d’une interaction carbone-scandium purement ionique entre le scandium et le carbone PCHP du monoanion.

L’orbitale H M , qui présente un recouvrement de symétrie π liant entre le carbone et le scandium, est également très similaire à celle du complexe 2b, avec l’absence de développement de la fonction d’onde électronique sur le ligand en trans.

Finalement, le complexe 4 présente lui aussi des orbitales rendant compte de deux interactions carbone-scandium liantes σ et π, dans une configuration à première vue encore plus favorable à ce type d’interactions que dans les deux cas précédents 2b et 3.

II.2.1.d

Conclusion sur les diagrammes orbitalaires

Bien que l’examen de la répartition des développements de la fonction d’onde électronique au sein des orbitales de Kohn-Sham montre l’existence de recouvrements positifs nécessaires à l’établissement d’une interaction multiple entre le carbone et le scandium dans le cas des complexes 2b et 4, cet examen montre également un développement important de la fonction d’onde sur d’autres atomes du ligand, en particulier sur les substituants du phosphore. L’interaction avec le métal pourrait ainsi, dans ces orbitales, être comparable, voire même négligeable, devant les interactions d’hyperconjugaison au sein du ligand.

D’autre part, dans le cas du complexe 4, le mélange des symétries ne permet pas de conclure quant au caractère multiple des interactions carbone-métal ; en effet, une unique orbitale moléculaire montre clairement une interaction carbone-scandium de symétrie π, mais avec une très faible participation du scandium. La donation carbone- métal pourrait n’être que σ et être « répartie » sur par plusieurs orbitales moléculaires.

Ceci nous ramène au problème heuristique de la définition de la liaison chimique, qui est usuellement décrite comme un phénomène localisé entre un nombre restreint d’atomes, tandis que les fonctions d’ondes des orbitales moléculaires sont développées sur l’ensemble du système. Des méthodes ont été développées pour réinterpréter la densité électronique totale et décrire ses propriétés de manière locale. L’utilisation de l’une de ces méthodes fait l’objet du paragraphe suivant.