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L

es espaces plus ou moins complètement cloisonnés par des réseaux de haies que nous venons d'évoquer sont des paysages construits. Dans la mesure où ces réseaux ont été mis en place volontairement, ils ont dû, à un moment de l'histoire agraire, répondre à un besoin. S'intéresser à ce chan-gement, aux conditions de l’émergence du bocage et aux possibilités de sa ré-plication, amène à se poser les questions suivantes : pourquoi a-t-on mis en place des haies ? Quelles raisons essentielles ont motivé leur construction ? Qu’est-ce qui a rendu possible cette mise en place ? Quelles fonctions expli-quent l’entretien et la reproduction de ces clôtures ?

En tant qu’élément du bocage, la haie n’est qu’une des composantes de l’or-ganisation d’un territoire, au même titre que l’habitat, le dispositif parcellaire, la répartition de la végétation. Elle n’est également qu’un des éléments consti-tutifs d’un système rural, avec ses déterminants écologiques, techniques et socio-économiques. Au cours de l’histoire, ces fonctions et usages peuvent évoluer. Les rôles dévolus à une haie aujourd’hui ne sont pas nécessairement ceux qui ont été décisifs au moment de son installation.

La diversité des systèmes bocagers qui se sont développés est intimement liée aux fonctions des haies qui les constituent. Pour bien comprendre la significa-tion d’une haie et réfléchir aux condisignifica-tions de son améliorasignifica-tion ou de sa diffu-sion en tant qu’innovation, il est utile de recenser l’ensemble des rôles et des fonctions que tient la haie au cours de son histoire :

la (ou les) fonction(s) principale(s) de la haie : elle(s) justifie(nt) sa

plantée pour protéger les cultures contre le bétail, pour marquer la limite d’un espace, pour protéger l’habitat, pour produire du bois, des fourrages ou des fruits ou encore pour protéger du vent ou de l’érosion. Quand il s’agit de haies isolées, le plus souvent un seul facteur est clairement identifié comme étant à l’origine de leur installation : cas des clôtures contre le bétail, des brise-vent. Dans le cas des réseaux, la logique de mise en place des haies est plus complexe. Plusieurs facteurs concomitants déclenchent leur construction. Il n’est alors pas toujours possible de hiérarchiser les rôles des haies ;

Danielle Domingue

les fonctions secondaires : il existe aussi des fonctions qui ne justifient

pas, à elles seules, l’installation et l’entretien des haies, mais qui contribuent à leur maintien et, éventuellement, à leur extension. Ces facteurs peuvent être le fruit de l’expérience paysanne. Les paysans perçoivent ainsi à l’usage que le

réseau de haies contribue au maintien des sols, de la fertilité, à la régulation du régime hydrique... Ils l’apprennent parfois à leurs dépens lors de l’arrachage des haies.

Dans ce qui suit, nous allons examiner plus en détail chacune de ces fonc-tions, en tentant de distinguer, au vu des exemples connus, leur caractère « géné-ralement principal » ou « génégéné-ralement secondaire ». Mais il convient de res-ter prudent : une fonction peut être principale dans un système et tout à fait secondaire dans un autre, essentielle pour un paysan et secondaire pour son voisin. Nous examinerons ainsi successivement :

les fonctions de protection des cultures contre le bétail, en particulier dès lors que les cultures à l’intérieur de la parcelle embocagée s’intensifient ;

les fonctions de la haie pour marquer la propriété et défendre le statut so-cial de celui qui l’installe et la gère ;

les fonctions productives directes, c’est-à-dire liées à l’exploitation des pro-duits de la haie ;

l’impact des haies sur le milieu cultivé (érosion, évapotranspiration, re-cyclage de la fertilité).

Pour autant, on gardera à l’esprit qu’une haie n’a jamais de fonction unique, mais qu’elle en combine plusieurs. Nous tenterons, pour terminer, une syn-thèse des mécanismes qui, au vu des exemples que nous avons cités, condui-sent les paysans à étendre un bocage ou, au contraire à l’abandonner progres-sivement. C’est cette vision générale qui, en amont d’une intervention d’appui au développement, permettra de juger de l’opportunité et de la pertinence de mesures favorisant l’embocagement.

LA PROTECTION DES CULTURES CONTRE LE BÉTAIL

Dans de nombreux systèmes agricoles, productions animales et végétales sont présentes sur le même espace. Tout système rural où l’élevage est en inter-action avec l’agriculture pose le problème de la protection des cultures contre le bétail et aussi celui de la gestion et du transfert de la fertilité organique. Le producteur s’emploie à développer des systèmes pour empêcher le bétail de saccager les cultures. Plusieurs solutions sont alors possibles :

Tenir le bétail éloigné des secteurs cultivés, pendant le temps des

cul-tures. Les animaux peuvent être :

− soit envoyés en transhumance saisonnière ;

− soit cantonnés sur les espaces non cultivés, utilisés comme pâturages. Dans les deux cas, il y a exclusion mutuelle de l’élevage et de l’agriculture au moins pendant le temps des cultures. Les champs peuvent être, le reste de l’année, objets de vaine pâture, c’est-à-dire d’un accès libre au pâturage par le bétail quel que soit le propriétaire de celui-ci.

Assurer une coexistence des troupeaux et des champs sur l’espace

vil-lageois. Les espaces de brousse se restreignent progressivement lorsque la po-pulation augmente. Les terres de défriche deviennent plus rares et s’appau-vrissent. Les paysans répondent à ces problèmes par une organisation du territoire avec une association partielle de l’élevage et de l’agriculture. Pour que cette co-existence soit possible, les cultures doivent être protégées et/ou les mouve-ments du bétail limités. Les petits ruminants sont mis au piquet, ou l’ensemble du bétail est parqué la nuit dans des enclos. Les cultures, en particulier les plus lucratives et les mieux soignées, peuvent être protégées par des clôtures fiables pour empêcher le bétail d’y rentrer. La haie facilite cette coexistence de l’agri-culture et de l’élevage.

Une intégration de l’élevage dans l’espace cultivé intervient lorsque la

pression foncière s’accroît encore. Face à des espaces fourragers qui se restrei-gnent, les producteurs doivent progressivement diminuer leur cheptel, ce qui induit très souvent une baisse de la fertilité. L’intégration accrue de l’élevage à l’espace cultivé peut limiter ce phénomène, mais elle exige une organisation stricte du territoire. Les haies représentent alors un moyen de gérer ces asso-lements et rotations.

Pour favoriser et développer l’association de l’élevage et de l’agriculture, outre la mise au piquet et l’éloignement temporaire du bétail, les paysans utilisent des solutions s’ap-puyant sur l’installation de clôtures le plus souvent d’origine végétale (clôtures mortes et haies vives). Ces solutions peuvent se combiner.

Dans l’île d’Anjouan aux Comores, le bétail est au piquet tournant dans une parcelle enclose. L’objectif est à la fois de protéger la parcelle et de mieux en gérer la fertilité. Dans sa forme la plus achevée, le bocage bamiléké présente un réseau de haies qui per-met tout à la fois d’acheminer les gros troupeaux vers des secteurs de pâturage et de réa-liser une alternance cultures/vaine pâture par des enclos tournant dans la concession.

Les modes de gestion de l’agriculture