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Chapitre 2 : Des analogues de Bleu de Prusse aux oxydes métalliques, catalyseurs de la

II. Les analogues de Bleu de Prusse (ABP)

2) Utilisation des ABP en (photo)catalyse : état de l’art

Le groupe de Kaneko dans les années 1980 a été le premier à travailler sur l’utilisation du Bleu de Prusse pour des applications en électrocatalyse et en photocatalyse de l’oxydation de l’eau. Un système associant le Bleu de Prusse et le chromophore tris(2,2′-bipyridyl) ruthénium(II) ([Ru(bpy)3]2+) a été étudié, et la production de dioxygène et dihydrogène sous irradiation de lumière bleue a été détectée par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectroscopie de masse.141

Les analyses en spectroscopie de masse ont confirmé que le dioxygène et le dihydrogène étaient bien issus de l’eau. En effet, l’utilisation d’eau marquée isotopiquement, D2O et H218O a conduit à la formation et détection de D2 et 18O2.142 Il faut remarquer qu’avec ce système la catalyse de la dissociation de l’eau n’a été possible qu’à pH 2 et que l’efficacité du système s’est révélée très modeste. Toutefois, dans cet article le groupe a pu étudier les mécanismes de photocatalyse et montrer que le Bleu de Prusse (BP) était capable de réaliser à pH 2 la désexcitation oxydative du chromophore [Ru(bpy)3]2+* en [Ru(bpy)3]3+, et ainsi former l’espèce BP-. Cette espèce BP- est alors capable sous irradiation à 700 nm (formation de BP-*) de réduire les protons en dihydrogène. De plus, à pH 2 l’espèce [Ru(bpy)3]3+ formée peut être régénérée en [Ru(bpy)3]2+ par transfert électronique du BP qui devient l’espèce BP+, et est alors en mesure d’oxyder l’eau en dioxygène. Le rendement de cette désexcitation oxydative qui initie la séparation de charges, a été estimé à 8,5 % seulement, ce qui explique les faibles quantités de dihydrogène et de dioxygène dégagées.140

L’ensemble de ce mécanisme et les niveaux de potentiels des espèces impliquées, sont représentés dans la Figure 59.

Figure 59 : Diagramme des potentiels de photolyse de l’eau par le système constitué de Bleu de Prusse et de [Ru(bpy)3]2+ (tiré de 142).

139 M. Verdaguer, A. Bleuzen, V. Marvaud, J. Vaissermann, M. Seuleiman, C. Desplanches, A. Scuiller, C. Train, R. Garde, G. Gelly, C. Lomenech, I. Rosenman, P. Veillet, C. Cartier, et F. Villain, Coord. Chem. Rev., 1999, 1023

140 O. Sato, T. Iyoda, A. Fujishima, et K. Hashimoto, Science, 1996, 272, 704

141 M. Kaneko, N. Takabayashi, et A. Yamada, Bull. Chem. Soc. Jpn, 1982, 11, 10, 1647

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Dans un autre article de ce groupe, les Bleu de Prusse ont également été utilisés pour stocker des électrons dans des batteries.143 En effet, ces nanoparticules présentent des propriétés conférées par leur structure, comme par exemple la stabilisation des charges par délocalisation sur l’ensemble de la particule, ou le fait que les sites de Fe(II) soient oxydables en Fe(III) de manière réversible. Ainsi, le Bleu de Prusse déposé sur une électrode d’ITO (oxyde d’indium-étain) présente deux vagues d’oxydation en électrochimie, la première à 0,20 V (vs Ag/AgCl) pour le couple BP/BP+ et la seconde à 0,89 V (vs Ag/AgCl) pour le couple BP+/BP2+.

Par la suite ces chercheurs ont étudié le comportement du Bleu de Prusse en déposant le matériau sur une électrode de graphite et ils ont observé un photocourant oxydatif sous irradiation lumineuse.144

A l’heure actuelle, l’analogue de Bleu de Prusse le plus étudié dans la littérature est l’ABP CoFe, composé d’un mélange d’ions cobalt et d’ions fer, obtenu sous forme de poudre composée de grains de taille comprise entre 200 et 320 nm.145 Ce composé a été entre autre déposé sur des nanotubes de carbone (CNTs) afin de catalyser la réaction d’époxydation du styrène.146 L’activité catalytique de ce matériau composite (ABP CoFe@CNTs) s’est révélée plus importante que celles des ABP CoFe et des nanotubes de carbone testés séparément. Cette synergie d’action viendrait du fait que ce nouveau composé présente une surface supérieure et une meilleure dispersion des particules d’ABP comparé à l’ABP CoFe seul : les nanotubes de carbone servant de support pour les catalyseurs.

Très récemment, un métallo-polymère comportant des nanoparticules d’analogue de Bleu de Prusse CoFe, le cobalt pentacyanoferrate/poly(4-vinylpyridine) ([CoFeCN5-PVP]), a également été testé pour l’électrocatalyse de l’oxydation de l’eau.147 Cette préparation en polymère de coordination plutôt qu’en particules a permis d’améliorer la concentration surfacique en sites cobalt d’environ 7 fois, ce qui a eu pour conséquence d’augmenter l’activité catalytique de ce matériau. Néanmoins, un potentiel électrique a du être appliqué au système pour permettre cette activité catalytique.

En 2015, l’équipe de Fukuzumi a également reporté un système composé d’un complexe hétéropolynucléaire de cyanure d’ions cobalt et d’ions platine, [CoII(H2O)m]n[(CoIII

1-xPtIV

x)(CN)6], du chromophore [Ru(bpy)3]2+ et du persulfate de sodium (Na2S2O8) comme accepteur d’électrons. Ce système a été développé pour la photocatalyse de l’oxydation de l’eau sous irradiation de lumière visible. Le mécanisme de cette réaction ainsi que les résultats obtenus sont reproduits dans la Figure 60.148 En ajoutant progressivement des ions CoIII, remplaçant ainsi les CoII dans les sites du complexe, ils ont montré que les sites CoII étaient indispensables à la catalyse. L’adsorption du chromophore [Ru(bpy)3]2+ sur ces composés au cours de la photocatalyse, a été montréepar détection des bandes des bipyridines en spectroscopie infra-rouge. De plus, la spectroscopie infra-rouge a montré qu’aucune dégradation du complexe catalytique n’avait lieu au cours de la photocatalyse.

143 M. Kaneko et T. Okada, J. Electroanal. Chem., 1988, 255, 45-52

144 M. Kaneko, S. Hara, et A. Yamada, J. Electroanal. Chem., 1985, 194, 165-168

145 J.-D. Cafun, J. Lejeune, F. Baudelet, P. Dumas, J.-P. Itié, et A. Bleuzen, Angew. Chem. Int. Ed., 2012, 51, 9146-9148 146 Q. Wang, S. He, N. Wang, J. Zhao, J. Fanga, et W. Shenab, New J. Chem., 2016, 40, 3244

147 M. Aksoy, S. V. Kumar Nune, et F. Karadas, Inorg. Chem., 2016, 55, 4301−4307

Figure 60 : Mécanisme proposé pour la photo-oxydation de l’eau par le système (gauche) ; 4 cycles de production de dioxygène par

le système sous irradiation de lumière visible (droite) (tirées de 145).

Un autre exemple de système photocatalytique pour l’oxydation de l’eau, cette fois-ci sous irradiation de lumière bleue, a été publié par l’équipe de Galán-Mascarós en 2014 et est représenté dans la Figure 61. Dans cette étude l’activité catalytique de divers composés d’ABP a été testée dans un système comportant le chromophore [Ru(bpy)3]2+ et le persulfate de sodium Na2S2O8 comme accepteur d’électrons.149

Figure 61 : Schéma du mécanisme d’oxydation de l’eau par les systèmes utilisés par Galán-Mascarós composés d’analogues de Bleu

de Prusse, sous irradiation de lumière bleue (tirées de 149).

Les productions de dioxygène sont représentées dans la Figure 62. A partir du moment où l’irradiation bleue (λ= 470 nm) est déclenchée, on constate une production de dioxygène pour les systèmes comportant des ABP de type CoCo et CoFe, et cette évolution de dioxygène a été attribuée à la photocatalyse de l’oxydation de l’eau.

Figure 62 : Production d’O2 par les systèmes étudiés contenant différents ABP, sous irradiation lumineuse à 470 nm (tirées de 149).

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Dans cette étude, seuls les ABP comportant des ions cobalt aux positions M2+ ont permis de catalyser l’oxydation de l’eau. Galàn-Mascarós confirme ainsi, tout comme l’a fait Fukuzumi quelques années auparavant, que ce sont les sites Co(II) des ABP qui réalisent la catalyse de l’oxydation de l’eau.