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L’empathie pour désamorcer le danger

Dans le document LES MOTS SONT DES FENÊTRES (Page 145-149)

La capacité à offrir de l’empathie à l’autre dans des moments de grande tension peut désamorcer les risques de violence.

Une enseignante qui travaillait dans les quartiers difficiles de Saint Louis nous raconta l’histoire suivante : un soir, elle était restée dans sa classe pour aider un élève après la fin des cours, tout en sachant que, pour des raisons de sécurité, les professeurs avaient été vivement encouragés à ne pas s’attarder dans les bâtiments. Un inconnu entra alors dans la pièce et l’apostropha :

JEUNE HOMME : Déshabille-toi.

ENSEIGNANTE : (Remarquant qu’il tremblait.) Je crois percevoir que vous avez très peur.

JEUNE HOMME : T’as entendu ce que je t’ai dit ? Déshabille-toi et plus vite que ça !

ENSEIGNANTE : J’ai l’impression que vous êtes très contrarié et que vous voulez que je fasse ce que vous me dites.

JEUNE HOMME : Bien vu, poupée, et il va t’arriver des bricoles si tu n’obéis pas.

ENSEIGNANTE : Voudriez-vous me dire s’il y a un autre moyen de vous satisfaire sans que vous me fassiez de mal ?

JEUNE HOMME : Déshabille-toi, je t’ai dit !

ENSEIGNANTE : J’entends que vous en avez vraiment envie, mais je veux aussi que vous sachiez que j’ai très peur et que je me sens très mal, et que je serais très reconnaissante si vous partiez sans me faire de mal.

JEUNE HOMME : Donne-moi ton sac à main.

La jeune femme tendit son sac à l’inconnu, soulagée d’échapper au viol. Elle expliqua par la suite que, à mesure qu’elle témoignait de l’empathie à son agresseur, elle sentait qu’il renonçait à son intention première.

Bien entendu, le succès de l’application de l’empathie dans cette histoire ne signifie pas qu’elle pourrait résoudre toutes les situations de ce genre. Il s’agit cependant d’une situation vécue.

Un agent de police venu assister à une séance de suivi de CNV me raconta l’histoire suivante.

Je suis ravi que vous nous ayez fait pratiquer l’empathie face à des gens en colère, la dernière fois. Quelques jours à peine après la séance, je suis allé arrêter quelqu’un dans une HLM. Lorsque nous sommes ressortis, une soixantaine de gens cernaient ma voiture et criaient à tue-tête : « Relâchez-le ! Il n’a rien fait ! Sales flics, vous êtes tous racistes ! » Je n’étais pas certain que l’empathie marcherait, mais je n’avais pas d’autre solution. Je leur ai donc reflété les sentiments que j’entendais, en leur disant par exemple :

« Vous ne pensez donc pas que j’ai de bonnes raisons d’arrêter cet homme ? Vous pensez que cela a quelque chose à voir avec sa couleur de peau ? » Lorsque je leur eus ainsi reflété pendant quelques minutes leurs sentiments, l’hostilité retomba, et ils finirent par m’ouvrir un chemin jusqu’à ma voiture.

J’aimerais enfin rapporter l’histoire de cette participante qui nous raconta comment elle avait désamorcé la violence lors d’une garde de nuit dans un centre d’accueil pour toxicomanes de Toronto.

Quelques semaines après avoir assisté à son premier séminaire de CNV, elle vit entrer un soir, vers onze heures, un homme qui était d’évidence sous l’emprise de drogues. Il exigea une chambre. Elle lui expliqua que toutes les chambres étaient prises et s’apprêtait à lui donner l’adresse d’un autre centre d’accueil lorsqu’il la plaqua au sol.

« Le temps que je comprenne ce qui m’arrivait, il m’avait déjà maîtrisée, mis un couteau sous la gorge et il hurlait : “Ne me raconte pas d’histoire, salope ! Je sais que tu as une chambre !” »

Elle entreprit donc d’appliquer ce qu’elle avait appris en écoutant les sentiments et les besoins de son agresseur.

— Vous avez eu le réflexe d’y penser dans ces conditions ? lui demandai-je, impressionné.

— Je n’avais pas d’autre choix ! L’énergie du désespoir aiguise parfois notre sens de la communication ! Mais vous savez, Marshall, votre formule m’a beaucoup aidée… Je crois même qu’elle m’a sauvé la vie.

— Quelle formule ?

— Vous avez dit qu’il ne faut jamais lancer de « mais » à la tête d’une personne en colère. J’étais à deux doigts de lui dire : « Mais, puisque je vous dis que je n’ai pas de chambre ! » C’est alors que je me suis souvenue de votre petite phrase. Elle m’avait marquée parce que, la semaine précédente, je m’étais disputée avec ma mère, qui m’avait dit : « Je t’étranglerais quand je t’entends répondre “mais” à tout ce que je dis ! » Imaginez donc ! Si un « mais » fait cet effet à ma propre mère, comment aurait pu réagir cet inconnu ? Si je lui avais dit « Mais je n’ai pas de chambre ! » alors même qu’il hurlait de toutes ses forces, je suis persuadée qu’il m’aurait tranché la gorge.

J’ai respiré un grand coup et j’ai dit : « J’entends que vous êtes très en colère et que vous voulez qu’on vous donne une chambre. » Sans cesser de crier, il répondit : « Ce n’est pas parce que je suis drogué que je ne mérite pas le respect ! J’en ai marre que personne ne me respecte ! Mes parents ne me respectent pas, mais je vais en avoir, du respect ! » J’ai continué à me concentrer exclusivement sur ses sentiments et besoins : « En avez-vous assez de ne pas obtenir le respect que vous voulez ? »

— Combien de temps ce dialogue a-t-il duré ? demandai-je.

— Oh, une bonne demi-heure, répondit-elle.

— Vous deviez être terrifiée !

— Non, après les deux ou trois premiers échanges, je n’ai plus eu peur, car j’ai pris conscience d’un autre phénomène dont nous avions parlé ici : en me concentrant sur l’écoute de ses sentiments et de ses besoins, j’ai cessé de le voir comme un monstre. J’ai vu, comme vous l’aviez dit, comment les individus qui ont l’air de monstres sont simplement des êtres humains dont le langage et le comportement

nous empêchent parfois de percevoir l’aspect profondément humain.

Plus je parvenais à porter mon attention sur ses sentiments et ses besoins, mieux je le voyais comme un désespéré dont les besoins n’étaient pas assouvis. C’est là que j’ai commencé à me dire que si je focalisais mon attention là-dessus, il ne me ferait aucun mal. Et en effet, lorsqu’il eut reçu l’empathie dont il avait besoin, il m’a libérée, a rangé son couteau et je l’ai aidé à trouver une chambre dans un autre centre.

J’étais enchanté de constater qu’elle avait appris à réagir avec empathie dans une situation aussi extrême, mais son récit avait piqué ma curiosité :

— Pourquoi donc êtes-vous revenue ? lui demandai-je. Vous avez l’air d’avoir maîtrisé la CNV et vous devriez plutôt être en train d’enseigner aux autres ce que vous avez appris.

— Non, j’ai encore besoin de votre aide pour quelque chose de vraiment difficile…

— J’ose à peine imaginer ! Quel cas pourrait être plus délicat que celui-ci ?

— Ma mère… Je voudrais que vous m’aidiez. Malgré tout ce que j’ai compris sur l’effet du « mais », vous savez ce qui s’est passé ? Je suis allée dîner chez elle le lendemain et je lui ai raconté l’incident. « Si tu restes dans ce centre, tu finiras par nous faire attraper une crise cardiaque, à ton père et à moi ! Il faut que tu trouves autre chose ! » m’a-t-elle dit. Et devinez ce que je lui ai répondu ? « Mais, maman, c’est ma vie ! »

Je n’aurais pu trouver meilleur exemple pour illustrer la difficulté qu’il peut y avoir à manifester de l’empathie à sa propre famille !

Être empathique plutôt que répliquer « mais »à une personne en colère.

Lorsque nous écoutons leurs sentiments et leurs besoins, nous ne voyons plus les individus comme des monstres.

Il peut être très difficile d’être empathique avec ceux qui nous sont le plus proches.

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