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Utiliser un langage d’action positif

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 89-95)

En premier lieu, nous disons ce que nous voulons plutôt que ce que nous ne voulons pas. « Comment fait-on un ne fais pas ? »

demandait Ruth Bebermeyer dans une chanson pour enfants. « Tout ce que je sais, c’est que je ressens un je ne veux pas quand tu me dis de faire un ne fais pas. » Ces paroles soulèvent deux problèmes que l’on rencontre souvent lorsque les demandes sont formulées à la forme négative : notre interlocuteur ne sait pas ce qui est vraiment demandé et, de plus, les demandes négatives risquent de provoquer une réaction de résistance.

Formuler nos demandes en « langage d’action positif ».

Lors d’une session, une participante qui ne supportait plus de voir son mari passer tant de temps au bureau nous raconta comment sa requête s’était retournée contre elle : « Je lui avais demandé de passer moins de temps au bureau. Trois semaines plus tard, il réagit en m’annonçant qu’il s’était inscrit à un tournoi de golf ! » Elle avait réussi à lui dire ce qu’elle ne voulait pas – qu’il passe trop de temps au bureau – mais n’avait pas su lui demander ce qu’elle voulait.

Encouragée à reformuler son souhait, elle réfléchit un instant et dit :

« J’aurais dû lui dire que je voudrais qu’il passe au moins une soirée par semaine à la maison avec les enfants et avec moi. »

Pendant la guerre du Viêt-nam, je fus invité à la télévision pour participer à un débat contradictoire sur le conflit. L’émission ayant été enregistrée sur vidéo, je visionnai la cassette en rentrant chez moi. Je fus très contrarié en constatant que j’avais adopté des modes de communication que j’aurais préféré ne pas utiliser. « Si je me retrouve un jour dans un autre débat public, me dis-je, je me jure de ne pas refaire ce que j’ai fait ici ! Je ne serai pas sur la défensive, je ne les laisserai pas me ridiculiser. » Je raisonnais alors en termes de ce que je ne voulais pas faire, et non de ce que je voulais faire.

J’eus l’occasion de me racheter dès la semaine suivante, lorsque je fus convié à poursuivre le débat dans la même émission. Sur le trajet du studio, je me répétai intérieurement tout ce que je ne voulais plus faire. Dès le début de l’émission, mon contradicteur reprit exactement comme la semaine précédente. Pendant les dix secondes qui suivirent son intervention, je parvins à me conformer à ce que je

m’étais juré d’éviter. En fait, je ne dis rien du tout, je restai simplement assis là. Mais dès que j’ouvris la bouche, je me surpris à reproduire tout ce que j’étais si déterminé à éviter ! C’est ainsi que j’appris à mes dépens ce qui peut se passer lorsque je n’identifie que ce que je ne veux pas faire, sans préciser ce que je veux faire.

En une autre occasion, je fus invité à travailler avec des lycéens qui en voulaient énormément à leur proviseur. Ils lui reprochaient entre autres choses d’être raciste et cherchaient des moyens de se venger.

Un pasteur qui travaillait en étroite collaboration avec eux craignait que ces tensions ne débouchent sur une explosion de violence. Par égard pour le pasteur, les jeunes gens acceptèrent de me rencontrer.

Ils commencèrent par décrire l’attitude du proviseur, qu’ils qualifiaient de discriminatoire. J’écoutai une partie de leurs griefs, puis leur proposai de préciser ce qu’ils attendaient du proviseur.

« À quoi bon ? fit l’un en haussant les épaules d’un air désabusé.

Nous sommes déjà allés le voir pour lui dire ce que nous voulions. Il nous a simplement répondu : “Sortez d’ici ! Ce n’est tout de même pas vous autres qui allez me dire ce que j’ai à faire !” »

Que lui avaient-ils donc demandé ? Ils se souvenaient lui avoir déclaré qu’ils ne voulaient pas qu’il leur dise comment se coiffer. Je suggérai qu’ils auraient peut-être suscité plus d’ouverture s’ils avaient clairement exprimé ce qu’ils voulaient plutôt que ce qu’ils ne voulaient pas. Ils lui avaient également fait part de leur désir d’être traités avec impartialité. Le proviseur s’était alors braqué, réfutant vigoureusement avoir jamais été partial. Je me risquai à deviner que le proviseur aurait réagi plus favorablement s’ils lui avaient demandé des actes précis plutôt qu’une attitude vague, comme de l’« impartialité ».

Nous avons donc travaillé ensemble sur les façons d’exprimer concrètement ce qu’ils voulaient plutôt que ce qu’ils ne voulaient pas.

À la fin de la séance, les étudiants avaient précisé trente-huit mesures qu’ils désiraient demander au proviseur d’adopter, parmi lesquelles : « Nous aimerions que des représentants des étudiants noirs participent aux décisions sur le code vestimentaire » et « Nous aimerions que vous vous adressiez à nous en utilisant le terme d’“étudiants noirs” et non de “vous autres” ». Le lendemain, ils présentèrent leurs requêtes au proviseur en employant le « langage d’action positif » que nous avions pratiqué ; ce même soir, ils

m’appelèrent, ravis : leur proviseur avait accédé à toutes leurs demandes !

Outre l’emploi du langage d’action positif, il convient également d’éviter les formulations vagues, abstraites ou ambiguës et de s’efforcer de demander des actes concrets que l’autre puisse entreprendre. Dans un dessin humoristique, un homme tombé à l’eau se débat et crie à son chien : « Médor, va demander de l’aide ! » À l’image suivante, le chien est allongé sur le divan d’un psychanalyste. Comme nous le savons tous, la notion d’aide ne recouvre pas la même réalité pour tout le monde : dans ma famille, certains sont ainsi persuadés qu’aider à la vaisselle signifie inspecter les travaux finis !

Lors d’un atelier, un couple qui traversait une période de crise nous donna une autre illustration de la façon dont un langage vague peut entraver la compréhension et la communication. « Je veux que tu me laisses être moi-même », déclara l’épouse. « Mais c’est bien ce que je fais ! » rétorqua le mari. « Pas du tout ! » répondit-elle. Je lui demandai de reformuler sa demande en langage d’action positif. Elle reprit : « Je veux que tu me donnes la liberté de m’épanouir et d’être moi-même. » Cette déclaration, tout aussi vague, appelait une réaction de défense. Elle réfléchit à une formulation plus claire et finit par reconnaître : « C’est un peu embarrassant, mais, pour être précise, je pense que ce que je veux, c’est que tu sois souriant et que tu approuves tout ce que je fais. » L’emploi d’un langage vague et abstrait masque souvent ce type de jeux oppressifs entre individus.

Les demandes formulées dans un langage d’action clair, positif et concret révèlent ce que nous voulons vraiment.

C’était le même manque de précision qui entravait les relations d’un père et de son fils de quinze ans venus me consulter. « Tout ce que je veux, c’est que tu commences à te montrer un peu responsable. Je ne demande tout de même pas la lune ! » déclara le père. Je lui demandai ce qu’à son sens son fils devait faire pour prouver qu’il était responsable. Après une discussion sur la façon de

préciser sa demande, le père reprit, un peu piteux : « Ça a l’air idiot, mais lorsque je dis que je voudrais qu’il soit responsable, en fait, j’attends qu’il fasse ce que je lui demande, qu’il saute quand je lui dis de sauter – et avec le sourire. » Il convint alors que si son fils se comportait ainsi, il témoignerait davantage d’obéissance que de responsabilité.

Comme ce père, nous utilisons souvent un langage imprécis et abstrait pour indiquer à l’autre la façon dont nous voudrions qu’il se comporte ou qu’il réagisse, mais sans lui demander une action concrète qui lui permettrait d’y parvenir. Prenons le cas d’un patron qui fait un effort sincère pour inviter ses employés à lui donner un feed-back : « Je voudrais que vous vous exprimiez librement en ma présence. » Par cette déclaration, le patron communique son désir de voir ses employés « s’exprimer librement », mais ne dit pas ce qu’ils pourraient faire pour se sentir libres. Il pourrait utiliser un langage d’action positif pour formuler sa demande : « J’aimerais que vous me disiez ce que je pourrais faire pour vous encourager à vous exprimer librement en ma présence. »

Je voudrais vous présenter un dernier exemple qui montre comment l’emploi d’un langage imprécis suscite la confusion. Il s’agit du dialogue que j’établissais systématiquement avec les patients qui venaient me voir pour une dépression, à l’époque où j’exerçais comme psychologue clinicien. J’écoutais avec empathie les sentiments profonds qu’exprimait mon patient, puis notre conversation prenait invariablement le tour suivant.

Un langage imprécis sème la confusion.

MBR : Qu’est-ce que vous voudriez que vous ne recevez pas ? PATIENT : Je ne sais pas ce que je veux.

MBR : Je m’attendais à ce que vous disiez cela.

PATIENT : Pourquoi ?

MBR : Je suis persuadé que nous sombrons dans un état dépressif parce que nous n’obtenons pas ce que nous voulons, et nous n’obtenons pas ce que nous voulons parce que nous n’avons jamais appris à l’obtenir. Nous avons en revanche appris à être

des enfants modèles, des parents modèles. Si nous tenons à correspondre à ces modèles, autant nous habituer à être déprimés. La dépression est la récompense que nous obtenons pour notre conformité. Mais si vous voulez vous sentir mieux, j’aimerais que vous précisiez ce que vous voudriez que les autres fassent pour que votre vie soit plus agréable.

PATIENT : J’aimerais simplement que quelqu’un m’aime. Ce n’est tout de même pas trop demander, non ?

MBR : C’est un bon début mais, concrètement, que pourraient faire les autres qui satisfasse votre besoin d’être aimé ? Par exemple, que pourrais-je faire ici et maintenant ?

PATIENT : Vous savez bien…

MBR : Non, je ne suis pas certain de savoir. Je voudrais que vous me disiez ce que vous aimeriez que je fasse ou que les autres fassent pour vous donner l’affection que vous recherchez.

PATIENT : C’est difficile.

MBR : En effet, il peut être difficile de formuler des demandes claires. Mais dites-vous bien que les autres auront beaucoup de mal à répondre à notre demande si nous ne savons pas nous-mêmes ce que nous voulons !

PATIENT : Je commence à entrevoir ce que j’attends des autres pour satisfaire mon besoin d’amour, mais c’est gênant.

MBR : En effet, c’est très souvent gênant. Alors, quels actes attendez-vous de moi ou des autres ?

PATIENT : Je voudrais que vous deviniez ce que je veux avant même que je n’en prenne moi-même conscience. Et je voudrais que vous le fassiez toujours.

MBR : Je vous remercie de votre précision. Vous concevez maintenant, j’espère, que vous n’avez pas de grandes chances de trouver quelqu’un qui puisse satisfaire votre besoin d’amour s’il faut en passer par là.

La dépression est la récompense que nous obtenons pour notre conformité

Dans la plupart des cas, mes patients parvenaient à comprendre que leur sentiment d’insatisfaction et leur dépression provenaient largement du fait qu’eux-mêmes ne savaient pas très bien ce qu’ils attendaient des autres.

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