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4.1.6 Opportunités thérapeutiques nouvelles en réadaptation : clientèles, opportunités, limites et techniques complémentaires

4.1.6.1 - Clientèles et techniques complémentaires applicables au conditionnement opérant Les résultats présentés précédemment indiquent que le conditionnement opérant serait potentiellement bénéfique pour plusieurs patients. Il a été notamment mentionné dans les sections précédentes un potentiel pour les patients avec une lésion incomplète de la moelle épinière (Thompson, Pomerantz et al. 2013). Le conditionnement opérant standard semble toutefois être limité pour les patients atteints d’une transsection complète de la moelle épinière puisque la voie corticospinale semble requise pour adapter la marche. Il est ainsi intéressant de noter que certaines études chez l’animal et l’humain suggèrent qu’une plasticité spinale serait malgré tout possible après lésion complète par d’autres mécanismes (Bouyer and Rossignol 1998, Bouyer, Whelan et al. 2001, Edgerton, Tillakaratne et al. 2004, Lunenburger, Bolliger et al. 2006, Edgerton and Roy 2009, Roy, Harkema et al. 2012).

La possibilité d’induire une diminution de l’activité musculaire (Ferris, Gordon et al. 2004) suggère une application possible chez les patients avec spasticité (AVC, lésion médullaire, etc.). L’absence de diminution de la réponse dans le champ de force assistif chez les patients sains indique toutefois que certaines conditions qui sont toujours mal définies sont requises pour obtenir ce résultat.

Les protocoles de conditionnement opérant ont également montré un effet favorable pour les lésions touchant le SNP chez l’animal et l’humain (Chen, Wang et al. 2010, Thompson, Lapallo et al. 2011). De même, des études utilisant un entrainement aux dérobades ont montré qu’il était possible d’optimiser les circuits spinaux afin de réduire le risque de chutes chez les personnes âgées sans lésion du SNC (Pai, Bhatt et al. 2014). Ainsi, cela suggère que le conditionnement

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spinal permettrait non seulement de moduler les circuits suite à des lésions aigues du SNC et SNP, mais également suit à des changements associés au vieillissement (« lésions physiologiques »). Un potentiel théorique existerait également pour développer et optimiser des aptitudes motrices chez les sujets sains, et ce, sans être nuisible pour le patient. En effet, une plasticité multi-site permet de conserver la fonction globale lorsqu’il y a adaptation positive chez des sujets sains (Wolpaw 2010). Des changements compensatoires touchant d’autres muscles permettent ainsi de maintenir une réponse motrice fonctionnellement intacte (Chen, Chen et al. 2011). Cette plasticité compensatoire prévient la dégradation d’une fonction déjà affaiblie même si on tente de la réduire davantage, empêchant ainsi de nuire à la locomotion (Chen, Chen et al. 2014). Cela respecte la primauté de l’objectif fonctionnel et respecte la théorie d’un équilibre spinal entre les différentes tâches empruntant un même groupe de circuits.

D’autres techniques expérimentales ont également montré un potentiel pour activer les mêmes mécanismes que le conditionnement opérant. C’est notamment le cas de la stimulation transcrânienne à courant direct (tDCS) du cervelet qui peut réguler positivement et négativement l’apprentissage moteur (Herzfeld, Pastor et al. 2014). Ainsi, l’utilisation de la tDCS pourrait être une option à tenter en cas de lésions touchant le cervelet, ou encore pour tenter d’accélérer/optimiser l’adaptation à long terme. La stimulation magnétique transcrânienne (TMS) peut également être utilisée à l’intérieur d’un protocole de conditionnement opérant pour induire des réponses précises dans des circuits corticospinaux chez des personnes saines (Brangaccio, Favale et al. 2014) ou avec une lésion du SNC comme la sclérose en plaque (Favale, Velez et al. 2014) ou les lésions médullaires (Manella, Roach et al. 2013). C’est également le cas de la stimulation magnétique transcrânienne répétée (rTMS) chez des patients atteints de sclérose en plaques (Centonze, Koch et al. 2007, Mori, Koch et al. 2009) et de lésions médullaires (Tazoe and Perez 2015).

Ces différents modes de stimulation cérébrale sont initiés par un mécanisme extérieur à l’individu lui-même. Toutefois, il semblerait que des mécanismes intrinsèques comme les processus cognitifs permettant de visualiser mentalement une tâche induisent également des résultats prometteurs. En effet, une évaluation biomécanique permettant une meilleure compréhension du déficit et de la tâche à accomplir pourrait également aider à conditionner une réponse précise (Nadeau, Duclos et al. 2011), soulignant une fois encore l’importante des schèmes cognitifs pour consolider un comportement.

La stimulation magnétique de nerfs périphériques semble également pouvoir moduler l’intensité des voies réflexes et diminuer la spasticité après une lésion du SNC (Goulet, Arsenault et al. 1996). Le mécanisme exact de ce phénomène est inconnu, mais il semblerait que la modulation des voies réflexes en réponse aux afférences somatosensorielles persiste après une lésion

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complète de la moelle épinière (Knikou and Conway 2001). En conséquence, la démonstration d’une plasticité chez des sujets sains pourrait théoriquement être transposable aux lésions médullaires complètes puisque les influx périphériques peuvent également induire une plasticité spinale. C’est d’ailleurs ce qui se produit vraisemblablement lors de l’adaptation motrice obtenue suite à des entrainements contre résistance après des lésions touchant le SNC (Taub, Uswatte et al. 1999, Wolf, Winstein et al. 2006, Askim and Indredavik 2008, Blanchette, Lambert et al. 2011, Rossignol, Frigon et al. 2011). Cette plasticité adaptative est obtenue principalement par l’intermédiaire des stimuli proprioceptifs et ne nécessite pas l’implication d’un feedback visuel (DiZio and Lackner 2000).

Toutefois, les stimuli proprioceptifs ne sont pas les seuls à permettre une adaptation. En effet, d’autres formes de stimulation sensitive périphérique semblent également offrir un potentiel thérapeutique. Il a été montré que l’adaptation à un champ de force est également possible en l’absence de stimuli proprioceptifs en raison de la vision qui compense pour la représentation centrale du mouvement du membre (Sarlegna, Malfait et al. 2010). Les afférences sensorielles visuelles et proprioceptives offre ainsi une combinaison de deux voies fonctionnellement différentes pour adapter le mouvement (Scheidt, Conditt et al. 2005). D’ailleurs, l’entrainement grâce à la réalité virtuelle offre un feedback interactif de la performance locomotrice qui améliore significativement la performance (Roosink, Robitaille et al. 2016). Afin d’optimiser au maximum l’apprentissage, il est bon de noter que renforcement positif fonctionne mieux que le négatif pour les stimuli visuels (Gozli, Aslam et al. 2016), de même que les stimuli brefs permettraient une rétention du comportement plus durable que les stimuli continus (Rhea, Kiefer et al. 2014). Au final, il n’est donc pas surprenant d’observer que l’utilisation d’une rétroaction visuelle soit aussi efficace que la nourriture pour conditionner un comportement (Thompson and Wolpaw 2014). 4.1.6.2 - Puissance d’effet du conditionnement opérant :

Les protocoles de conditionnement opérant présenteraient une réponse favorable dans 75-80% des sujets (Thompson and Wolpaw 2014). Dans notre protocole, plus de 85% des sujets ont présenté une adaptation à l’intérieur même de l’expérimentation et donc « précoce », témoignant d’une plasticité corticale. Le pourcentage de ceux-ci qui aurait été en mesure de développer une adaptation tardive témoignant de la plasticité spinale n’est pas évaluable en raison de la courte durée de notre expérimentation. Toutefois, la présence d’une adaptation précoce est la présentation initiale de la tardive. Cela suggère qu’une bonne proportion de nos sujets pourrait probablement développer une plasticité spinale également avec un entrainement plus long. L’adaptation tardive fut initialement étudiée chez les animaux, montrant qu’une réponse maximale serait vraisemblablement obtenue à partir de 50 à 60 jours d’entrainement et permettrait d’augmenter ou de réduire le signal jusqu’à 175% et 55% respectivement de la valeur initiale

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(Thompson and Wolpaw 2014). Chez l’homme, un protocole d’entrainement similaire permettrait d’obtenir 140% et 69%, mais avec 3 à 5% du nombre total d’expositions aux stimuli réparti sur une même période (Thompson and Wolpaw 2014). Chez les patients avec des lésions du système nerveux comme les blessés médullaires, cela fut associé avec une augmentation de la vitesse de marche allant jusqu’à de 59%, une diminution la co-contraction/spasticité et d’une amélioration de la symétrie de la marche (Thompson, Pomerantz et al. 2013). Ces changements cliniquement significatifs offrent ainsi une avenue thérapeutique de choix pour optimiser les protocoles de réadaptation actuels. L’action du conditionnement apporterait même des changements au niveau des muscles proximaux et distaux du membre concerné (Thompson, Pomerantz et al. 2013), de même qu’au membre controlatéral (Carp and Wolpaw 1995, Pillai, Wang et al. 2008), tel que mentionné précédemment.

L’effet obtenu perdurerait plusieurs mois (Segal and Wolf 1994). Aucune étude à long terme n’a encore permis d’en préciser la durée réelle, voire une disparition complète de l’effet de l’adaptation tardive, mais il est suggéré que l’effet serait plus long chez les patients souffrant de lésion du SNC en raison du bénéfice fonctionnel d’une modulation des circuits nerveux spinaux (Thompson and Wolpaw 2014).

4.1.6.3 - Généralisation d’un comportement

L’objectif premier de la réadaptation est d’aider à récupérer des capacités qui permettront aux patients d’évoluer plus aisément dans leurs activités de la vie quotidienne. Toutefois, les apprentissages faits dans un contexte spécifique ne sont pas nécessairement transposables à toutes les situations. Par exemple, l’apprentissage moteur fait à l’aide d’une orthèse robotisée n’a d’intérêt clinique que si cet apprentissage peut perdurer en l’absence de l’orthèse en question. Ces deux contextes de marche en font des « comportements » distincts et il n’est pas garanti que les comportements soient d’emblés transposables.

Certaines données semblent indiquer que la généralisation d’un apprentissage sur tapis roulant vers la marche au sol est possible (Liu, Bhatt et al. 2016). C’est également ce que suggère la diminution du risque de chute chez les personnes âgées après une exposition encadrée à des pertes d’équilibres sur tapis roulant (Yang, Bhatt et al. 2013). Toutefois, les tentatives de généralisation d’un apprentissage sur tapis roulant sont parfois infructueuses (Lee, Bhatt et al. 2016). Cela souligne que des études sont nécessaires pour comprendre les conjonctures requises pour que cette généralisation soit possible, puis optimale.

D’autres études mettent en évidence d’autre contexte où la généralisation d’un apprentissage moteur est possible. L’apprentissage fait par un membre est effectivement transposable au membre controlatéral, et ce, même en l’absence d’afférence proprioceptive puisque les stimuli visuels peuvent compenser en fournissant également les informations requises pour adapter le

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mouvement (Lefumat, Miall et al. 2016). Cette généralisation au côté opposé serait plus aisée lorsque les mouvements concernés sont effectués dans des positions similaires (Green and Labelle 2015). Cela suggère que ce type d’apprentissage est étroitement relié à la représentation spatiale du membre. Cela explique également pourquoi les stimuli visuels et proprioceptifs sont interchangeables, puisque tous les deux renseignent de façon dynamique le SNC sur la position du corps dans l’espace, permettant de mieux adapter le comportement moteur selon les besoins. De même, des comportements bilatéraux peuvent être généralisés à des mouvements n’impliquant qu’une seul membre (Wang, Lei et al. 2013).

La séquence d’exposition et la nature des perturbations aurait également un impact sur la capacité à induire une adaptation et à généraliser le comportement (Alexander, Flodin et al. 2013). En effet, des perturbations trop imprévisibles peuvent nuire à l’établissement d’un état d’équilibre et à la généralisation d’un comportement à tous les cycles de marche. C’est d’ailleurs ce qui fut observé lors d’une l’étude pilote non publiée où des étirements réflexes furent induits sporadiquement chez des sujets tentant de s’adapter à un champ de force.

La généralisation d’un comportement peut donc possiblement être à l’œuvre dans plusieurs situations. Certaines situations semblent toutefois plus propices que d’autres pour induire ce processus. Certaines dispositions basées sur les connaissances apportées par la littérature béhavioriste pourraient être tentées pour maximiser la généralisation du comportement (Garcia and DeHaven 1974).

4.1.6.4 - Autres théories béhavioristes

La littérature béhavioriste comprend également plusieurs autres théories qui pourraient aider à optimiser l’apprentissage locomoteur. Par exemple, certains auteurs indiquent que le conditionnement associatif serait également possible chez l’humain (Deweese, Robinson et al. 2016). D’autres auteurs nous rappellent également que le conditionnement opérant seul peut certes moduler positivement ou négativement un comportement, mais il ne peut pas induire seul une réponse qui n’est pas déjà dans le répertoire des comportements de la personne (Bruce and Borg 2002). D’autres techniques béhavioristes doivent donc être utilisées pour induire de tous nouveaux comportements, tels que le façonnement « shaping » (Taub, Crago et al. 1994), l’association progressive par étape « building chains of behavior » (Kulvicius, Porr et al. 2007), le conditionnement de deuxième ordre « second order conditioning » (Rizley and Rescorla 1972) et l’imitation « modeling » (Rosenbaum and Breiling 1976).

Le façonnement consiste en la modification progressive d’un comportement similaire en renforçant davantage les actions qui se rapprochent de plus en plus de la réponse souhaitée. L’association progressive par étape consiste quant à elle à associer différents stimuli précurseurs du comportement désiré, formant une contingence de conditionnement associatif. Cette

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association se ferait idéalement par l’intermédiaire d’un conditionnement positif, par contraste au conditionnement négatif où l’aspect punitif pourrait nuire à la relation thérapeute-patient. L’imitation quant à elle repose sur la création d’un nouveau comportement en construisant, habituellement via l’observation attentive, un nouveau schème de comportement. La visualisation mentale de la tâche, de même que l’analyse biomécanique détaillée, procède vraisemblablement par des mécanismes conjoints. Toute distraction durant le processus d’apprentissage est susceptible de diminuer l’apprentissage (Bruce and Borg 2002).

La création/modulation de nouveaux comportements est une option thérapeutique très intéressante d’un point de vue clinique et plusieurs études suggèrent des façons plus ou moins concrètes pour y parvenir. Toutefois, la disparition/réduction de l’ancien comportement est également souhaitable afin que le comportement nouvellement appris puisse être exprimé. En effet, la persistance d’un nouveau comportement est inversement proportionnelle à l’extinction de l’ancien comportement. Une large littérature béhavioriste tente d’ailleurs de préciser comment favoriser l’un ou l’autre de deux comportements opposés. Les interactions entre différents comportement ne sont toutefois pas simples. En effet, le renforcement d’un comportement alternatif pour réduire un comportement indésirable semble réduire sa fréquence d’apparition, mais aurait également comme effet d’augmenter sa persistance (Bai, Jonas Chan et al. 2016). De même, l’association d’un comportement à un stimulus externe pourrait aider à identifier la disponibilité du comportement alternatif et ainsi l’induction d’un nouveau comportement, mais induirait également une discrimination contextuelle entre les deux comportements et augmenterait le risque de rechute en dehors des conjonctures et stimuli ayant permis le conditionnement (Bland, Bai et al. 2016). La combinaison de différents contextes de stimulation offrirait néanmoins la possibilité d’induire une contingence de renforcements alternatifs pour contourner l’augmentation la persistance (Podlesnik, Bai et al. 2016).

Les opportunités nouvelles apportées par la littérature béhavioriste sont donc multiples et ne se limitent pas à ces quelques exemples. Toutefois, de nombreuses nuances et exceptions doivent être prises en compte. Ces résultats suggèrent ainsi qu’une collaboration étroite entre psychologues et physiothérapeutes pourraient être bénéfique pour évaluer les possibilités d’optimisation des protocoles de réadaptation, voire même les appliquer.