• Aucun résultat trouvé

Autres formes de communication aliénante

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 37-43)

Le langage peut également entraver la bienveillance lorsque nous exprimons nos désirs sous forme d’exigences. En soi, l’exigence fait explicitement ou implicitement planer sur le destinataire la menace d’un reproche ou d’une punition au cas où il ne s’y plierait pas. Il s’agit dans notre culture d’un mode de communication courant, notamment parmi ceux qui occupent des postes leur conférant quelque autorité.

Dans ce domaine, mes enfants m’ont donné de précieuses leçons.

Pour une raison ou pour une autre, je m’étais mis dans la tête que j’avais pour tâche en tant que père d’exiger un certain nombre de choses. J’ai néanmoins appris que je pouvais formuler toutes les exigences possibles et imaginables, mais que je ne parviendrais pas pour autant à faire faire quoi que ce soit aux enfants. C’est une leçon d’humilité pour ceux qui sont persuadés que, parce qu’ils sont parents, enseignants ou chefs, leur rôle est de changer les autres et de dicter leur comportement. Ces gamins m’ont fait comprendre que je ne pouvais pas les mener par le bout du nez. Tout au plus pouvais-je leur faire regretter de n’avoir pas accédé à mes exigences – en les punissant. Mais, au bout du compte, ils m’ont appris que, lorsque j’avais été assez stupide pour les punir, c’est eux qui trouvaient le moyen de me le faire regretter !

Il n’est pas en notre pouvoir de faire faire quelque chose à quelqu’un.

Nous reviendrons sur ce thème en apprenant à établir la distinction fondamentale en CNV entre exigences et demandes.

La communication aliénante est également associée à l’idée selon laquelle certaines actions méritent récompense, tandis que d’autres

méritent punition. Le verbe « mériter » (« Il mérite d’être puni pour ce qu’il a fait ») est d’ailleurs tout à fait révélateur de cet état d’esprit, en ceci qu’il suppose un « tort » de la part de celui qui se comporte d’une certaine façon et appelle une punition pour l’obliger à se repentir et à amender son comportement. Je suis persuadé qu’il est dans l’intérêt de tous que les gens changent, non pour échapper à la sanction, mais parce que eux-mêmes perçoivent que ce changement leur sera bénéfique.

Penser à « qui mérite quoi » bloque la communication emphatique.

Nous avons pour la plupart été élevés avec un langage qui nous pousse à étiqueter, catégoriser, exiger et porter des jugements, plutôt qu’à prendre conscience de nos sentiments et de nos besoins. Cette communication aliénante trouve, selon moi, ses origines dans des conceptions de la nature humaine ancrées dans les mentalités depuis plusieurs siècles, et qui soulignent le mal et les défaillances qui sont en nous et la nécessité d’une éducation pour contrôler notre nature par essence médiocre. Or cette éducation nous engage souvent à nous demander s’il y a quelque chose de faux dans les sentiments et les besoins que nous éprouvons, et nous apprenons très tôt à nous fermer à l’écoute intérieure.

La communication aliénante est à la fois un produit et un pilier des sociétés fondées sur des principes de hiérarchie ou de domination.

Lorsqu’un petit nombre de personnes (rois, tsars, nobles, etc.) dirigent à leur profit une population nombreuse, il est dans leur intérêt que les masses soient éduquées de manière à développer une mentalité d’asservi. Le langage réprobateur des « je dois » et « il faut » est parfaitement adapté à cet objectif : plus les gens sont formés à adopter des jugements moralisateurs qui mettent l’accent sur les fautes et les torts, plus ils sont conditionnés à se tourner vers ce qui se passe en dehors d’eux-mêmes, c’est-à-dire vers des autorités extérieures, pour trouver la définition de ce qui est bien ou mal, bon ou mauvais. Lorsque nous sommes reliés à nos sentiments

et à nos besoins, nous, les êtres humains, nous ne constituons plus des sujets dociles et soumis.

La communication aliénante a des racines philosophiques et politiques très profondes.

Résumé

Il est dans notre nature d’aimer donner et recevoir du fond du cœur. Nous avons cependant appris plusieurs formes de « langage aliénant » qui nous conduisent à nous exprimer ou à nous comporter de manière blessante vis-à-vis des autres et de nous-mêmes. L’une de ces formes de communication aliénante consiste à utiliser des jugements moralisants qui impliquent que ceux dont le comportement ne correspond pas à nos valeurs ont tort ou sont mauvais. Une autre repose sur les comparaisons, qui peuvent entraver la bienveillance envers nous-mêmes comme à l’égard d’autrui. La communication aliénante nous empêche aussi de prendre pleinement conscience que chacun est responsable de ses pensées, de ses sentiments et de ses actes. Une autre caractéristique de ce type de communication consiste à communiquer ses désirs sous forme d’exigences.

« Observez ! Peu de choses sont plus importantes, plus religieuses que cela. »

FREDERICK BUECHNER, pasteur

Je peux admettre que tu me dises Ce que j’ai fait ou n’ai pas fait.

Et je peux admettre tes interprétations, Mais je t’en prie, ne mélange pas les deux.

Si tu veux semer la confusion Voici un bon moyen

Mélange ce que j’ai fait Avec tes propres réactions Dis-moi que tu es déçue

En voyant mes diverses tâches inachevées

Mais ce n’est pas en me traitant d’irresponsable Que tu parviendras à me motiver

Dis-moi que tu te sens blessée Lorsque je dis non à tes avances,

Mais ce n’est pas en me traitant d’homme froid et insensible Que tu m’attireras à toi.

Oui, je peux admettre que tu me dises

Ce que j’ai fait ou n’ai pas fait

Et je peux admettre tes interprétations Mais je t’en prie, ne mélange pas les deux.

MARSHALL B. ROSENBERG

La première composante de la CNV consiste à séparer observation et évaluation. Il nous est proposé d’observer clairement ce que nous voyons, entendons ou touchons et qui affecte notre bien-être, sans y mêler la moindre évaluation.

Les observations sont un élément important de la CNV. Nous souhaitons en effet indiquer à l’autre de façon claire et sincère où nous en sommes. Or, si nous amalgamons observation et évaluation, nous avons peu de chances d’être entendus. Notre interlocuteur, se voyant critiqué, va probablement se fermer.

La CNV n’impose pas pour autant une parfaite objectivité, exempte de tout jugement. Il s’agit simplement de bien séparer nos observations de nos évaluations. La CNV est à cet égard un langage dynamique qui écarte les généralisations figées et invite au contraire à fonder les évaluations sur des observations correspondant à un moment et à un contexte donnés. Comme le souligne le sémanticien Wendell Johnson, nous nous compliquons singulièrement la vie en utilisant un langage figé pour exprimer ou saisir une réalité par essence mouvante : « Notre langage est un instrument imparfait créé par des hommes ignorants et archaïques. C’est un langage animiste qui nous engage à parler de stabilité et de constantes, de similitudes, de normes et de types, de métamorphoses magiques, de remèdes rapides, de problèmes simples et de solutions définitives. Or, le monde que nous nous efforçons de rendre par ce langage est un monde dynamique et complexe fait de changements, de différences, de dimensions, de fonctions, de relations, d’êtres en croissance, d’interactions, d’évolutions, d’apprentissages, d’adaptations. Et le décalage entre ce monde en constante évolution et notre langage relativement figé constitue une partie de notre problème. »

Lorsque nous amalgamons observation et évaluation, notre interlocuteur risque d’entendre

une critique.

Une chanson de ma collègue Ruth Bebermeyer oppose langage dynamique et langage statique, illustrant la différence entre observation et évaluation.

Je n’ai jamais vu d’homme paresseux ;

J’ai connu quelqu’un que je n’ai jamais vu courir, Quelqu’un qui dormait parfois l’après-midi

Et préférait rester chez lui lorsqu’il pleuvait.

Mais ce n’était pas un paresseux.

Avant de me traiter d’originale, réfléchis : Était-il paresseux

Ou faisait-il des choses

Que nous associons à la paresse ? Je n’ai jamais vu d’enfant stupide ; J’ai vu parfois un enfant faire

Des choses que je ne comprenais pas Ou que je n’avais pas prévues.

J’ai vu parfois un enfant qui n’avait pas vu Les lieux que j’avais visités,

Mais ce n’était pas un enfant stupide.

Avant de le dire stupide, réfléchis : Était-il stupide

Ou savait-il simplement d’autres choses que toi ? J’ai regardé tant que j’ai pu,

Mais je n’ai jamais vu de cuisinier.

J’ai vu quelqu’un qui préparait des plats Pour notre repas,

Quelqu’un qui allumait le gaz

Et surveillait la cuisson de la viande.

J’ai vu tout cela, mais pas de cuisinier.

Dis-moi, quand tu regardes, Est-ce un cuisinier que tu vois,

Ou quelqu’un qui fait ce que nous appelons cuisiner ?

Ce que certains nomment paresse

Est pour d’autres de la fatigue ou de la détente.

Ce que certains nomment bêtise

Est pour d’autres un savoir différent.

J’en conclus que, pour échapper à la confusion, Mieux vaut ne pas mélanger

Ce que nous voyons et nos opinions.

Et cela, je le sais,

N’est que mon opinion.

L’effet d’une étiquette négative telle que « paresseux » ou

« stupide » saute aux yeux, mais une étiquette positive ou apparemment neutre telle que « cuisinier » limite également notre perception d’un individu dans toute son intégrité.

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 37-43)