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La présence : ne te contente pas d’agir, sois là

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 116-120)

L’empathie est une façon de comprendre avec respect ce que les autres vivent. Selon le philosophe chinois Tchouang-Tseu, l’empathie véritable exige que l’on écoute de tout son être : « L’écoute

exclusivement auditive est une chose. L’écoute intellectuelle en est une autre. Mais l’écoute de l’esprit ne se limite pas à une seule faculté – l’audition ou la compréhension intellectuelle. Elle requiert un état de vacuité de toutes les facultés. Lorsque cet état est atteint, l’être tout entier est à l’écoute. On parvient alors à saisir directement ce qui est là, devant soi, ce qui ne peut jamais être entendu par l’oreille ou compris par l’esprit. »

L’empathie : faire le vide dans notre esprit et écouter de tout notre être

Dans la relation à l’autre, il n’y a empathie qu’à partir du moment où nous parvenons à écarter tous préjugés et jugements à son égard.

Martin Buber, philosophe israélien d’origine autrichienne, décrivait cette qualité de présence que la vie exige de nous : « Malgré toutes les ressemblances, toute situation de vie a, comme un nouveau-né, un visage unique, qui n’a jamais existé auparavant et que l’on ne retrouvera jamais plus. Elle appelle une réaction qui ne peut être préméditée. Elle ne demande rien qui appartienne au passé. Elle appelle une présence, une responsabilité. Elle appelle l’être tout entier. »

Il n’est pas facile de soutenir cette qualité de présence que requiert l’empathie. « La capacité à accorder son attention à quelqu’un qui souffre est quelque chose de très rare et de très difficile. C’est presque un miracle. C’est un miracle, affirmait la philosophe française Simone Weil. Parmi tous ceux qui pensent posséder cette capacité, rares sont ceux qui l’ont. » Au lieu de témoigner de l’empathie, nous avons tendance à nous laisser aller à donner des conseils ou à rassurer et à exposer notre propre opinion ou sentiment. Or l’empathie veut que nous portions toute notre attention sur le message de l’autre, que nous accordions à l’autre le temps et l’espace dont il a besoin pour s’exprimer pleinement et se sentir compris. Un précepte bouddhiste décrit bien cette capacité :

« Ne te contente pas d’agir, sois là. »

Lorsque l’on a besoin d’empathie, il est souvent frustrant d’avoir en face de soi quelqu’un qui part du principe que l’on veut être rassuré

ou obtenir une « recette miracle ». J’ai à cet égard reçu une leçon de ma fille, qui m’a appris à m’assurer de ce que demande mon interlocuteur avant de proposer un conseil ou des paroles de réconfort. Un jour qu’elle se regardait dans un miroir, je l’entendis dire : « Je suis laide comme un pou ! »

« Allons ! répondis-je. Tu es la plus belle créature que Dieu ait mise sur terre. » Elle me fusilla du regard et, exaspérée, s’exclama : « Oh, je t’en prie, papa ! » Puis elle sortit en claquant la porte. Je compris par la suite qu’elle avait en fait demandé un peu d’empathie. Au lieu de lui offrir un réconfort inopportun, j’aurais pu lui demander : « Es-tu déçue par ton apparence, aujourd’hui ? »

Mon amie Holley Humphrey a repéré un certain nombre de comportements classiques qui nous empêchent d’offrir à l’autre une qualité de présence suffisante pour établir avec lui une relation d’empathie. Voici quelques exemples d’obstacles de ce type.

Conseiller : « Je pense que tu devrais… » « Pourquoi n’as-tu pas… ? »

Surenchérir : « Oh, ce n’est rien, ça. Regarde, moi… »

Moraliser : « Tu pourrais tirer parti de cette expérience situ… »

Consoler : « Ce n’était pas ta faute. Tu as fait de ton mieux. » Dévier sur des anecdotes : « Ça me rappelle l’époque où… » Clore la question : « Allons, remets-toi. Ne fais pas cette tête. »

Compatir : « Oh, mon pauvre… »

Interroger : « Quand est-ce que ça a commencé ? » Expliquer : « Je t’aurais bien appelé, mais… »

Corriger : « Ça ne s’est pas passé comme ça. »

Dans son ouvrage Pourquoi le malheur frappe ceux qui ne le méritent pas, le rabbin Harold S. Kushner raconte combien il lui fut douloureux, alors que son fils agonisait, d’entendre des paroles censées atténuer sa douleur. Mais il lui fut plus pénible encore de reconnaître que, depuis vingt ans, il disait exactement les mêmes choses à ceux qui traversaient ce type d’épreuve !

Demander avant d’offrir conseils ou propos rassurant.

Dès lors que nous pensons devoir résoudre des situations et réconforter les autres, nous ne pouvons plus être présents. Cet écueil nous guette tout particulièrement lorsque nous remplissons un rôle de conseiller ou de psychothérapeute. Travaillant un jour avec vingt-trois professionnels de la santé mentale, je leur demandai d’écrire mot pour mot ce qu’ils répondraient à un patient qui leur dirait : « Je me sens très déprimé. Je ne vois aucune raison de continuer à vivre. » Je ramassai les « copies » et annonçai : « Je vais maintenant lire à haute voix ce que chacun d’entre vous a écrit. Mettez-vous dans la peau du patient qui a exprimé son sentiment de dépression et levez la main dès que vous entendrez une réponse qui vous donne le sentiment d’avoir été compris. » Sur les vingt-trois réponses, seules trois suscitèrent des réactions favorables. Les autres étaient pour la plupart des questions telles que : « Depuis quand êtes-vous dans cet état ? » Elles donnent l’impression que le psychothérapeute cherche à cerner les données qui lui permettront de poser son diagnostic, puis de traiter le problème. Or cette approche intellectuelle exclut la qualité de présence que requiert l’empathie. Lorsque nous analysons ses paroles et que nous cherchons à les intégrer à nos théories, nous observons l’autre, mais nous ne sommes pas avec lui. L’empathie est avant tout fondée sur la présence : nous sommes pleinement présent à l’autre et à ce qu’il éprouve.

L’approche intellectuelle entrave l’empathie.

Voici les trois réponses qui obtinrent l’aval des psychothérapeutes : sur le premier billet, il était simplement indiqué « Silence, avec attention non verbale clairement portée vers le patient » ; sur le deuxième on pouvait lire « Vous êtes apparemment au bout du rouleau et la seule envie qui vous reste, c’est de trouver n’importe quel moyen pour arrêter de souffrir, c’est ça ? » et sur le troisième :

« Est-ce que vous vous sentez désespéré au point que vous n’arrivez plus à trouver de sens à votre vie ? » Cette qualité de présence

distingue l’empathie de la compréhension intellectuelle ou de la sympathie. Si nous pouvons parfois choisir de compatir avec l’autre en partageant ses sentiments, il convient de garder à l’esprit qu’il s’agit de sympathie, et non pas d’empathie.

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 116-120)