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Offrir d’abord de l’empathie

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 183-187)

Dans la plupart des cas, avant d’espérer que l’autre parvienne à s’intéresser à ce que nous éprouvons, il faut passer par une autre phase. En effet, dans ce genre de situation, il est généralement difficile à notre interlocuteur de recevoir nos sentiments et besoins ; si nous voulons qu’il nous écoute, nous avons intérêt à lui témoigner d’abord de l’empathie. Plus nous agirons ainsi, plus il y aura de chances qu’il en fasse autant pour nous par la suite.

Depuis trente ans, j’ai eu de nombreuses occasions d’utiliser la CNV avec des personnes qui avaient des convictions bien ancrées sur

les races et les groupes ethniques. Je me souviens notamment d’avoir pris un jour aux aurores un taxi, de l’aéroport au centre-ville. En route, le chauffeur reçut le message suivant : « Allez chercher M. Fishman à la synagogue de Main Street. » Le passager qui était assis à côté de moi grommela : « Ces youpins se lèvent dès l’aube pour mieux extorquer de l’argent à tout le monde. »

Je fulminai, l’espace de quelques secondes. Quelques années auparavant, ma première réaction aurait été de vouloir me jeter sur un tel individu pour lui taper dessus. Je respirai profondément et réagis avec empathie à la douleur, la crainte et la rage qui m’agitaient, ce qui est ma façon de prendre soin de moi. Je gardai à l’esprit que ma colère ne provenait ni de mon compagnon de route ni de sa réflexion. Celle-ci avait réveillé le volcan qui était en moi, mais je savais que ma colère avait une origine bien plus profonde que les paroles qu’il venait de prononcer. Je me détendis un moment et donnai libre cours à mes pensées violentes. Je pris même plaisir à l’image qui me vint de lui attraper la tête et de l’écraser !

Rester conscient des pensées violentes qui nous viennent à l’esprit, sans les juger.

Quand j’en eus fini de m’occuper de moi, je fus en mesure de porter mon attention sur l’humanité qui se cachait derrière les paroles de mon interlocuteur, et la première chose que je lui demandai fut : « Vous sentez-vous… ? » Je m’efforçai de lui témoigner de l’empathie, d’entendre sa douleur. Pourquoi ? Parce que je voulais voir le beau côté de la personne, et je tenais à ce qu’il prenne toute la mesure de ce que j’avais ressenti au moment où il avait fait cette réflexion. Je savais que je ne recevrais pas une telle compréhension s’il ressentait un tumulte intérieur. Mon intention était d’établir un contact avec lui et de considérer avec empathie et respect l’énergie vitale qui avait suscité chez lui ce commentaire. Je savais par expérience que si j’étais capable d’empathie, alors il serait capable de m’entendre. Ce ne serait pas facile, mais il le pourrait.

— Vous sentez-vous contrarié ? demandai-je. On dirait que vous avez vécu de mauvaises expériences avec les Juifs.

Il me regarda un instant, puis répliqua :

— Oui, ces gens-là sont répugnants ! Ils feraient n’importe quoi pour de l’argent.

— Vous êtes méfiant et vous avez besoin de vous protéger lorsque vous traitez en affaires avec eux ?

— Exactement ! s’exclama-t-il.

Puis il continua à émettre d’autres jugements, tandis que j’écoutais en silence les sentiments et besoins qu’ils recouvraient.

Lorsque nous fixons notre attention sur les sentiments et besoins de l’autre, nous renouons avec l’humanité qui nous est commune.

Quand j’entends les peurs de cet homme et le besoin qu’il a de se protéger, je reconnais que j’ai aussi besoin de me protéger et que je sais ce qu’est la peur. Lorsque je place mon attention sur les sentiments et besoins d’un autre être humain, l’universalité de notre expérience m’apparaît. Dans l’exemple qui nous occupe, j’étais extrêmement contrarié par les pensées qui animaient mon interlocuteur, mais j’ai appris que j’apprécie davantage mes semblables si je n’entends pas ce qu’ils pensent. Et face à ceux qui entretiennent ce genre de pensées, j’ai appris à savourer bien plus la vie en me limitant à entendre ce qui est dans leur cœur, sans me laisser prendre au piège de ce qui est dans leur tête.

Lorsque nous entendons les sentiments et les besoins de l’autre, nous renouons avec l’humanité qui nous est commune.

Mon voisin continua à épancher sa tristesse et sa frustration. À peine en avait-il fini avec les Juifs qu’il passa aux Noirs. Tout un éventail de sujets lui inspirait de la souffrance. Je l’écoutai pendant une dizaine de minutes, puis il s’arrêta. Il s’était senti compris.

Je lui fis alors part de ce que je ressentais :

— Vous savez, lorsque vous avez commencé à parler, j’ai éprouvé beaucoup de colère et de frustration, et je me sentais triste et découragé parce que j’ai vécu des expériences très différentes des vôtres avec les Juifs, et j’étais en train de vous souhaiter d’avoir

beaucoup plus d’expériences semblables aux miennes. Pouvez-vous me répéter ce que vous m’avez entendu dire ?

— Oh, je ne dis pas qu’ils sont tous…

— Non, non, attendez. Pouvez-vous me répéter ce que vous m’avez entendu dire ?

— Qu’est-ce que vous racontez ?

— Permettez-moi de répéter ce que j’essaie de vous dire. En fait, j’aimerais simplement que vous entendiez la souffrance que j’ai ressentie en entendant vos paroles. C’est très important pour moi que vous entendiez cela. Je disais que j’éprouvais une grande tristesse, parce que j’avais vécu des expériences très différentes des vôtres avec les Juifs. J’aurais simplement aimé que vous ayez connu d’autres expériences que celles que vous décriviez. Pouvez-vous me dire ce que vous m’avez entendu dire ?

— Vous me dites que je n’ai pas le droit de parler comme je l’ai fait.

— Non, je voudrais que vous m’entendiez différemment. Je ne veux absolument pas vous reprocher quoi que ce soit. Je n’ai aucun désir de vous critiquer.

Ce dont nous avons besoin, c’est que l’autre entende vraiment notre souffrance.

Je décidai de ralentir la conversation, car l’expérience m’a montré que si les autres entendent la moindre critique, c’est qu’ils n’ont pas entendu notre douleur. Si cet homme avait dit : « Je n’aurais pas dû parler de la sorte, ces réflexions étaient racistes », il n’aurait pas entendu ma douleur. À partir du moment où notre interlocuteur pense qu’il a fait quelque chose de mal, il ne prend pas toute la mesure de notre douleur.

Les gens n’entendent pas notre douleur lorsqu’il croient avoir été pris en faute.

Je voulais non pas qu’il entende un reproche, mais qu’il sache ce que ses paroles avaient éveillé en moi.

Il est facile d’accuser les autres de ceci ou de cela. Les gens sont habitués à entendre des critiques ; soit ils les acceptent et s’en veulent, soit ils se braquent et nous en veulent de les avoir traités de racistes, par exemple – ce qui, dans un cas comme dans l’autre, ne les empêche pas de persister dans leurs comportements. Si nous croyons deviner qu’ils entendent une critique, il peut être souhaitable de ralentir, d’en revenir à la phase précédente et de se donner un peu plus de temps pour entendre leur souffrance.

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 183-187)