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m ise en scène eT valeur TerriToriales E n définissant une métaphore de transaction basée sur le concept de valeur

3.1.1. Utilisation du matériel empirique

La récolte de données ne pouvait et ne voulait pas être exhaustive pour informer les trajectoires de développement. Les données recueillies ne permettent donc pas une méthode strictement comparative expliquant les divergences entre les trajectoires. Néanmoins, dans l’interprétation d’un concept ou d’un cas, le recours à la compa-raison est fréquent en compa-raison de son potentiel explicatif. L’analyse et la collecte de données ont été simultanées : dans les différents terrains, des données ont été recueillies en fonction des besoins de l’analyse. Avec l’éclaircissement conceptuel, certaines sources ont été progressivement privilégiées.

En ce qui concerne les documents, ce qui a valeur historique est ce qui contribue à reconstruire une cohérence des cas dans une perspective diachronique. Mais la valeur informative (informationnelle) d’un document n’est pas uniquement historique : ce même document est également une source pour comprendre des dynamiques sociologiques à d’autres niveaux (synchronicité). Enfin, la mise en perspective sociologique de telle source informationnelle permet de renseigner à nouveau les trajectoires de développement d’un point de vue diachronique. Prenons un exemple.

Dans cette image (figure 22), il y a la représentation de deux temporalités. Premiè-rement, une situation vécue par des personnes présentes à Zermatt52 à une date précise que l’on ignore, mais que l’on peut approximativement situer – en considérant d’autres sources – entre 1891 et 1914. Deux informations peuvent être tirées de ce cliché et interprétées dans une perspective socio-économique diachronique. D’abord, bien qu’ils ne figurent pas sur le cliché, les paysans de Zermatt sont indirectement présents dans cette situation : le travail des champs en arrière-plan en témoigne.

52 C’est la gare du Viège-Zermatt que l’on voit au second plan. Perpendiculaire à la ligne de la vallée, au

Ensuite, les touristes sont présents. En tenant compte d’autres sources (primaires et secondaires), un certain nombre d’interprétations peuvent découler de cette situation, focalisée sur un lieu et figée dans le temps via le cliché photographique. Par exemple, le fait que les personnes montant dans le train sont essentiellement des touristes et que les habitants locaux ne semblent pas utiliser ce train comme moyen de transport. Ces informations sont utiles pour comprendre la configuration du lieu, comprendre l’importance du tourisme et de l’économie alpestre à cette époque, etc.

Ensuite, une autre situation est traduite avec cette image, non plus via son contenu, mais via son contenant (figure 23). L’image n’est pas une photographie trouvée fortuitement dans des archives, mais une carte (15 × 21 cm) en vente au musée de Zermatt. Dans cette situation, il est nécessaire de préciser une chose : nous avons acheté cette carte. Pour sa valeur documentaire, mais également parce qu’elle est un témoin de ce que l’on a pu observer, à Zermatt, ainsi que dans d’autres territoires : l’importance de ce que nous avons appelé le patrimoine industriel (partie II), c’est-à-dire ici la représentation du tourisme de la Belle Époque, les chemins de fer à crémaillère, etc.

Pour faire sens de la trajectoire du lieu, il est nécessaire de retracer la compression de l’espace-temps : le fait qu’une telle carte soit en vente (dans un musée consacré au lieu en question, etc.), avec de telles représentations, a un impact sur la trajectoire du lieu. Le fait qu’elle soit en vente signifie qu’une demande existe pour de tels biens. Pour comprendre cette dynamique économique, la métaphore de la scène territoriale

Figure 22. La gare du Viège-Zermatt et le train au départ pour le Gornergrat. Source : Carte, musée du Cervin, Zermatt.

est nécessaire. Ainsi, les données informent à différents niveaux l’ensemble des éléments présentés dans notre approche : une même donnée peut être mobilisée pour ses informations historiques, et pour ses informations sociologiques. Dans ce travail, les informations factuelles sont en principe les seules systématiquement mentionnées. À d’autres reprises, des exemples sont présentés pour illustrer un point conceptuel, tandis que l’élaboration de ce dernier résulte du croisement de multiples sources et observations.

Un exemple des observations ayant contribué à cet ouvrage, mais qui n’ont pas été retranscrites telles quelles, est représenté par la page Facebook de Roger Bornand (figure 24). Résident à Montreux et Montreusien d’origine, passionné par sa ville, Roger Bornand publie presque quotidiennement une photo53 du « Montreux d’autrefois », qui évoque souvent le tourisme de la Belle Époque, mais aussi la viticulture et la paysannerie, ou encore des situations plus récentes liées à l’évolution de la ville durant les années 1960-1970. D’une part, les photos publiées ont, pour cette recherche, une valeur documentaire, comme c’est le cas avec l’image de Zermatt ci-dessus (figure 22). Mais dans ce cas, outre l’image, la valeur documentaire est informée par Roger Bornand lui-même, et également par ses « amis » (1 368 « amis » et 277 personnes le « suivent ») qui contribuent à préciser, par exemple, le lieu de prise de vue, tel magasin ayant succédé à tel autre, le patron de bar Untel qui jouait

53 Plusieurs illustrations figurant dans cet ouvrage proviennent d’ailleurs de sa page Facebook.

par ailleurs dans l’équipe de hockey sur glace, etc. Autrement dit, il y a croisement des sources-souvenirs pour une vérification de l’information. On peut idéalement penser que le croisement d’une quantité d’informations concernant un même temps t puisse informer un « réseau » : dans l’absolu, l’alimentation de questionnements sociologiques horizontaux sur la base de témoignages est possible. Mais plus qu’une critique de la nature historique des sources, l’information que l’on retient ici est que ces internautes constituent une communauté de connaisseurs. De plus, comme la carte en tant que contenant était une information dans le cas précédent (figure 23), ici c’est le format Facebook qui apporte son lot d’informations. Les commentateurs des posts évoquent leurs souvenirs, commentent le développement urbain, bref chaque post fait référence à une situation représentée par la photo, situation « critiquée » dans les commentaires. Tout ceci constitue donc une source historique et sociologique fascinante. Par manque de temps, un tel terrain n’a pas été entrepris de manière systématique, non seulement dans l’analyse des posts et des commentaires, mais également via Roger Bornand lui-même, avec qui nous n’avons pas mené d’entretien. Néanmoins, bien que ces données ne soient pas évoquées en tant que telles, une telle page Internet et une telle dynamique nous informent de manière très riche sur la problématique du tourisme, et participent ainsi à l’élaboration de notre approche sur la mise en scène et la valeur territoriales. La page Facebook en question est un élément participant de la mise en scène de Montreux. Économiquement, dans une perspective territoriale, la valuation des photos de Montreux sur Facebook rapporte à la société Facebook sise en Californie, mais la valeur territoriale de Montreux, sans qu’elle soit dans ce cas concernée par une transaction marchande, est construite par ces valuations.

Dans la mesure où l’on a entrepris le travail de terrain dans une perspective diachronique (introduction point 2.1.), de nombreuses données récoltées et ayant permis l’élaboration de ce manuscrit n’y sont pas strictement compilées54.

54 Des annexes non publiées peuvent être

obte-nues sur demande après de l’auteure.

Figure 24. Un post de Roger Bornand sur sa page Facebook, le 28 août 2015.

3.1.2. Sources

Les sources secondaires55 ont fourni de nombreuses informations, en particulier pour les cas de Zermatt et de Montreux, qui ont d’ores et déjà fait l’objet de plusieurs recherches, depuis la fin des Trente Glorieuses mais en particulier depuis les années 1990. La mobilisation des sources secondaires a été doublement utile. D’une part, ces sources ont apporté leur lot de données quantitatives et qualitatives. D’autre part, et comme pour la carte de Zermatt et la page Facebook évoquées ci-dessus, le croisement de ces sources a non seulement permis de réaliser que ces cas étaient un objet d’intérêt pour des scientifiques et des profanes, mais également d’apprécier les angles d’approches de ces divers observateurs : ces sources secondaires constituent des sources primaires en ce que ces publications participent à la scène symbolique des territoires. De ce point de vue, la différence entre les trois cas est frappante. De très nombreux ouvrages ont été publiés au sujet de Montreux, depuis le xixe siècle. De même que la plupart des travaux universitaires qui y sont consacrés, ces ouvrages traitent quasiment exclusivement de la période antérieure à 1914, considérée comme « l’âge d’or » de Montreux. À Finhaut, seuls quelques ouvrages et recherches sont disponibles, également à propos de cette période. À Zermatt en revanche, c’est l’ensemble de la trajectoire qui fait l’objet de publications et de recherches, le plus souvent thématiques : la plupart des ouvrages sont consacrés au Cervin, à l’alpinisme ou à l’histoire de l’alpinisme. Quelques livres et travaux de recherche sont, en outre, consacrés aux réalisations touristiques antérieures à 1914 (hôtellerie et chemins de fer).

Les sources primaires ont constitué également un large pan de la recherche. Les contraintes les concernant tiennent bien sûr à leur volume, très important au regard de l’ensemble de la période faisant l’objet de la recherche, même si ce volume varie fondamentalement d’un cas à un autre, en raison principalement du nombre d’habitants56. Ainsi, la récolte de données relatives à Finhaut a été plus exhaustive que dans les deux autres cas, dans la mesure où l’on a pu avoir directement accès au local des archives communales57, afin de trier sur place les documents dignes d’intérêt. Dans le cas de Montreux, nous avons également eu accès aux archives par le biais du service professionnel de la ville58. Un certain nombre de fonds y ont été consultés, ainsi que plusieurs archives de presse. L’accès n’a, en revanche, pas pu être obtenu aux archives de la commune

55 Les sources secondaires sont référencées dans la bibliographie figurant en fin d’ouvrage. Parmi les

documents mentionnés, on trouve des travaux académiques comprenant des développements théoriques. Néanmoins, s’ils sont référencés à cet endroit, c’est que ces documents ont été mobilisés pour les données historiques qu’ils présentaient relativement à nos trois cas.

56 La population en 2010 s’élevait à 24 884 habitants à Montreux, à 5 720 à Zermatt, et à 398 à Finhaut

(Recensements de la population, OFS).

57 Nous remercions ici à ce titre le responsable, M. Denis Lugon-Moulin, pour sa collaboration.

58 Nous remercions ici à ce titre Mme Nicole Meystre-Schaeren ainsi que les collaboateurs-trices des archives

de Zermatt59. Néanmoins, la récolte de données pour ce troisième cas étant survenue postérieurement aux deux autres, une partie de la littérature secondaire avait déjà été consultée. Cette récolte avait lieu à un stade avancé de la recherche conceptuelle, et nous considérons que les informations en notre possession sont suffisantes pour atteindre les objectifs de recherche fixés.

Les informations recueillies dans les sources primaires sont très diverses. Nous avons dans la mesure du possible recherché les archives de sociétés privées et publiques, comme les offices du tourisme ou les sociétés de développement. De nombreuses informations ont été recueillies à travers des procès-verbaux d’assemblées, de la correspondance. Dans les fonds des archives cantonales ou communales, nous avons également consulté les rapports de gestion ainsi que les comptes communaux. Les sources concernant les entreprises étaient soit rares, soit, lorsqu’elles étaient à disposition, si riches qu’elles auraient pu, ou avaient d’ores et déjà fait l’objet de recherches spécifiques (par exemple, les archives de la Société immobilière de Caux, traitées par Lapointe [2008]). Lors de la consultation des archives de Finhaut, nous avons pu relever les registres des taxes industrielles depuis le début de leur mise en application (aux alentours de 1880) jusqu’en 195260. Les chiffres issus des registres des taxes industrielles ont été largement exploités, car ils permettent une appréciation quantitative de l’évolution des entreprises. Ces chiffres ont été interprétés grâce aux données qualitatives recueillies par ailleurs (dans les sources primaires et secondaires). Pour Zermatt, nous avons pu accéder à une partie de ces registres via les archives cantonales de l’État du Valais à Sion. Néanmoins, au-delà de 1927, nous n’avons pas été autorisés à consulter ces registres61. Un volume

59 Nous précisons que la consultation des archives, pour les trois cas, a été entreprise communément avec

Géraldine Sauthier, doctorante responsable de la recherche empirique du volet politique de la recherche FNS. La demande de consultation a ainsi été formulée en nos deux noms. Plutôt qu’un refus de l’accès aux archives communales de Zermatt, il faut plutôt parler de l’absence d’une mise à disposition des archives : ont été invoqués le manque de personnel à disposition pour permettre la consultation et la nécessité de mentionner au préalable spécifiquement les documents à consulter, opération impossible dès lors que le contenu même des fonds n’est pas connu. Nous nous permettons ici de supposer que du fait du grand nombre de publications et de travaux ayant Zermatt pour objet, les autorités locales souhaitent préserver leurs archives et favoriser des trai-tements relayés par des publications locales officielles, par exemple à l’occasion de jubilés. La question juri-dique du droit à l’accès à ces sources n’a pas été explorée, dans la mesure où les données recueillies par le biais d’autres sources (notamment les archives de l’État du Valais à Sion) suffisaient à la conduite de la recherche.

60 Le registre de la taxe industrielle prélevée à Finhaut présente les chiffres annuellement, dans les

proto-coles des séances de la municipalité de Finhaut. Ces chiffres représentent l’appréciation, vraisemblablement par les autorités communales, des bénéfices réalisés par les artisans et entreprises locales, soumis à la taxe industrielle. Cette source ne mentionne pas le montant de la taxe effective. On ignore s’il s’agit effective-ment des bénéfices réalisés en tant que tels. Il s’agirait plutôt des revenus. Cependant, plus que les chiffres absolus, ce sont les proportions qui nous intéressent, entre les artisans et les entreprises soumis à la taxe, et leur évolution au fil des ans.

61 Le service cantonal des archives n’étant pas légalement responsable du fonds en question, qui néanmoins

est déposé en son sein, notre demande a été refusée pour des raisons juridiques par le service cantonal des contributions, et ce, malgré les garanties formelles avancées pour un traitement anonyme des données et pour le respect d’une date raisonnable de prescription (1964) et en dépit de l’appui de la direction du service juri-dique de la recherche de l’Université de Neuchâtel. Nous tenons par ailleurs à remercier les collaborateurs du service cantonal des archives pour leur collaboration à l’occasion d’autres requêtes.

important de données a également été récolté dans les archives de l’Office fédéral de la statistique, notamment dans les registres du recensement de la population (tous les 10 ans depuis 1850 jusqu’en 2000) et du recensement des entreprises (tous les 10 ans depuis 1955). Ces chiffres62 sont mobilisés ponctuellement et ont fait l’objet d’un traitement pour l’obtention de certains indicateurs comme le quotient de localisation des emplois (voir l’annexe Quotient de localisation des emplois présentiels en fin d’ouvrage).

Dans le cas de Montreux, la presse locale a été consultée dans les fonds des archives communales. De nombreuses informations ont en outre été recueillies par le biais de la presse régionale et nationale. Ces archives étant numérisées, leur consultation a pu être effectuée en ligne63. Le traitement des données tirées de la presse s’est fait à deux niveaux. Premièrement, la plupart du temps la presse a été consultée pour recueillir des informations factuelles (tenue de tel événement à telle date, résultats publiés par telle entreprise, etc.). Deuxièmement, on a parfois recueilli dans la presse les points de vue des acteurs qui y étaient retranscrits (interviews) ou, plus rarement encore, on a considéré le point de vue du journaliste ou du commentateur lui-même et procédé à une analyse énonciative. Ces diverses opérations ne sont pas méthodologiquement thématisées dans le corps du texte, mais ce dernier permet de comprendre la nature de la donnée et du traitement dont elle a été l’objet.

À quelques reprises, des archives de la Télévision suisse romande ont également été mobilisées. Cinq entretiens ont été menés dans le cas de Montreux. À cela s’ajoutent les conversations informelles avec différents types d’interlocuteurs, dans les trois cas (habitants, commerçants, touristes, etc.). Enfin, quelques commentaires laissés par des consommateurs sur des sites tels que Trip advisor ou Booking ont été mobilisés. Comme on l’a déjà souligné plus haut à travers l’exemple de la page Facebook de Roger Bornand, le traitement de ces données nécessiterait à lui seul une enquête, qui serait très instructive au regard de l’importance de la scène symbolique et de la disponibilité des informations grâce à Internet. Les commentaires parfois cités ici n’ont pas la prétention de représenter les opinions de l’ensemble des consommateurs, mais permettent d’évoquer ou de décrire une situation.

62 Les chiffres de l’OFS, comme toute statistique, mais peut-être d’autant plus dans le cas des

recense-ments datant du xixe siècle, comprennent certaines inexactitudes et ne sont ainsi considérés que comme des

indicateurs. Pour des précisions, consulter l’annexe Quotient de localisation des emplois présentiels en fin d’ouvrage, notamment le point b. Informations concernant les biais.

63 Dans la bibliographie, lorsqu’il n’est pas fait mention d’un fonds d’archives relativement à un article de

presse, c’est que ce dernier a été consulté en ligne, sur les sites des titres de presse en question ou de leurs repreneurs (ainsi, le site du quotidien Le Temps pour Le Nouveau Quotidien ou La Gazette de Lausanne). Lorsque les indications de page manquent pour certains de ces articles, c’est que lors de la numérisation cette information n’a pas été conservée.

3.2. r

epèreshisToriqueseTgéographiquesconcernanT

leTourismeeTles

«

sTaTions

»

Nous présentons ici quelques éléments contextuels afin d’éclairer le développement socio-économique de territoires concernés par le tourisme. Une littérature importante retrace l’histoire du tourisme, en en proposant diverses périodisations64, pour le tourisme en général ou le tourisme alpin en particulier. On retient ici la chronologie en six phases proposée par Bätzing (2003) concernant les Alpes.