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Chapitre 4. Discussion

4.2. Utilisations des acides gras

4.2.1. DHA et EPA en tant que marqueurs écologiques

Les acides gras EPA et DHA possèdent des origines différentes dans l’environnement. Les ratios de ces lipides peuvent donc être utilisés pour retracer la source de carbone provenant de microalgues utilisées par certains organismes de plus haut niveau trophique (Gaillard et al. 2015). Les diatomées sont la source primaire principale d’EPA (Viso et Marty 1993, Kelly et Scheibling 2012) et composent majoritairement les communautés d’algues sympagiques (Horner et al. 1992). Le DHA est plutôt associé à une production primaire provenant des dinoflagellés (Søreide et al. 2008, Kelly et Scheibling 2012), qui

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sont retrouvées en grande quantité dans les communautés phytoplanctoniques en suspension dans la colonne d’eau (Poulin et al. 2011). Un rapport DHA/EPA élevée signifie donc une domination des dinoflagellés, alors qu’un rapport faible est associé à une domination des diatomées associées à la glace. La Figure 9 présente l’évolution du ratio DHA/EPA dans les échantillons de glace de mer récoltés au cours des années 2015 et 2016.

Figure 9. Saisonnalité du rapport DHA/EPA et des concentrations en IP25 dans la glace de mer. Le

rapport en DHA/EPA et la concentration en IP25 normalisés des deux années de récoltes (2015 & 2016) sont

présentés dans les cadrans A & B.

Pour les deux années de récolte dans la banquise, le ratio DHA/EPA est faible lorsque la production d’IP25 par les diatomées sympagiques est à son maximum. En 2016, la période

de production de matière organique dans la glace est plus progressive qu’en 2015, représentée par l’augmentation moins drastique de la concentration en IP25 en 2016. Cette

dynamique permet de mieux visualiser l’évolution temporelle inverse entre le rapport en acides gras et la concentration en IP25. Cette dynamique différente explique les distinctions

dans les résultats des corrélations au cours des deux années entre le rapport en acides gras et les HBIs.

Tout d’abord, en 2016, le rapport DHA/EPA est négativement corrélé avec la concentration en IP25 (p = 0.017 rho = -0.64) et avec le contenu en diène (p = 0.039 rho = -

0.58). Cette observation confirme donc que les deux marqueurs de la production de carbone des diatomées sympagiques (IP25 & diène) sont inversement corrélés au marqueur de

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est corrélé avec le rapport DHA/EPA (p = 0.04 rho = 0.69), mais cette fois la corrélation est positive. La proportion de triène est plus importante en 2015 comparativement à l’année suivante, notamment dans l’échantillon du 18 mai (voir Figure 6). Cette influence accrue du triène est cohérente avec l’augmentation du rapport DHA/EPA en début de floraison puisque ces deux indices sont positivement corrélés et associés à une production d’origine pélagique. De plus, les valeurs absolues du rapport en acides gras sont en moyenne de 0.12 ± 0.08 en 2016 et 0.07 ± 0.04 en 2015, ce qui représente un rapport en faveur d’une présence d’EPA nettement supérieure à celle de DHA dans la glace. Inversement, le rapport DHA/EPA pour les communautés pélagiques de phytoplancton en Arctique rapporté dans la littérature est beaucoup plus élevé (1.51 ± 0.34) (Mayzaud et al. 2013). Ces résultats sont donc cohérents avec l’utilisation du rapport entre les acides gras DHA et EPA comme un indice de la provenance du carbone utilisé dans l’alimentation des espèces marines de l’Arctique.

Les valeurs du rapport DHA/EPA chez les bivalves sont constamment sous le seuil de 1 au cours de saison 2015 (S. groenlandicus 0.63 ± 0.08; M. truncata 0.64 ± 0.15) et 2016 (S.

groenlandicus 0.52 ± 0.22; M. truncata 0.41 ± 0.17). Ces résultats sont cohérents avec ceux

en 13C et en HBIs, qui soutiennent l’importance des algues de glace dans le développement des bivalves (sections 4.1.1 et 4.1.2). À l’inverse, les ratios les plus importants en acides gras sont retrouvés chez les morues arctiques, qui contiennent des concentrations en DHA très élevés comparativement aux autres espèces. La présence de ce lipide est cohérente avec l’alimentation fortement planctonique associée aux copépodes qui se développent en milieu pélagique (Welch et al. 1992, Hobson et al. 1995). De plus, la plupart des échantillons ont été récoltés en saison d’eau libre de glace, au mois de septembre, ce qui influence le profil récent en acides gras. Le contenu total en acides gras analysés (EPA + DHA) a été étudié en relation avec les autres marqueurs pour déterminer l’origine de la variation importante dans les résultats (voir tableau 9). Les analyses montrent des corrélations négatives très fortes avec le contenu en 13C (p = < 0.001, rho = -0.87) et en 15N (p = < 0.001, rho = -0.97), ainsi qu’une relation positive avec le marqueur H-Print (p = 0.025, rho = 0.64). Ces corrélations permettent de suggérer deux comportements associés à un contenu élevé en acides gras. Tout d’abord, ces individus ont une alimentation majoritairement composée d’organismes de bas niveau trophique, tels que des copépodes du genre Calanus, et

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possèdent donc un contenu en 15N faible. Une alimentation sur ce type de plancton a été démontrée comme associée à un contenu élevée en acides gras polyinsaturés, spécifiquement en DHA (Persson et Vrede 2006). Ensuite, ils sont associés au milieu pélagique, représenté par un H-Print élevé et un contenu en 13C plus faible. Lors de la floraison des algues de glace au printemps, l’importance de cette source de production est majeure pour les morues arctiques (Kohlbach et al. 2017), mais les individus récoltés pendant la saison d’eau libre (août-septembre) se nourrissent plutôt majoritairement de carbone d’origine pélagique (Graham et al. 2014).

Chez le phoque annelé du Nunavik, le rapport DHA/EPA, présenté dans la Figure 10, est significativement plus élevé dans le muscle que dans le foie (t-test, p = < 0.001). Cette différence pourrait être liée au temps de rétention variable des acides gras dans les différents tissus d’organismes marins (Nordstrom et al. 2008, Budge et al. 2011, Mohan et al. 2016).

Figure 10. Rapport DHA/EPA dans les deux différents tissus de phoque annelé du Nunavik. Les

boxplots présentent les valeurs dans le foie (n = 10) et le muscle (n = 10) des échantillons récoltés.

Les échantillons de phoque annelé ont été récoltés à la fin du mois de juillet et au début du mois d’août. Le foie pourrait donc représenter une alimentation plus récente liée à la production de carbone dans la glace riche en EPA, tandis que le muscle maintient une signature en DHA plus élevée en raison d’une alimentation pélagique majoritaire au cours de plusieurs mois. L’importance de déterminer le tissu approprié pour l’analyse de lipide est mentionnée dans les études concernant le temps de rétention des différents tissus (Mohan et al. 2016). Par exemple, il a été déterminé que l’analyse du gras chez le phoque

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commun (Phoca vitulina) représentait l’alimentation des derniers 1.5 à 3 mois (Nordstrom et al. 2008).

4.2.2. EPA et DHA dans l’alimentation des Inuits

Les résultats de cette étude confirment que les aliments provenant de la mer sont une source d’acides gras de type oméga-3 importante. Cette observation est spécialement vraie pour certains individus de morue (jusqu’à 13.1 mg g-1 humide; voir la section 4.2.1 pour une étude de la variabilité) et pour les tissus de phoque annelé analysés (muscle 5.7 mg g-1 humide; foie 11.3 mg g-1 humide). Ces deux tissus de mammifère marin régulièrement consommés par les communautés inuites se situent respectivement dans les catégories « très bonne source » (5 à 10 mg g-1 humide) et « source exceptionnelle » (> 10 mg g-1 humide) proposées dans la littérature (Lemire et al. 2015). Les concentrations en EPA et DHA de ces tissus sont légèrement plus élevées que les valeurs présentées dans la littérature pour le muscle (2.1 mg g-1 humide) et le foie (2.3 mg g-1 humide) de phoque annelé (Lemire et al. 2015). Les concentrations de 1.73 mg g-1 humide pour le muscle de morse et de 0.44 mg g-1 humide et 0.75 mg g-1 humide pour M. truncata et S. groenlandicus respectivement correspondent bien à celles rapportées dans la littérature (muscle de morse 2.0 mg g-1 humide; bivalves 1.4 mg g-1 humide) (Lemire et al. 2015). Ces concentrations sont généralement supérieures à celles retrouvées dans la majorité des aliments d’origine animales terrestres, qui représentent des sources faibles de ces acides gras (dinde, bœuf, poulet, porc et agneau de 0.20 à 0.27 mg g-1) (Nichols et al. 2010). Les sources les plus importantes d’EPA et de DHA dans une alimentation provenant des marchés sont également les aliments de la mer, tels que les crustacés et les poissons (1.5 à 2.3 mg g-1 humide) (Nichols et al. 2010).

Par contre, les principales sources d’oméga-3 chez les Inuits se retrouvent dans le gras des mammifères marins, qui n’ont pas été échantillonnés dans la présente étude, et qui contiennent des concentrations exceptionnelles (56.0 – 185.6 mg g-1 humide) (Lemire et al. 2015). L’importance de promouvoir ces aliments est primordiale au Nunavik puisqu’une diète incorporant des aliments provenant de l’alimentation traditionnelle protège les Inuits de plusieurs problèmes de santé chronique (Dewailly et al. 2001). De plus, ces acides gras à

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longue chaîne pourraient également contribuer à diminuer l’absorption du MeHg par l’intestin (Xiao et al. 2013).