• Aucun résultat trouvé

1.3.5 – Utilisation d’un champ de force (FF) pour évoquer une adaptation locomotrice

Plusieurs approches ont été tentées en réadaptation locomotrice pour favoriser la récupération fonctionnelle après une lésion du SNC. On retrouve notamment les traitements cellulaires et moléculaires, et la stimulation de la moelle épinière pour lesquels les résultats chez l’animal n’ont pas pu être reproduits chez l’humain (Hubli and Dietz 2013, Fakhoury 2015, Dietz 2016). On retrouve également les protocoles expérimentaux utilisant la stimulation cérébrale profonde qui offrent des résultats encourageant, mais dont l’accessibilité logistique et le caractère invasif en limite l’utilisation (Morita, Hass et al. 2014, Lau, Welter et al. 2015). L’entrainement à la marche a également montré des bénéfices en réadaptation et plusieurs équipes de recherche évaluent plus spécifiquement le potentiel de l’adaptation locomotrice dans un champ de force. La présente section aborde plus en détail cette dernière modalité.

Vers la fin du 20e siècle, les études sur l’entrainement à la marche ont identifié des signes de plasticité motrice après des lésions du SNC (Rossignol and Barbeau 1995, Barbeau, Norman et al. 1998) et du système nerveux périphérique (SNP) (Rossignol, Brustein et al. 2004). Des indices plus récents suggèrent que ce potentiel de plasticité persisterait même après une lésion complète de la moelle épinière (Bouyer and Rossignol 1998, Bouyer, Whelan et al. 2001, Edgerton, Tillakaratne et al. 2004, Lunenburger, Bolliger et al. 2006, Edgerton and Roy 2009, Roy, Harkema

25

et al. 2012). Cela confirme le potentiel théorique de récupération motrice et, par conséquent, l’importance de développer des protocoles de réadaptation locomotrice. Malgré ce potentiel théorique, la récupération motrice est souvent longue et incomplète avec les protocoles actuels (Bowden, Behrman et al. 2012, Routson, Clark et al. 2013), indiquant qu’une approche plus ciblée sur les lésions spécifiques du patient est requise. L’entrainement dans un champ de force pourrait possiblement répondre à ce besoin. L’utilisation d’un champ de force réfère à l’application d’une contrainte mécanique extérieure dans le but de modifier la trajectoire planifiée d’un membre. Cette perturbation est détectée par le système sensoriel et est ensuite transmise au SNC qui l’analyse l’interprète comme une erreur de mouvement. Cette erreur de mouvement est présumée induire secondairement l’adaptation locomotrice. La correction motrice produite lors de l’application d’un champ de force à la marche supporte cette hypothèse (Blanchette and Bouyer 2009). En plus de la spécificité de son action, l’entrainement par champ de force est une approche non invasive. Cela en fait une alternative aux modalités mentionnées plus haut qui mérite d’être étudiée davantage (Patton and Mussa-Ivaldi 2004, Bouyer 2011).

Les études utilisant un champ de force ont également montré que le maintien d’une perturbation sur plusieurs cycles de marche occasionne des modifications soutenues du patron locomoteur, même quelques cycles de marche après le retrait de la perturbation (Blanchette and Bouyer 2009, Noel, Fortin et al. 2009, Bouyer 2011). Cette persistance transitoire du mouvement indique que cette adaptation origine d’une modification à la commande motrice de base, et non seulement d’une réponse réflexe sporadique. Cette adaptation motrice dans un champ de force surviendrait plus rapidement en cas d’une répétition de la perturbation les jours suivants (Fortin, Blanchette et al. 2009, Blanchette, Moffet et al. 2012), témoignant d’une forme d’apprentissage et de la capacité d’induire des changements relativement persistant au niveau du SNC. De plus, l’adaptation du patron locomoteur pourrait également être obtenue en réponse à une perturbation graduelle, et ce, avant même que la perturbation soit perçue par le sujet (Mattar, Darainy et al. 2013). L’adaptation à un champ de force répond ainsi à des mécanismes involontaires, même si elle demeure facilitée lorsqu’on cherche à corriger volontairement l’erreur perçue (Malone and Bastian 2010).

En somme, l’adaptation dans un champ de force relève d’un phénomène plus complexe qu’une simple réponse musculaire réflexe et ne saurait dépendre d’une simple activation volontaire. Au contraire, elle combine des mécanismes involontaires et volontaires pour induire des changements prévisibles (Emken and Reinkensmeyer 2004) et calculés de la commande motrice. Ces changements laissent également une trace au niveau du SNC, tel que le montre l’apprentissage présent le deuxième jour de l’exposition à un champ de force. Ensemble, l’aspect involontaire et le caractère persistance de l’apprentissage indiquent une certaine forme de plasticité neuronale qui dépasse les capacités d’un signal correctif transitoire provenant du cervelet. C’est pour ces raisons que cette forme d’adaptation motrice est souvent identifiée sous la désignation de

26

« plasticité adaptative » (Gordon, Fletcher et al. 1995, Bouyer, Whelan et al. 2001) ou encore de « recalibration motrice » (Lackner and DiZio 2000, Choi, Bouyer et al. 2015).

Les mécanismes permettant la plasticité adaptative sont toutefois mal définis. Outre le concept de l’erreur de mouvement (Bouyer 2011) et le rôle du cervelet (Fujita 2016), peu d’études ont détaillé les mécanismes sous-jacents ou encore la localisation des circuits permettant d’induire l’adaptation. Les caractéristiques de ces circuits et la connaissance plus précise de l’étiologie du signal sensoriel permettant la plasticité adaptative permettrait de mieux identifier les limites et forces de ce mode d’adaptation. Il serait par la suite possible de développer des protocoles de réadaptation optimisant spécifiquement les caractéristiques inductrices d’adaptation. La précision des stimuli sensoriels

Pour ce faire, une première étape consiste en l’évaluation des stimuli sensoriels pour identifier la(les) source(s) du signal d’erreur qui induit (sent) le mieux une adaptation. La meilleure estimation provient des études décrivant l’erreur de mouvement. Il est estimé que cette erreur de mouvement est fort probablement créée à partir des afférences musculaires (groupe I, II) (Jones, Wessberg et al. 2001, Dimitriou 2016) et/ou tendineuses (groupe Ib). L’erreur est également potentiellement soumise à l’activité des motoneurones ƴ qui ajustent la tension intrinsèque des fuseaux neuromusculaires. D’autres auteurs suggèrent également l’implication potentielle des afférences cutanées (Choi, Jensen et al. 2016). Un mécanisme alternatif d’adaptation est même possible via les informations spatiales recueillie par le cortex visuel (Jones, Wessberg et al. 2001), et ce en l’absence d’afférences sensorielles proprioceptives (Melendez-Calderon, Masia et al. 2011).

En somme, la marche résulte de l’interaction de nombreux circuits nerveux. On y retrouve initialement le CPG permettant l’initiation d’un patron locomoteur de base qui est soumis à l’action des centres supérieurs (ganglions de la base, cervelet, cortex, etc.) pour son activation, sa modulation/modification, le choix du schème d’activation musculaire et la cessation d’un patron locomoteur. La bonne activation musculaire est aussi tributaire d’une modulation du CPG adéquatement médiée par les afférences nerveuses sensitives. Une partie de ces afférences sensorielles transite aux centres supérieurs pour permettre une modulation adéquate, mais une portion des signaux sensitifs est intégrée dès la moelle épinière et permet une réaction plus rapide. Le contrôle de la marche est donc le résultat de la combinaison de commandes initiales et de corrections apportées suite aux signaux transmis par le SNP sensitif. Cela indique que les influx périphériques peuvent aussi modifier la commande motrice et par conséquent le mouvement. Une intervention non invasive permettant l’activation d’afférences sensorielles pourrait donc induire une modification au patron locomoteur sans les risques et inconvénients d’une neurochirurgie. C’est d’ailleurs ce que cherche à montrer les études utilisant les champs de force à la marche.

27

Certaines connaissances cruciales sont toutefois manquantes, dont les afférences sensorielles pouvant induire préférentiellement la plasticité adaptative. Certains indices enlignent vers les signaux en provenance des récepteurs proprioceptifs, mais la validation expérimentale de cette hypothèse demeure à être conduite.

28

1.4 - Objectif(s) spécifique(s)

Afin de mieux comprendre les mécanismes adaptatifs de la locomotion chez l’humain, ce mémoire vise à préciser quels sont les stimuli qui peuvent induire une adaptation de la marche dans un champ de force chez l’humain. Cela nous aidera à préciser davantage les capacités et limites réelles de la réadaptation par champ de force, de façon à chercher de quelle façon optimiser la récupération locomotrice.

Jusqu’à présent, les études sur les champs de force ont porté sur des perturbations mécaniques appliquées à chaque cycle de marche pendant une période donnée. Toutefois, les patients requérant une réadaptation locomotrice font face à une diminution de leur endurance à l’effort. Le premier objectif spécifique est donc de confirmer si l’application de stimuli sporadiques peut induire une adaptation locomotrice.

Les études initiales sur les champs de force portaient également sur une perturbation mécanique présente sur toute la durée du cycle de la marche. Les études plus récentes ont toutefois montré qu’une perturbation présente uniquement sur une fraction du cycle de la marche pouvait également induire une adaptation, permettant alors de réduire la demande énergétique requise pour vaincre la perturbation. Le deuxième objectif spécifique est de confirmer si des perturbations ciblées dans le cycle de marche induisent une adaptation dont l’effet peut être ciblé à une zone du cycle de marche (malgré leur application sporadique).

Les troubles locomoteurs nécessitant de la réadaptation sont de nature variée. Plusieurs de ces troubles locomoteurs sont la conséquence d’un manque d’activité musculaire, alors que d’autres sont la conséquence d’une augmentation du tonus musculaire. Une adaptation locomotrice adaptée nécessiterait donc de moduler positivement ou négativement le niveau d’activité musculaire. Le troisième objectif spécifique est de valider si une modulation musculaire bidirectionnelle est possible lors de l’adaptation locomotrice induite par des champs de force. L’utilisation des réflexes comme sonde pour tester l’état du SNC est une option intéressante pour rechercher des modifications centrales associées à l’adaptation et, ainsi, localiser des circuits associés au processus d’adaptation. Toutefois, l’utilisation de réflexes d’étirement semble perturber l’adaptation dans un champ de force, ce qui indique qu’ils interagissent avec les mécanismes d’adaptation. En rétrospective, cela s’explique par le fait que la création d’une adaptation dans un champ de force et l’obtention d’un réflexe d’étirement proviennent tous deux principalement d’afférences sensorielles proprioceptives. Différentes formes de perturbations mécaniques ont ainsi un effet sur l’adaptation. Le quatrième objectif est donc de préciser la nature des stimuli (afférences sensorielles et/ou erreur de mouvement) qui peuvent induire une adaptation et si l’une ou l’autre est plus efficace.

29

Étant donné que les perturbations mécaniques induisent une adaptation via les mêmes afférences sensorielles que celles initiant des réflexes d’étirements, il est raisonnable de croire qu’une perturbation plus lente et progressive comme les champs de force pourrait également induire une réponse réflexe. Ainsi, le cinquième objectif spécifique de ce mémoire est de vérifier si une réponse réflexe est produite en réponse aux différents types de champs de force. Si oui, un sixième objectif sera de valider s’il y a une association entre la force de l’adaptation et l’intensité du réflexe détecté, voire plus spécifiquement à l’une des réponses individuelles constituant le réflexe. Une telle corrélation entre une boucle réflexe et la force de l’adaptation pourrait préciser la nature du signal nerveux déclenchant l’adaptation, de même que possiblement localiser certains circuits du SNC impliqués dans la plasticité adaptative en se basant sur les structures nerveuses parcourues par une boucle réflexe.

30

2 - Méthodologie de la recherche

2.1 – Formule d’expérimentation

L’expérience décrite dans l’article ci-joint est de type quasi-expérimentale. Elle fut effectuée selon un devis à multiple sujets uniques (« multiple single subjects design »). Il s’agit d’un mode d’expérimentation où chaque participant est son propre contrôle pour les comparaisons subséquentes. Ce mode d’expérimentation offre ainsi le moyen d’observer des tendances sans comparer directement des sujets entre eux, prévenant ainsi des biais de comparaison puisque les participants ne possèdent pas, à la base, le même patron de marche ni la même sensibilité neurosensorielle.

2.2 – Critère d’inclusion et d’exclusion