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Les mobilités : de l’horizontalité du social à la complexité de la société

m ise en scène eT valeur TerriToriales E n définissant une métaphore de transaction basée sur le concept de valeur

1.4.2. Les mobilités : de l’horizontalité du social à la complexité de la société

Lorsque Guidici (2000) parle de l’horizontalité et de la verticalité du regard qui se sont longuement succédé dans la société occidentale, il s’agit d’une métaphore qui permet d’apprécier philosophiquement (voir La Philosophie du Mont-Blanc) le changement de perspective qu’a constitué la confrontation aux Alpes – leur appri-voisement. D’un point de vue sociologique, cette métaphore est utilisée de manière inverse, géométriquement parlant : l’identification des médias et de leur place dans la constitution du social se traduit par une nouvelle sociologie, horizontale, apparue récemment du point de vue de l’histoire des sciences sociales, elle-même traitant traditionnellement plutôt de la « verticalité » du social.

En s’inspirant de l’analyse de Urry (2005), on peut distinguer ainsi deux larges courants dans les sciences sociales contemporaines : les théories s’inscrivant dans une perspective dite « verticale », et celles s’inscrivant dans une perspective dite « horizontale ». La verticalité de la plupart des concepts sociologiques s’explique par la volonté des auteurs de faire sens du passage d’organisations sociales de type communautaire [Gemeinschaft] à une organisation sociale de type sociétale [Gesellschaft] (Tönnies, 1944 [1887]). Cette distinction inspire la plupart des théories sociologiques (Weber, Simmel, Durkheim, etc.). Les sciences sociales se sont naturellement portées sur les configurations sociétales résultant de cette disjonc-tion ; dès lors qu’il y avait société plutôt que communauté, c’est sur les structures de la première que l’on enquêtait et que l’on élaborait des théories. Par rapport au tourisme, on retrouve là les théories classiques telles que celles évoquées plus haut, la théorie du sight seeing ; le positionnement d’un individu dans telle strate sociale au quotidien se retrouve dans sa pratique touristique. Pour Urry (2005), l’affaiblissement des États-nations a conduit les chercheurs en sciences sociales à s’intéresser aux mobilités et à développer des recherches dans une perspective « horizontale » du social (figure 14).

23 « By the end of 1853, The Times wrote that Smith’s show seems now to be one of the “sights of London”

Verticalité Horizontalité

Société structure Société mobile

Concepts fixes et immuables Métaphores- fluides

Objectivité Subjectivités

Inspiration des sciences dures Inspiration d’autres sciences

sociales (anthropo, ethno, etc.)

Région sociétale (Etat- nation) Région globale

Stratification Réseaux Projet – explication

des trajectoires

Réflexion sur la construction

de la valeur Thèse

Figure 14. Horizons des théories en sciences sociales par rapport à cet ouvrage. Source : d’après Urry (2005).

Chronologiquement, les théories à perspective verticale ont généralement précédé les théories à perspective horizontale – du moins en ce qui concerne les théories dominantes. Urry constate que le concept de société est implicitement dépendant en sociologie d’un certain « nationalisme vernaculaire » (Urry, 2005, p. 22). Les concepts stables, tels que celui de classe sociale, sont la plupart du temps entendus dans une perspective « nationale ». Dès lors que les sciences sociales identifient le déclin des États-nations dans un contexte de « mondialisation » (figure 15), elles adaptent leur méthodologie et se focalisent sur les mobilités, les réseaux, etc. : c’est l’avènement de la perspective « horizontale » et des métaphores fluides. L’enjeu économique était structurant verticalement pour les théories sociologiques traditionnelles : le travail était central, les rapports de classe déterminaient quantité de phénomènes sociaux, etc.

Stratégie Celle déployée par les société transnationales opérant à travers le monde sans

se préoccuper des besoins de telle ou telle localité, des travailleurs ou des gouvernements.

Image Images de « la Terre » ou du « Globe » qui figurent sur les publicités (des compagnies

aériennes, par exemple) mais qui servent aussi à recruter les militants qui dénoncent les menaces qui pèsent sur « l’environnement planétaire ».

Idéologie Ceux dont l’intérêt économique consiste à promouvoir le capitalisme à travers le

monde affirment que la mondialisation est inévitable et que les gouvernements

nationaux doivent s’abstenir de réglementer le marché planétaire. Base de l’organisation

politique

Caractériser de « mondiaux » les enjeux d’une lutte facilite la mobilisation d’un large éventail d’individus et d’organisations pour ou contre les phénomènes en question.

Les flux

et les « paysages » qu’ils dessinent

Les personnes, l’argent, les capitaux, l’information, les idées et les images circulent à travers des « paysages » organisés en réseaux complexes et imbriqués, à l’intérieur

des sociétés et entre elles (par exemple les flux et « paysages » monétaires entre

Londres, New York et Tokyo).

Les « concepts stables » faisant sens de la structure sociale (verticalité) ont « fait » la sociologie au xxe siècle. Toujours dans une perspective verticale, les théories ont évolué. Par exemple, dès les années 1970, la société telle qu’issue de la révolution industrielle est remise en question. Bell (1976) et Touraine (1969), par exemple, parlent de société postindustrielle à partir du moment où le centre de gravité passe du secteur secondaire au secteur tertiaire. De ce point de vue, du fait de ce bouleversement, les acteurs de la classe ouvrière ont eu tendance à gagner en capital culturel, tandis que l’ancienne « petite bourgeoisie » a perdu de ce dernier, le capital économique ne se transformant pas fondamentalement.

Castells (1999) propose une interprétation partant non pas du travail, mais de l’entreprise et du type de système de production-consommation de masse et standar-disées. Dans ce sens, il adapte un concept stable en y intégrant des enjeux horizontaux. La structure en réseau prendrait le relais d’une structuration pyramidale, d’une part, et la production se trouverait plus souple, diversifiée, et adaptée à la demande grâce à sa proximité avec le consommateur, d’autre part. Dans ce processus, qu’il décrit comme post-fordiste, la connaissance et la communication sont les termes clés, plutôt que ceux de « classe ». Cette idée de réseau est également proposée par Callon et al. (2000), pour qui l’avènement d’une économie de services se fonde toujours plus sur des activités économiques conditionnant l’attachement et le détachement des consommateurs aux différents objets marchands qu’ils qualifient ; ces objets marchands répondent à des besoins autres que physiologiques ou améliorant nota-blement le confort des individus.

Parce que les phénomènes horizontaux sont moins aisément saisissables, dans les métaphores fluides la notion d’immatériel est, sous quelque forme, une constante. Historiquement, dans la littérature, on peut considérer cette immatérialité comme caractéristique d’une « après »–modernité d’un point de vue économique et social. Dans ce sens toujours, le développement de l’importance de l’immatériel peut égale-ment être interprété comme la prise d’importance croissante de la « culture » par opposition à l’« économie ».

S’inscrivant dans le courant de la théorie de la rareté de Maslow, Ingelhart (1977, 1990) parle de société post-matérialiste en faisant référence à l’élévation du niveau d’éducation au xxe siècle, les individus n’étant plus habités par des considérations matérialistes du même ordre que celles de leurs aïeux. La culture serait ainsi opposée au matérialisme, ce dernier étant favorisé par les crises économiques. Selon cette vision donc, l’économie s’arrête là où les besoins physiologiques sont satisfaits (la base de la pyramide de Maslow). La culture, si elle demeure utile aux sociologues pour construire des théories verticales (Bourdieu, 1979), est de plus en plus analysée dans son horizontalité.

Dans La Condition postmoderne de Lyotard (1979), la connaissance est une « marchandise informationnelle », et la rupture historique s’apprécie en termes d’« architecture culturelle ». L’optimisme du christianisme et du mythe de la

modernité n’est plus ; la culture s’en ressent (et notamment l’architecture au sens strict). Autrement dit, la culture évolue de manière spécifique, s’émancipant d’un fonctionnalisme certain. Un regard tourné vers le passé n’est pas absent de cette dimension culturelle dans la condition postmoderne ; la reprise d’éléments anté-rieurs habite la création contemporaine plutôt que d’encourager l’innovation telle qu’elle est considérée généralement (amélioration des fonctionnalités par exemple). Chez Baudrillard (1985), cette idée peut être rattachée à celle d’une représentation du produit croissante, ne renvoyant plus comme auparavant à un tangible matérialisme. Dans ce sens, l’économique n’est plus distancié du social, mais interdépendant.

Si l’historicité des deux grands courants de recherche témoigne d’une réalité sociale, c’est l’évolution de la théorisation qui nous importe ici – plutôt que la comparaison de différentes périodisations. Par rapport à la mobilité et au courant des recherches sur les « nouvelles mobilités » (Sheller, Urry, 2006), on doit supposer que si la mobilité en tant que phénomène n’a pas été un objet de recherche antérieurement à ce courant (les tendances « horizontales » de la recherche évoquées jusqu’ici), c’est qu’elle n’était pas un phénomène à ce point représentatif qu’il conduit à l’adaptation d’un nouveau regard sur le social. Depuis les débuts de la révolution industrielle surtout, mais antérieurement également, et jusqu’à la fin des Trente Glorieuses, les flux existaient, comme les phénomènes sociologiques relevant de la dimension horizontale. Néanmoins, la verticalité des structures sociétales était le phénomène qui retenait le plus l’attention des sciences sociales, directement ou indirectement à travers un objet sociologique individuel ou communautaire dont l’articulation socio-économique était le travail.

S’agissant du temps, les théories en sciences sociales s’inscrivent généralement dans des perspectives diachroniques (sur le long terme, évolution d’un objet), ou synchroniques (analyse à un temps t). Concernant l’espace, elles peuvent avoir un caractère spatial ou non (la géographie humaine comporte par définition une dimen-sion spatiale, tandis que la sociologie critique, par exemple, considère l’espace social sans ses dimensions géographiques [Bourdieu, 1984]). Comme Urry le souligne, les différentes approches se sont concentrées sur des objets qui, dès lors qu’ils laissaient apparaître quelque dimension spatiale, restaient statiques (des individus, des communautés, des sociétés associées à un État-nation, etc.). Autrement dit, bien qu’elles s’intéressent par exemple à une aire géographique délimitée (en principe un État), ces approches n’étaient pas pour autant des approches territoriales.

Des « concepts stables » sont sortis des recherches sur la « société structure », tandis que des « métaphores fluides » résultent des recherches mues par une compréhension des phénomènes horizontaux. Dans les perspectives dites « horizontales », l’individu n’est plus considéré comme partie prenante d’une structure, mais comme mobile, déterritorialisé (Deleuze, Guattari, 1980 ; Braidotti, 1994). Diverses métaphores ont été élaborées pour informer cette dimension du social, comme celle de réseau bien

sûr, mais aussi par exemple celle de nomadisme et, bien entendu, celle du tourisme. La métaphore du nomadisme est par exemple critiquée par Bauman (1993), qui lui préfère celle du touriste, notamment parce que le nomade se déplace avec régularité. Pour Bauman, « le touriste paie sa liberté, le droit de méconnaître les préoccupations et susceptibilités des indigènes, le droit de tisser la toile de ses propres significations… Le monde est à lui… à vivre dans le plaisir et donc à doter d’un sens » (Bauman, 1993, p. 241, cité par Urry, 2005 p. 42).

Ce qui nous semble particulièrement intéressant dans le cas du tourisme, c’est qu’il s’agit d’un objet dont la situation au carrefour des enjeux de verticalité et d’horizontalité dans la constitution du social en fait un objet suscitant l’intérêt de différents champs de recherche, mais dont la situation « au carrefour » reste préci-sément peu explorée. L’évolution des dynamiques sociologiques dans leur perspective horizontale est indissociable des phénomènes verticaux. Par exemple, Urry (2005) relève l’importance de la mobilité des personnes dans la création de l’identité nationale avec les grandes expositions du xixe siècle. Il soutient ainsi trois thèses que nous embrassons dans cette recherche :

– La sociologie ignore les mobilités ;

– Les mobilités doivent être considérées dans leurs multiples formes ; – Des formes multiples, y compris virtuelles, ont un impact sur la « société ». L’une des formes de ces mobilités est le tourisme. Le tourisme est ainsi longtemps resté un objet « à part » dans les sciences sociales. « Le voyage a été vu comme une boîte noire, un ensemble neutre de technologies et de processus permettant principalement des formes de vie économique, sociale et politique, qui s’expliqueraient par des

processus de cause à effets plus puissants »24 (Sheller, Urry, 2006, p. 208).

Le fait que les regards scientifiques convergent de divers champs vers le tourisme et que des objets de recherche différents soient éclairés par la notion de mobi lité est pour nous particulièrement intéressant. Comme l’illustre l’intérêt des différents champs de recherche pour le tourisme, les enjeux économiques, sociaux et géographiques se donnent à voir dans cet objet. On y retrouve, ensemble, différentes définitions de la mobilité :

– Franchissement de l’espace : définition d’un point de vue géographique ;

– Flux d’informations et de monnaie : définition d’un point de vue sociologique « horizontal » ;

– Trajectoires individuelles dans « l’espace social » : définition d’un point de vue sociologique « vertical ».

24 « Travel has been seen as a black box, a neutral set of technologies and processes predominantly

permit-ting forms of economic, social, and political life that are seen as explicable in terms of other, more causally powerful processes. »

Dans chacun des champs, la mobilité est définie de manière différente. Nous avons besoin de ces différents aspects pour répondre aux objectifs de recherche. L’approche territoriale consiste en une articulation de ces différentes conceptions de la mobilité pour offrir une compréhension des dynamiques de développement. À l’atomisation des domaines de recherches de la mobilité, on oppose une approche englobante et complexe, mais nécessaire.

L’objet tourisme fait converger différentes théories qui se retrouvent dans le para-digme des nouvelles mobilités. Épistémologiquement, ce qui est intéressant dans le cas du tourisme, c’est le fait qu’il s’agisse d’un phénomène de mobilité qui suscite l’intérêt précisément parce qu’il incarne de manière caricaturale des enjeux sociétaux dans une perspective horizontale. Les regards analytiques se détachent d’objets statiques et bien déterminés dans leur champ, pour l’analyse d’un phénomène de mobilité – factuellement et théoriquement mouvant. « Rifkin note que la “science” contemporaine ne voit plus

rien comme étant “statique, fixe et donné” »25 (Sheller, Urry, 2006, p. 212). C’est

comme si le focus sur un objet de recherche immobile permettait jusqu’ici l’immobilité épistémologique et le conformisme aux barrières des champs.

Cette lecture horizontale et verticale des théories sociologiques permet d’envisager de manière nouvelle le rapport au marchand dans les sciences sociales, comme déjà évoqué au point 1.3. Chez Elias, par exemple, la notion de marchandise (comme la religion) est absente (Chartier, 2010). Le MAUSS (Mouvement anti-utilitariste dans les sciences sociales) oscille entre encastrement et non-encastrement : les liens sociaux existent (et rendent possible le don et le contre-don), mais « la liberté marchande consiste essentiellement dans la possibilité […] de se retirer du lien social » (Godbout, Caillé, 1992, p. 228). C’est sur cette idée que semble indirectement fondé le champ du tourisme en sciences sociales, mais aussi plus largement la nouvelle sociologie économique : l’adhésion à l’idée d’encastrement (par exemple, la démonstration socio-économique de Zelizer, 2005) serait relative à une « socialité secondaire », accompagnée d’une argumentation pour l’idée de désencastrement relatif à la « socialité primaire ». Or, « on pourrait se demander pourquoi la NSE (nouvelle sociologie économique) insiste tant sur cette forme de socialisation [la socialisation primaire] alors même que le maintien du lien social dans la société moderne passe davantage par la multiplication des interdépendances abstraites » (Elias, 1993, cité par Chantelat, 2002, p. 530). Le développement d’une tendance horizontale dans les sciences sociales serait donc indépendant du phénomène économique, c’est-à-dire des transactions marchandes. Le social ne concernerait que des « comportements axio-logiques et socio-affectifs, seuls capables de réchauffer le monde froid de l’échange marchand » (Chantelat, 2002, p. 530). Suivant ici toujours Chantelat (2004 p. 291), « on pourrait dire que les sociologues s’offrent des victoires faciles sur les ruines artificielles de la science économique et qu’ils découvrent, inlassablement et à coup

sûr, la pseudo-réalité selon laquelle le marché de la science économique n’existe pas ». En effet, même d’un point de vue purement théorique, il est connu depuis Simmel que la vie sociale « moderne » n’est possible qu’au prix d’une certaine dépersonnalisation du lien social. « Il faut donc accorder de l’importance à la rationalisation sociale du marché et aux relations problématiques entre échangistes inconnus et considérer que l’interaction marchande est d’emblée sociale, non seulement parce que des facteurs culturels (les valeurs) et sociaux (les réseaux) lui donnent sa saveur sociologique, mais aussi et surtout parce qu’elle constitue une forme élémentaire du lien social » (Chantelat, 2002, p. 532). Dans cet ouvrage, on prend en compte les mobilités, y compris les phénomènes marchands. L’intérêt pour la problématique du marchand ne réclame pas nécessairement une approche verticale et critique du social (mais elle ne l’empêche pas – voir Conclusion).

Pour Simmel (2004 [1908]), la monnaie permet à l’étranger d’évoluer dans un environnement qui n’est pas son environnement habituel, en d’autres termes de mobiliser des symboles universels sans la contrainte des liens traditionnels. Ce phénomène est, à l’époque de l’auteur, considéré comme normatif – en l’occurrence, ce « rapport » des hommes entre eux via la monnaie qui était mal vu au Moyen Âge, tout comme le pouvoir de ceux qui le géraient (notamment les Juifs). Il en va différemment dans les interprétations horizontales où la monnaie est considérée comme un « acteur » permettant la création de réseaux entre individus et contribuant ainsi à faire société (ANT, réseaux socio-techniques). Considérer en revanche que la monnaie structure spécifiquement la société n’est plus latourien.

Dans les théories horizontales, les individus, grâce aux phénomènes horizontaux, transgressent les normes relevant de la verticalité ; dans le rapport à la culture (Dissonances culturelles et distinction de soi chez Lahire [2004]), à la religion (sécularisation, individualisation du croire chez Hervieu-Léger [1999]) ou au militantisme (La Fin des militants ? [Ion, 1997]). Et puis ce type de lien, cette « indétermination structurelle » est également exploitée par les managers, dans le cadre du « nouvel esprit du capitalisme » (Boltanski, Chiapello, 1999). Si Simmel peut être ici pris comme exemple d’une tendance normative historique à l’interprétation verticale, ce n’est ici qu’une anecdote, car son œuvre est marquée par l’intérêt qu’il porte à l’horizontalité du social – raison de l’intérêt qui lui est porté aujourd’hui. Comme le note Dubet (2009), « l’air du temps sociologique est “simmelien” : la modernité contemporaine n’est pas caractérisée par l’emprise mécanique du système sur les subjectivités, elle est dominée par le flottement d’un acteur contraint sans cesse de définir sa place et son identité » (p. 104).

Giddens (1994) interprète l’importance des dynamiques horizontales comme un processus résultant d’effets historiques. Les conséquences de la modernité se donnent à voir dans le « parallélisme entre évolution de l’économie de marché et les “conséquences de la modernité”. Ce parallélisme consiste en un phénomène de “dé-localisation des systèmes sociaux (phénomène étroitement lié aux facteurs de dissociation spatio-temporelle)” » (p. 28). Il s’agit de « […] l’extraction des relations

sociales des contextes locaux d’interaction, puis leur restructuration dans des champs spatio-temporels indéfinis » (p. 30). Il est question de liens entre l’individu et sa communauté ou la société, lien influencé par la distanciation spatio-temporelle entre les individus.

L’évolution des mobilités des personnes a été sociologiquement traduite par l’essor des théories à dimension horizontale. Mais dans certaines de ces théories, des conséquences au niveau de la temporalité sont également prises en considération. Le temps contemporain a ceci de spécifique que sa dynamique est due à « la dissociation du temps et de l’espace et à leur recombinaison sous des formes permettant une “distribution” spatio-temporelle précise de la vie sociale » (Giddens, 1994, p. 25). La modernité dissociant le lieu et l’espace, le développement de la relation avec un autrui absent est possible, et se donne à voir, selon nous, notamment à travers les médias, qui peuvent être compris comme des « contextes particuliers de présence » (p. 28).

Le fait est que les logiques d’articulation, durant l’avènement de la modernité, étaient associées à son organisation industrielle. L’émiettement des structures verti-cales issues du fordisme suscite des craintes, c’est-à-dire des risques (Beck, 1986) face auxquels l’organisation collective se substituant à la communauté (par exemple le syndicat) n’est plus efficace. Or, le focus sur l’horizontalité ne fait que rendre moins visible les enjeux verticaux qui, eux, persistent, voire se développent (inégalités, exclusions, domination, etc.). Ce phénomène se rapporte à ce que Moulier Boutang (2008) identifie comme « l’hypertrophie des immatériels », ou plus généralement des effets du capitalisme cognitif, où les évolutions (notamment technologiques)