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4.1.5 Mécanismes sous-jacents à l’adaptation (précoce et tardive) du conditionnement opérant et du champ de force

Selon les études portant sur le conditionnement opérant de réflexe, les changements neuronaux induits par le conditionnement opérant respecteraient une certaine contingence temporelle (horizontale). En effet, le changement à l’activité neuronale descendante (adaptation précoce) précéderait les changements spinaux (adaptation tardive). Plus spécifiquement, l’adaptation précoce permettrait de modifier la modulation descendante et induire secondairement l’adaptation tardive (Thompson, Chen et al. 2009, Wolpaw 2010).

L’adaptation précoce et l’adaptation tardive nécessitent des changements à plusieurs à niveaux. Parmi les sites touchés par le conditionnement opérant, on retrouve le cervelet, le cortex sensorimoteur, les voies ascendantes et descendantes, les circuits spinaux locaux, le motoneurone et le muscle. Les sites et mécanismes permettant l’adaptation diffèrent toutefois selon le type de

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conditionnement impliqué (conditionnement positif vs négatif ; conditionnement précoce vs tardif), ceux-ci ne résultant pas de mécanismes miroirs (Carp and Wolpaw 1994, Carp and Wolpaw 1995).

Les changements associés à l’adaptation précoce seraient d’origine supra-spinale et impliquerait plus spécifiquement une plasticité du cortex sensorimoteur(Chen, Chen et al. 2010). C’est via cette plasticité au cortex sensorimoteur qu’il serait possible de soutenir une modulation de l’activité corticospinale suffisamment longtemps pour permettre un ajustement tâche-dépendante de l’inhibition pré-synaptique (Thompson, Chen et al. 2009, Wolpaw 2010, Thompson and Wolpaw 2014). L’incapacité d’induire une adaptation par conditionnement opérant suite à l’ablation chirurgicale du cortex sensorimoteur chez le rat (Chen, Carp et al. 2006) supporte d’ailleurs le caractère indispensable du cortex sensorimoteur pour l’adaptation. Une étude induisant une lésion virtuelle (par rTMS) du cortex moteur primaire a également montré qu’elle était également requise pour permettre l’adaptation dans un champ de force chez l’humain (Choi, Bouyer et al. 2015).

Ainsi, l’intégrité du cortex sensorimoteur est nécessaire pour qu’une adaptation précoce puisse être obtenue. Également, cela indique qu’une stimulation périphérique seule ne peut induire d’adaptation tardive, ce qui exclue les boucles réflexes M1 et M2 comme possible source d’adaptation. Cela n’exclue toutefois pas la boucle réflexe transcorticale, mais suggère fortement que l’adaptation obtenue se manifeste par la voie corticospinale. D’ailleurs, la modulation descendante de la boucle réflexe spinale à courte latence (M1) est tributaire de la consigne qui est donnée (Wolpaw 1983). L’implication centrale du cortex sensorimoteur et de la voie corticospinale suggère qu’une composante volontaire pourrait également contribuer au processus d’adaptation. Ainsi, au même titre que pour le conditionnement opérant, l’adaptation obtenue en réponse à un champ de force implique vraisemblablement une modulation du signal descendant vers les centres moteurs spinaux puisque l’adaptation également répond à une directive fonctionnelle.

Les changements au sein du cortex sensorimoteur acquis par l’adaptation précoce persisteraient jusqu’à 5-10 jours (Chen, Carp et al. 2006, Chen, Chen et al. 2006). Toutefois, le maintien d’un comportement persistant à long terme (>40-50 jours) via l’adaptation tardive nécessite l’implication du cervelet, tel que prouvé par des études lésionnelles (Chen and Wolpaw 2005, Wolpaw and Chen 2006). Ce signal cérébelleux serait façonné sous l’action des fibres grimpantes provenant de l’olive inférieure (Chen, Wang et al. 2016), et ce, particulièrement pour le « down- conditioning » (Chen and Wolpaw 2005, Wolpaw and Chen 2006, Chen, Wang et al. 2016). L’implication cérébelleuse dans le processus de plasticité spinale est toutefois indirecte. En effet, la transsection de la voie rubrospinale n’empêche pas le conditionnement des réflexes spinaux

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(Chen and Wolpaw 2005, Wolpaw and Chen 2006). La transsection des voies réticulospinale et vestibulospinale ne perturbent pas non plus l’adaptation (Chen and Wolpaw 1997, Chen and Wolpaw 2002). Par contre, la présence d’une lésion à la voie corticospinale empêche le conditionnement des réflexes spinaux (Chen, Carp et al. 2002, Chen, Chen et al. 2006). L’action du cervelet permet ainsi de supporter les changements au cortex sensorimoteur suffisamment longtemps pour que le signal corticospinal ait le temps d’induire à son tour les mécanismes de plasticité au niveau médullaire.

Les changements induits par la plasticité tardive impliquent ainsi possiblement des changements au niveau du cortex sensorimoteur, mais également plusieurs changements spinaux. En effet, les changements de l’activité réflexe persistent à long terme malgré la transsection de la voie corticospinale survenant après la plasticité tardive, témoignant donc d’un changement local persistant (Wolpaw and Lee 1989). Les changements induits à long terme se répercutent, entre autres, sur la nature des fibres motrices composant le muscle, et par conséquent leurs propriétés contractiles (Carp, Chen et al. 2001). D’autres changements tardifs impliquent directement le motoneurone et s’obtiennent principalement suite au conditionnement négatif (Carp and Wolpaw 1994, Halter, Carp et al. 1995), (Wolpaw 2010, Thompson, Pomerantz et al. 2013). Ces changements impliqueraient l’augmentation du seuil de dépolarisation du motoneurone, la diminution de la vitesse de conduction axonale et une légère diminution du potentiel post- synaptique (Carp and Wolpaw 1994, Carp, Chen et al. 2001). Il est estimé que ces changements seraient possibles suite à l’augmentation du potentiel d’activation des canaux sodiques somatiques et axonaux (Halter, Carp et al. 1995, Wolpaw 1997, Wolpaw 2010, Thompson, Pomerantz et al. 2013).

Le conditionnement négatif induirait également une augmentation de l’inhibition post- synaptiques en augmentant le nombre de récepteurs GABAergique (Wang, Pillai et al. 2006) et cholinergique C (Feng-Chen and Wolpaw 1996) des motoneurones et des interneurones situés au niveau de la corne ventrale de la moelle épinière (Wang, Pillai et al. 2009). Cette inhibition post- synaptique aurait pour effet d’inhiber les boucles réflexes monosynaptiques (fibre Ia- motoneurone) (Carp and Wolpaw 1994, Carp and Wolpaw 1995) et oligosynaptiques, mais également les influx en provenance de la voie corticospinale (Chen, Chen et al. 2010). Le conditionnement positif serait, quant à lui, particulièrement associé aux changements dans les circuits di et trisynaptiques du réflexe de Hoffman (Wolpaw and Chen 2001) par une action sur leur(s) interneurone(s) (Wolpaw 2010). La Figure 4.1 illustre la localisation des changements induits par la plasticité secondaire au conditionnement tardif.

75 Les changements spinaux de l’adaptation tardive décrit précédemment toucheraient également les circuits médullaires contralatéraux (Carp and Wolpaw 1995, Pillai, Wang et al. 2008) et ceux permettant l’inhibition réciproque (Chen, Chen et al. 2006). Toutefois, la réponse controlatérale serait de moindre intensité (130% vs 188%). Cette asymétrie confirme que l’effet du conditionnement diffère selon les niveaux. En fait, des études complémentaires indiquent également que les changements neuronaux associés à l’adaptation tardive suivent une hiérarchie fonctionnelle (verticale). Cette notion réfère plus spécifiquement à la priorisation de certaines fonctions, de façon à « négocier un équilibre » (Wolpaw 2010) selon les besoins respectifs de chacun des circuits impliqués. En effet, les mêmes circuits spinaux peuvent effectuer plusieurs tâches distinctes et chacune de ces tâches requiert une modulation différente des voies impliquées de façon à permettre une modulation optimale du comportement (Capaday and Stein 1987). Par exemple, la modulation du réflexe de Hoffman diffère selon la tâche effectuée (station debout, marche et course) (Capaday and Stein 1986, Capaday and Stein 1987, Stein and Capaday 1988) en réponse aux besoins distincts et potentiellement conflictuels

entre ces tâches. La négociation d’un équilibre permet d’obtenir un état d’excitabilité pour le circuit concerné qui forme un compromis pour répondre de façon « satisfaisante » aux différents besoins spécifiques des comportements moteurs connus de la personne (Nielsen, Crone et al. 1993, Ozmerdivenli, Bulut et al. 2002, Zehr 2006).

Ainsi, lorsqu’un sujet doit s’adapter à des perturbations de natures différentes, le SNC réagit en adoptant une stratégie de mouvement plus sécuritaire et choisi un comportement mitoyen, au lieu de s’adapter spécifiquement à l’une ou l’autre des perturbations (Bhatt, Wang et al. 2013). De cette façon, il évite des erreurs potentiellement « dangereuse », ce qui renforce le concept de

Figure 17 (4.1): Illustration schématique des sites spinaux et supra-spinaux touchés par l’adaptation tardive associée au conditionnement opérant des réflexes de Hoffman.

Les zones ombragées ovales indiquent l’emplacement des changements probables (pâle) ou confirmés (foncé). MN, Motoneurone; CST, voie corticospinale; IN, Interneurone spinal; GABA IN, Interneurone GABAergique. La légende précise la nature des interactions synaptiques (Chen, Chen et al. 2010).

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négociation d’équilibre. La modulation de l’activité descendante permettrait, quant à elle, de modifier cet équilibre pour prioriser certains comportements spinaux dont l’importance fonctionnelle serait plus grande.

Étant donné les similitudes entre le conditionnement opérant de réflexes et de l’adaptation dans un champ de force, il est probable que les mécanismes décrits précédemment s’appliquent similairement aux deux types de protocole. Cela suggère ainsi que la littérature béhavioriale pourrait s’appliquer de façon plus large aux études d’adaptation dans un champ de force et pourrait aider à optimiser les protocoles actuels en réadaptation. L’annexe 3 jointe à ce mémoire suggère un schéma intégratif des interactions régissant le contrôle moteur et la plasticité adaptative à titre de référence.

4.1.6 - Opportunités thérapeutiques nouvelles en réadaptation : clientèles, opportunités,