• Aucun résultat trouvé

m ise en scène eT valeur TerriToriales E n définissant une métaphore de transaction basée sur le concept de valeur

3.2.5. Phase de stagnation (1985-1999)

Pour Bätzing, contrairement à la période des Trente Glorieuses, des événements internationaux survenus depuis ont des conséquences sur le tourisme : le second choc pétrolier et la crise des années 1980, qui ont eu un impact plus important que le premier sur les arrivées et les recettes (Py, 2013) ; la fin du bloc socialiste (qui concerne la mondialisation, la multiplication des échanges de capitaux [Hoerner, 2010]) ; l’ouverture des frontières, les attentats du 11 septembre 2001, etc.

Bätzing évoque une phase de stagnation dans les Alpes dans la mesure où les nuitées hivernales croissent quelque peu (mais sont tributaires de l’état d’ennei-gement), alors que les nuitées estivales continuent de baisser (malgré d’occasionnelles progressions). Le tourisme en dehors des Alpes continuant de croître, le tourisme alpin perd des parts de marché sur les séjours d’agrément. Deux processus liés sont considérés comme responsables, celui de la globalisation et celui de la libéralisation (ouverture des frontières, nombreux nouveaux lieux touristiques, forte baisse du prix des voyages en avion). Vellas souligne que l’industrie touristique est une indus-trie lourde (forts investissements, capital à mobiliser à long terme, comme dans la construction immobilière), et une industrie de main-d’œuvre (ratio par chambre élevé, surtout dans les catégories supérieures). Au niveau mondial, on constate l’expansion des chaînes et la diminution des structures indépendantes de petite taille. « Les investissements de l’industrie touristique sont généralement à forte intensité capitalistique du fait du coût élevé des infrastructures et des équipements » (Vellas, 2007, p. 115). Les investissements et les immobilisations sont importants par rapport au chiffre d’affaires réalisé.

77 Les cas de stations créées ex nihilo en Suisse sont assez peu nombreux. On peut citer, pour la Suisse

D’autre part, si la saison d’hiver ne change que faiblement (amélioration quali-tative, enneigement artificiel qui devient la norme, apparition du snowboard et du carving), la saison d’été subit une transformation beaucoup plus profonde. À côté des traditionnelles ballades et escalades, des sports comme le mountain-bike, le rafting, le parapente, le tennis, le golf, etc., font leur apparition. Ainsi, comme les sports d’hiver, les sports d’été deviennent toujours plus exigeants en matière d’infrastructures. Par conséquent, les besoins d’investissement pour l’offre d’été augmentent fortement, et seuls les lieux touristiques les plus importants gardent la possibilité de proposer une offre large, ce qui renforce ainsi considérablement leur position sur le marché.

3.2.6. « Nouvelles mises en valeur »

Dans son ouvrage publié en 2003, Bätzing identifie une phase de « nouvelles mises en valeur », (Neuerschließungen) débutant en 1999 et caractérisée par l’émergence d’une concurrence entre les Alpes et d’autres régions du monde, ainsi qu’entre les régions au sein des Alpes mêmes. On retient ici que malgré le peu de recul temporel de l’auteur, ce dernier note l’émergence d’un processus « nouveau ». Par rapport aux stations ex nihilo notamment, les représentations de « l’authenticité » deviennent progressivement gage de succès, dès lors qu’elles permettent de caractériser un terri-toire dans la concurrence d’un marché standardisé. À l’étranger par exemple, des stations neuves jouent sur les clichés de l’authentique, telle que Valmorel (MIT, 2005).

C

ette première partie a permis de procéder à un état des lieux théorique concernant la problématique du tourisme en général, et des trajectoires de stations touristiques en particulier. Trois dimensions sont apparues comme irrémédiablement liées à la problématique du tourisme : c’est un phénomène économique, qui repose sur la mobilité des personnes et leur engagement pratique sur un territoire, où les symboles et les représentations sont fondamentaux. À partir de ce constat théorique et de l’observation d’un certain cloisonnement des champs de recherche concernés par cette problématique relativement à ces processus, nous avons élaboré une métaphore sociologique de la transaction territoriale permettant de comprendre de manière synthétique et non exclusive les différentes dimensions en jeu dans un processus de création de valeur : les différentes formes de mobilités et les différentes dimensions de la valeur.

L’élaboration conceptuelle d’une métaphore sociologique est une étape indispen-sable pour penser le développement territorial sans tomber dans l’un ou l’autre des absolutismes de sillons de recherche. Sans revenir sur la discussion sur les aspects « économiques » et « sociaux » abordés dans le chapitre 1, nous rappellerons ici la nécessité d’une ouverture de la « boîte noire » du tourisme dans le champ de l’économie territoriale, qui nous amène à considérer les effets de divers types de mobilités au sein des processus de développement territoriaux. Au plan théorique, cette ouverture permet d’acquérir la marge de manœuvre nécessaire pour aborder les apports segmentés et particuliers des champs de la sociologie (dans son acception large), de la géographie, de l’économie, de l’économie territoriale et de l’histoire. Le tourisme « informe » différentes mobilités78.

78 « It is not just that tourism is a form of mobility like other forms of mobility such as commuting or

La discussion a essentiellement porté jusque-là sur les combinaisons théoriques entre diverses dimensions, toutes réunies au sein de la métaphore sociologique et considérées de manière commune ou exclusive dans différents champs de recherche. Sans revenir sur l’ensemble des débats, nous souhaitons souligner l’importance de la dimension « concrète » de la scène, l’ancrage expérientiel dans la transaction territoriale, comme un élément particulièrement original au regard d’autres théories en économie territoriale.

À ce propos, les deux problématiques de l’expérience et de l’authenticité sont intéressantes, car elles sont mobilisées dans des théories économiques hétérodoxes concernant de près ou de loin le développement territorial et traitent directement de cette dimension d’ancrage existentiel : l’experience economy et l’économie des conventions. Contrairement à ces théories, le modèle proposé ici prend acte effecti-vement de l’ancrage, sans le considérer comme un élément littéralement « extra-ordinaire » ou prenant implicitement part à la théorie. En ce qui concerne l’économie des conventions, et malgré de possibles digressions concepts traduisant a priori une certaine forme d’ancrage comme la convention d’authenticité (Jeannerat, 2013), l’éco-nomie des conventions ne fait qu’« énoncer » l’importance de l’ancrage « concret » des acteurs au territoire. Les postulats implicites que véhicule cette théorie restent essentiellement liés à la rationalité exercée dans ce que l’on appelle ici l’espace public, qui plus est dans un « monde aspatial ».

En ce qui concerne l’experience economy, l’ancrage est considéré comme excep-tionnel – ne faisant la particularité que d’une portion des échanges écono miques –, même si sa part est considérée dans l’absolu comme grandissante. Au regard de la littérature, d’un point de vue général, la métaphore est lue ici dans le sillon conceptuel de la valuation (Callon, 2009 ; Kjellberg et al., 2013). Grâce à ces fondements épistémologiques, le modèle de mise en scène ne peut être considéré artificiellement comme un « outil » marketing dont il était question à l’origine dans la littérature en experience economy (Pine, Gilmore, 1999), ou analytique, par exemple vis-à-vis de l’orientation des politiques publiques (Lorentzen, 2009 ; Therkelsen, Halkier, 2008) ou des questions d’innovation (Jeannerat, 2013).

Dans le modèle de scène territoriale, la dimension territoriale au sens topologique, au sens du rapport physiologique pour les individus, allant jusqu’aux conditions de viabilité (pollution, etc.) est considérée théoriquement. La dimension concrète n’est pas une option théorique considérée ponctuellement et de manière opportuniste (comme dans les concepts de convention d’authenticité par exemple ou d’experience economy). C’est la discussion théorique sur le pragmatisme et sur le concept de valeur chez Dewey qui constitue le socle théorique n’existant pas dans d’autres théories : ici l’expérience pratique chez Dewey est prise en compte dans la métaphore sociologique de la transaction pour comprendre le processus de création de valeur, et le pendant scénique de cet ancrage est la dimension concrète de la scène territoriale. Au niveau métaphorique, on parle de la « forme originelle du rapport au monde », d’une « attitude affirmée, colorée existentiellement » (Honneth, 2011, p. 47), et

au niveau du modèle, on parle de conditions environnementales, et au regard de la demande finalement, d’effets de rareté.

Même si historiquement la dimension concrète des territoires en sciences écono-miques et sociales n’a pas été considérée particulièrement (les questions environ-nementales ne se posant il est vrai que récemment), cette dimension est de tout temps ici considérée théoriquement comme fondamentale. Dans ce sens, la scène territoriale intègre la dimension de viabilité du territoire pour les individus, et le modèle de développement qui en est issu prend en compte la problématique des ressources (création et recréation) (Kebir, Crevoisier, 2004 ; Peyrache-Gadeau, Pecqueur, 2004 ; François et al., 2006).

Cette digression permet de souligner ici un point avancé théoriquement par cet ouvrage. Dans la mesure où la proposition théorique est considérée comme un résultat de notre approche (introduction, point 2.), ces précisions sont utiles. Néanmoins, dans la poursuite de l’autre objectif de cette recherche qui est la compréhension des trajectoires de développement de trois cas de territoires alpins concernés par le tourisme, d’autres éléments doivent être à présent développés, car la première partie ne permet pas de spécifier une trajectoire par rapport à une autre : l’élaboration théorique proposée jusqu’ici est utile pour présenter les principes fondamentaux, communs à l’ensemble des transactions. On y a posé que la métaphore de la transaction terri-toriale constitue une relation inscrite dans l’espace et dans le temps, à travers laquelle se constitue la valeur, sur la base de différentes mobilités et de scènes y relatives. Nous problématiserons, dans la deuxième partie, les jeux sur la spatialité et la temporalité constituant divers types de transactions, dont l’accumulation permettra de comprendre les divergences entre les différentes trajectoires.