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Usages numériques ou pratiques numériques : une question d‟articulation

2.1 Définitions des concepts

2.1.1 Usages numériques ou pratiques numériques : une question d‟articulation

Dans notre contexte d‟étude, où il est question des pratiques numériques des étudiants universitaires, nous nous penchons sur les « usages » d‟outils numériques (ordinateur, smartphone, tablettes numériques, etc.) et les usages de l‟Internet (communication, recherche de l‟information, etc.) en contexte d‟apprentissage mais pas seulement.

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La notion d‟usage, selon Hussenot (2006), peut être imaginée selon deux acceptions différentes relevant de l‟évolution historique du concept où successivement on porte l‟attention sur l‟individu et ce qu‟il fait de l‟outil et sur les facteurs psychologiques, cognitifs ou sociologiques. C‟est ainsi qu‟en 1993 Josiane Jouet distingue l'usage, qui « renvoie à la simple utilisation », de la pratique, « notion plus élaborée qui recouvre non seulement l'emploi des techniques (l'usage) mais aussi les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l'outil » (Jouet, 1993, p. 371). On note déjà là un certain rapprochement entre les deux notions.

Pour Millerand (1998), il y a une confusion des termes, car le terme « usage » est utilisé pour celui « d‟emploi », « d‟utilisation », de « pratique », ou encore « d‟appropriation ».

Il peut donc y avoir une ambiguïté dans le sens commun donné à la notion d‟usage qu‟Alain Chaptal (2007) se propose de clarifier :

« D’un point de vue scientifique, on est en effet fondé à distinguer entre "utilisation", "usage" et "pratique". "Utilisation" renvoie à la fois à une action ponctuelle et aux aspects manipulatoires quand "usages" s’entend en tant qu’usages sociaux, action communément observée dans un groupe […], "Pratiques", enfin s’applique à des comportements habituels, à une expérience ou une habitude approfondie et stabilisée caractéristique d’une culture professionnelle » (Chaptal, 2007, p.74).

L‟usage est ainsi inscrit dans des rapports sociaux et de création de lien social en se distinguant des utilisations liées aux fonctionnements techniques des outils. Dans les conclusions du rapport de l‟appel à projet de l‟action concertée incitative (ACI)6 «Éducation-

formation et technologies d‟information et de communication» sur « la question des usages des technologies d'information et de communication en éducation et formation » (Blondel & Bruillard, 2007), citées par Annie Feyfant (2009), on peut lire que les usages diffèrent des simples utilisations du moment où :

 « ils s’inscrivent dans le temps long de pratiques éducatives et sociales stabilisées,

6 Projet sur trois ans (2004-2007) dont les travaux ont porté sur l‟analyse des usages notamment le projet DidaTab (didactique du tableur) dont les auteurs, Blondel et Bruillard (2007), ont mis en évidence la manière dont se construisent les usages du tableur au cours de la scolarité dans le secondaire.

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 ils se distinguent des modes d’emploi en ce qu’ils portent la marque des usagers et des transformations que ceux-ci imposent, plus collectivement qu’individuellement, aux cadres fixés par l’offre technologique et les politiques réglementaires et incitatives;  ils ont une consistance qui s’exprime au-delà des effets de nouveauté (les effets de la

dernière technologie en date) ou de rupture (solution de continuité d’une technologie à l’autre) ».

De cette distinction apparait une confrontation de l‟individu à l‟objet technique et le développement d‟un certain rapport à l‟objet s‟inscrivant dans un enchevêtrement de la technique et du social. C'est l'ensemble de la socialisation de l'individu qui est en jeu dans les usages dans la manière de faire ou non de chaque personne avec les TIC.

S‟agissant de la notion de « pratiques » Virginie Paul et Jacques Perriault (2004), dans une définition compilant les points de vues de plusieurs chercheurs sur cette notion large, présentent les pratiques comme « des conduites finalisées, individuelles ou collectives, figées ou adaptatives, socialement situées, inscrites dans une temporalité, sous tendues par des représentations, des savoirs, une logique et un raisonnement, marquées par une appréciation de soi et des autres, et révélatrices d'une culture qu'elles enrichissent éventuellement en retour » (Perriault & Paul, 2004, p.13).

Dans cette compilation on retrouve deux dimensions liées au concept et qui sous-tendent l‟action, le comportement de l‟individu, la façon de procéder d‟une part et d‟autre part ses représentations, et ses habitudes antérieures.

C‟est une double dimension de la notion de « pratiques » que l‟on retrouve, dans l‟étude sur les pratiques enseignantes, chez Marguerite Altet (2002) :

« La pratique, ce n’est pas seulement l’ensemble des actes observables, actions, réactions mais cela comporte les procédés de mise en œuvre de l’activité dans une situation donnée par une personne, les choix, les prises de décision […] La pratique recouvre donc à la fois la manière de faire de chaque personne singulière, ʺle faire propre à cette personneʺ et ʺles procédés pour faireʺ qui correspondent à une fonction professionnelle ». (Altet, 2002, p.86).

Ce sont là des éléments de pratiques sociales, des activités contextualisées qui, ajoutées en situation scolaire et éducative, aux instruments et à leurs rôles sont en cohérence avec la

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notion de « pratiques de référence » née de la problématique de la référence curriculaire (Martinand, 2003) en visant d‟abord à éclairer l‟action, et pas directement à comprendre les mécanismes éventuels de constitution des savoirs enseignés. Selon Jean- Louis Martinand la problématique de la référence élucide les relations entre les activités scolaires et les pratiques sociales. Il présente en ces termes la notion de « pratique de référence » :

« Il s‟agit :

 de prendre en compte non seulement les savoirs en jeu, mais les objets, les instruments, les problèmes et les tâches, les contextes et les rôles sociaux. D‟où le terme de pratique, renforcé, sans doute avec redondance, en pratique sociale ; et précisé en pratique socio-technique ;

 de penser et analyser les écarts entre activités scolaires et pratiques socio-techniques prises pour référence (référence) ;

 de faire apparaître les choix de pratiques de référence, leur sens politique et en tout cas social (question de la référence);

 de comprendre les conditions de cohérence pour les activités scolaires, entre tâches, instruments, savoirs et rôles ;

 de penser les tendances permanentes de l‟école à l‟autoréférence et les conditions pour s‟y opposer ;

 de repenser la formation des maîtres, comme acquisition d‟une double compétence, dans une ou plusieurs pratiques de référence (ce à quoi les disciplines universitaires ne sont pas forcément bien adaptées), et dans la pratique enseignante sur les disciplines scolaires ;

 d‟aborder le problème de certaines difficultés d‟apprentissage et échecs scolaires en posant la question des rapports entre activités scolaires/pratiques de référence/pratiques familières aux élèves (et en leur sein, certaines postures et conceptions communes, représentations et raisonnements spontanés).» (Martinand, 2003, p. 126-127).

Un lien plus ou moins étroits avec les pratiques de référence et l‟environnement personnel et familier de l'étudiant est ici envisagé dans les usages des TIC en contexte de scolarisation. Pour conclure l‟expression « usages sociaux » semble s‟imposer. Millerand, (1998), citant Lacroix, en propose une définition intéressante :

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« les usages sociaux sont des modes d’utilisation se manifestant avec suffisamment de récurrence et sous la forme d’habitudes suffisamment intégrées dans la quotidienneté pour s’insérer et s’imposer dans l’éventail des pratiques culturelles préexistantes, se reproduire et éventuellement résister en tant que pratiques spécifiques à d’autres pratiques concurrentes ou connexes » (Lacroix, 1994, 147, cité par Millerand, 1998).

Ainsi s‟il convient de ne pas accorder une importance exagérée à l‟un ou l‟autre de deux concepts, il faut reconnaître que les termes « usages » et « pratiques », relevant d‟un champ sémantique commun, n‟en restent pas moins distincts. Néanmoins ils demeurent interchangeables au regard des écrits scientifiques en la matière. Il s‟agit d‟une question d‟articulation entre les concepts.

Dans cette étude, nous proposons d‟utiliser parfois « pratiques » et parfois « usages », du fait de l‟interchangeabilité de deux notions. En revanche dès lors qu‟il nous parait ambigu d'identifier la forme d‟action ou d‟intervention du sujet avec les outils numériques il nous arrivera d‟employer de manière indifférente le terme « utilisations ».