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1.3.4 Contribution sensorielle à la modulation locomotrice

La production d’un patron locomoteur adapté nécessite d’identifier correctement les perturbations possibles du mouvement aux différentes articulations, tant celles prévisibles (inégalités au sol, obstacles, etc.) que les imprévues (butées, pertes d’équilibre en raison d’une surface glissante, etc.). Les différents récepteurs sensitifs renseignent le SNC sur ces diverses perturbations potentielles de la marche. Ces afférences sensorielles permettent au cortex moteur et au cervelet d’adapter le patron locomoteur pour les mouvements en cours (« réactif ») et à venir (« anticipatoire »), tel que décrit précédemment. Les afférences visuelles, auditives et vestibulaires permettent d’adapter la marche après une analyse corticale et trouvent effet via les modifications motrices produites via le cortex moteur, tel que décrit précédemment. La présente section abordera plutôt l’effet des afférences cutanées et proprioceptives. Elle abordera ensuite le concept d’erreur de mouvement.

1.3.4.1 - Afférences cutanées

Les récepteurs cutanés renseignent le SNC de diverses informations sur son environnement immédiat et peuvent également induire des réponses motrices. Une partie de ces réponses motrices relève de boucles réflexes. Une seconde partie relève toutefois d’une analyse plus poussée des informations fournies par les différents récepteurs cutanés (Duysens and Pearson 1976). Ces récepteurs renseignent le SNC sur la nature des contacts avec la peau, incluant la pression, la forme, le mouvement, la vibration et la température au niveau de la peau (Johnson 2001). Divers types de récepteurs permettent d’induire un influx nerveux en réponse à ces caractéristiques. On retrouve les récepteurs de Meckel pour la pression, Ruffini pour l’étirement, Meissner pour le toucher léger, Pacini pour la vibration et les terminaisons nerveuses libres pour la température et la nociception (Munger and Ide 1988). Grâce à ces différents types de récepteurs sensitifs, il est possible d’identifier la nature des contraintes environnementales et de modifier les réponses motrices en conséquence. C’est ainsi que la perception de la pression permet de moduler la force à appliquer dans plusieurs tâches motrices complexes (Gandevia and McCloskey 1977, Jones and Hunter 1983, Carson, Riek et al. 2002, Choi, Lundbye-Jensen et al. 2013).

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Les stimuli cutanés permettent ainsi de moduler la réponse motrice. Cette modulation se manifeste également durant la marche, permettant notamment d’ajuster la trajectoire du pied (Howe, Toth et al. 2015). À l’inverse, la perturbation des afférences cutanées par des stimulations électriques répétées ou encore l’anesthésie cutanée altère le contrôle locomoteur (Choi, Lundbye-Jensen et al. 2013). Durant la marche, ces altérations des afférences cutanées perturbe l’adaptation locomotrice chez le chat (Bouyer and Rossignol 2003) et chez l’humain (Choi, Jensen et al. 2016). Ces résultats montrent que l’obtention d’un patron locomoteur adapté est pour le moins partiellement médié par les afférences cutanées. D’ailleurs, plusieurs études indiquent également que les stimuli cutanés induisent des réponses motrices adaptées selon la tâche et le contexte fonctionnel. Par exemple, il est montré que le signal cutané est modulé selon la phase du cycle de la marche (Duysens, Trippel et al. 1990, Yang and Stein 1990, Christensen, Morita et al. 1999, Schillings, van Wezel et al. 2000, Rossignol, Dubuc et al. 2006). De cette façon, une correction motrice est obtenue uniquement lorsqu’elle est fonctionnellement requise. Ainsi, le retrait de la jambe peut se produire lorsque le pied bute sur un obstacle, mais non pas lorsque le membre à retirer supporte le poids du corps.

En somme, les récepteurs cutanés participent étroitement au contrôle moteur et à l’adaptation locomotrice. La compréhension des mécanismes entourant l’adaptation de la marche demeure toutefois partielle. De même, l’origine exacte des afférences cutanées permettant la modulation du patron locomoteur demeure à préciser. La pluralité des mécanismes impliqués complique les recherches. En effet, certains sujets sont toujours capables de s’adapter malgré l’altération des signaux cutanés, ce qui montre que d’autres mécanismes sensoriels contribuent à l’adaptation locomotrice (Choi, Jensen et al. 2016). Les études actuelles montrent que les afférences sensorielles en provenance des récepteurs proprioceptifs seraient à l’origine de ces mécanismes d’adaptation alternatifs.

1.3.4.2 - Afférences proprioceptives

Les afférences proprioceptives obtenues via les fuseaux neuromusculaires (Gandevia and McCloskey 1976, Hulliger 1993) et les organes tendineux de golgi (OTG) (Nitatori 1988, Gossard, Brownstone et al. 1994, Pearson 1995, Dietz and Duysens 2000) renseignent le SNC sur la position des membres du corps et les forces qui y sont appliquées. Ces informations sont nécessaires pour permettre la fluidité de la locomotion malgré les contraintes dynamiques de l’environnement. L’intégration de ces informations est à la base de mécanismes sensorimoteurs permettant l’adaptation (Rossignol, Dubuc et al. 2006).

Les fuseaux neuromusculaires renseignent le SNC sur le niveau d’étirement des muscles, ainsi que des changements dans l’élongation des muscles. Les fuseaux neuromusculaires participent également à l’ajustement de l’activité motrice via différents mécanismes. Une partie de la réponse

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motrice associée aux fuseaux neuromusculaires provient de boucles réflexes. Parmi celles-ci, on retrouve une boucle réflexe spinale (Kearney and Hunter 1984) et une boucle réflexe transcorticale (Petersen, Christensen et al. 1998, Christensen, Andersen et al. 2001). Ces réponses réflexes donnent naissance au réflexe d’étirement, aussi appelé réflexe ostéotendineux. L’autre partie de la réponse motrice provient des mécanismes centraux permettant l’adaptation motrice. Toutefois, l’information exacte nécessaire pour induire l’adaptation n’est pas bien établie. Les études actuelles évoquent régulièrement la notion d’erreur de mouvement comme source d’adaptation. Cependant, il n’est pas précisé quelle est l’information transmise par les fuseaux qui permet de détecter une erreur de mouvement, soit l’amplitude ou la vitesse de l’élongation. Les OTG sont des récepteurs localisés à la jonction ostéotendineuse et renseignent le SNC sur la tension myotendineuse. Elle peut ainsi renseigner le SNC sur la tension résultant des forces intrinsèques (contraction musculaire) et extrinsèques (mise en charge et forces extérieures) appliquées à l’articulation (Dietz and Duysens 2000). Les OTG donnent naissance à une boucle de rétroaction motrice permettant l’ajustement des forces selon l’intensité de la mise en charge. Ce réflexe est mis en évidence lors de l’augmentation et la diminution de la charge musculaire (Sinkjaer, Andersen et al. 2000, Grey, van Doornik et al. 2002) et montre la rétroaction directe permettant un ajustement en temps réel des forces en fonction du besoin fonctionnel et des modifications imprévues.

Ensembles, ces deux types de récepteurs envoient au SNC des informations qui permettent d’ajuster les paramètres locomoteurs et favoriser l’adaptation de la marche aux différentes contraintes extérieures. Ainsi, que ce soit par l’étirement rapide et imprévu d’un muscle, ou encore par sa mise en charge ou sa décharge, les perturbations extérieures induisent des modifications au patron locomoteur. Plus récemment, des recherches se sont intéressées à la vibration pancorporelle, méthode agissant simultanément sur les fuseaux neuromusculaires et les OTG. La vibration pancorporelle aurait un impact favorable sur le contrôle moteur et la performance musculaire (Harwood, Scherer et al. 2016), y compris chez les patients atteints de lésions du SNC (Wang, Yang et al. 2015, Yang, King et al. 2015, Yang, Wang et al. 2015). Cette amélioration de la performance locomotrice lors de la vibration pancorporelle serait associée à une augmentation du seuil de dépolarisation des fuseaux neuromusculaires (Ge and Pickar 2005). L’effet moteur de la vibration pancorporelle proviendrait donc d’une diminution de la sensibilité des fibres 1a, ou alternativement d’une modulation de la sensibilité des fibres de gr.Ib des OTG (Harwood, Scherer et al. 2016). D’ailleurs, la mise en charge associée à des mouvements produit également une activité musculaire rythmique au membre controlatéral chez les patients avec lésions médullaires (Ferris, Gordon et al. 2004).

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Les études sur la vibration pancorporelle ont également montré qu’elle pourrait initier un patron d’activation musculaire séquentiel similaire à la marche (Gurfinkel, Levik et al. 1998), à la fois pour la marche vers l’avant et à reculons (Duysens and Van de Crommert 1998). Ce phénomène serait même préservé chez les patients avec des lésions complètes et incomplètes de la moelle épinière (Field-Fote, Ness et al. 2012). Il est ainsi suggéré qu’une activation soutenue du CPG est possible par l’entremise d’un flot continu d’afférences sensorielles (Duysens and Van de Crommert 1998). Cela renforce donc la notion que la marche repose étroitement sur les signaux sensitifs pour son exécution. De même, il est suggéré que les modalités sensitives pourraient avoir un potentiel thérapeutique en réadaptation après une lésion du SNC. D’ailleurs, une autre voie prometteuse en recherche se concentre sur la création d’erreur du mouvement, concept qui est abordé dans la section suivante.

1.3.4.3 - Erreur de mouvement

Les récepteurs cutanés et proprioceptifs présentent un intérêt marqué en réadaptation en raison de leur importance dans l’adaptation de la marche. Outre l’ajustement moteur réflexe, ces récepteurs informent le SNC sur la trajectoire du mouvement subie par chacun des membres. C’est grâce à ces afférences sensorielles que le cervelet peut analyser l’erreur de mouvement. L’erreur de mouvement est ainsi définie comme étant la différence entre le mouvement planifié par le SNC (via les structures mentionnées précédemment) et le mouvement réel (détectée par les récepteurs proprioceptifs et cutanés). Les récepteurs proprioceptifs et cutanés participent ainsi à la création d’un signal d’erreur et contribuent ainsi à induire des changements moteurs (Noel, Fortin et al. 2009, Blanchette, Lambert et al. 2011, Bouyer 2011).

Les afférences sensorielles sont associées à un double mécanisme d’adaptation motrice. On retrouve tout d’abord les adaptations immédiates, dites réactives, soient majoritairement des réponses réflexes médiées par les différents récepteurs sensitifs. Ces réponses réflexes ont été abordées dans la section précédente. On retrouve également les adaptations anticipées qui consistent en une modification de la commande motrice. Cette recalibration de la commande motrice serait obtenue suite à l’identification d’une erreur de mouvement (Kawato 1999, Ghez, Krakauer et al. 2000, Lackner and DiZio 2000, Loeb, Giszter et al. 2000, Wolpert, Ghahramani et al. 2001, Bouyer 2011).

Toutefois, le concept d’erreur de mouvement demeure général et la nature exacte des informations qui la constitue est mal définie. En effet, les études ne permettent pas d’établir si le signal d’erreur provient de l’amplitude du mouvement, de la vitesse de la déviation ou encore d’une autre caractéristique, voire de la combinaison de ces caractéristiques. De même, certains auteurs soulignent la possibilité d’induire une adaptation en l’absence d’afférences sensorielles proprioceptives par l’intermédiaire de la vision, témoignant de l’aspect multisensoriel de

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l’adaptation (Sarlegna, Malfait et al. 2010). En fait, cela témoigne que la notion d’erreur de mouvement est produite par une intégration multisensorielle qui ne se limite pas aux stimuli tactiles, mais bien à l’interprétation centrale qui en est créé (Melendez-Calderon, Masia et al. 2011). Ainsi, faute de pouvoir modifier directement le mouvement effectué, il pourrait être possible de modifier l’erreur de mouvement perçue en modifiant les afférences sensorielles reçues. Une façon de confirmer cette hypothèse, voire de contourner un déficit sensoriel/proprioceptif (exemple chez un patient avec une neuropathie périphérique associée à un déficit en B12, au diabète ou toute autre lésion nerveuse, médullaire ou cérébrale), serait d’utiliser des protocoles permettant de modifier la perception du mouvement effectué. Des études utilisant la réalité virtuelle (Roosink, Robitaille et al. 2016) ou encore des protocoles activant les neurones miroirs (Nojima, Mima et al. 2012, Deconinck, Smorenburg et al. 2015) pourraient potentiellement confirmer ou invalider cette hypothèse. Dans tous le cas, même si d’autres modalités sensorielles sont efficaces, la modulation des afférences sensorielles produites par les récepteurs proprioceptifs et cutanés offre une façon plus directe et plus simple pour induire une adaptation. Plusieurs études ont d’ailleurs démontré l’efficacité de la modulation des afférences proprioceptives pour induire un changement moteur. La plupart de ces études utilisent des perturbations mécaniques (« champs de force ») pour modifier la trajectoire du membre et agir préférentiellement sur les récepteurs proprioceptifs. La prochaine section traite plus spécifiquement de ce type de protocole expérimental.