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L’affirmation de droits individuels d’usage sur une terre

La haie matérialise les limites d’un espace, clairement approprié. Elle témoigne des droits exclusifs détenus sur l’espace enclos par le groupe familial ou l’in-dividu qui l’a créé. Elle marque au moins un droit d’usage de la terre, à l’échelle de l’unité de production ou de la concession, parfois au niveau de l’individu.

En pays bamiléké, les haies en limite de concession marquent de façon non équivoque la séparation latérale entre les concessions, rendant bien apparents l’organisation spatiale des concessions et les droits sur la terre. Aux Comores et en Haïti, la haie affirme un usage strictement individuel de la terre, dont elle contribue d’ailleurs à protéger la pro-duction des vols fréquents, en particulier de fourrages.

La haie ne représente pas forcément la seule marque de ces droits d’accès.

La haie-limite de concession en pays bamiléké

Au Fouta-Djalon, il existe un régime coutumier de propriété foncière familiale, qui concerne aussi bien les champs céréaliers ouverts que les tapades. Aucune haie ne limite les champs individuels à l’intérieur des soles de culture extensive. De simples bandes de terre enherbées suffisent à marquer durablement les limites (kerol) individuelles.

La présence d’éléments vifs dans les haies de limitation foncière affirme d’autant plus les droits sur le sol qu’il s’agit de cultures pérennes, difficiles à arracher et à déplacer. Intégrés dans les haies en limite foncière, les arbres sont un gage d’appropriation durable et difficile à contester. Le fait de les planter té-moigne d’une volonté de consolider ses droits, qu’ils soient anciens, ou juste conquis, vis-à-vis des autres ruraux, ou vis-à-vis de l’État.

Denis Gautier

La haie peut être composée par les espèces suivantes : ●Au-dessus de 10 mètres, par des arbres fruitiers, mais éga-lement par des espèces que l’exploitant a laissé volontairement se développer pour leur production ligneuse, ou dont il a négligé l’entretien. Ces arbres sont élagués pour réduire la présence d’ombre et parfois étêtés. L’exploitation des arbres n’est pas systématique : elle est fonction des besoins en bois d’œuvre ou des besoins monétaires. ●Entre 3 et 10 mètres, par des arbres ou arbustes régulièrement taillés à hauteur d’homme. L’entretien de ces espèces four-nit bois de feu et boutures (« parc à bois »). ●En dessous de 3 mètres, par des arbustes volontairement plantés. Ces espèces constituent des éléments de remplissage vertical des haies. Elles se substituent un peu à l’abandon du clô-turage horizontal en « bambous » (obstacle à la circulation des animaux), pour un moindre coût en main-d’œuvre, notamment lorsqu’elles sont plantées à haute densité.

Exploitation traditionnelle avec des troncs âgés et épais (ossature des haies) et des parties jeunes (boutures et bois de feu)

Dracaena arborea marquant

traditionnellement la limite de propriété Plantation de podocarpus

(peu d’ombrage et fourniture de perches)

Individus de remplissage vertical de la haie (obstacle à la pénétration des animaux)

Planter des arbres −et donc des haies, ou du moins certains arbres dans une haie4−est un acte qui peut être réservé à certaines catégories d’acteurs : ceux qui ont des droits d’appropriation permanents et transmissibles sur l’espace en question ; ceux qui ont le pouvoir d’imposer une privatisation d’un espace à leur profit. Cela peut être interdit à d’autres, qui devront se contenter de clôtures mortes temporaires pour protéger leurs cultures.

Au Cameroun, le statut foncier de 1974 impose la possession d’un titre foncier pour qu’un occupant soit reconnu comme propriétaire légal. Mais il reconnaît la clôture comme une marque suffisante d’occupation du sol.

Dans la plaine des Timbis en Guinée, des alignements de pourghère, de manguiers ou d’autres essences ligneuses non spontanées sont des traces de concessions abandonnées qui délimitent l’emplacement d’anciennes clôtures. À l’intérieur de l’espace enclos, des orangers et des manguiers témoignent également d’une mise en valeur agricole anté-rieure. Ces anciennes concessions ne sont plus occupées parce que leur propriétaire et sa famille sont partis (exode rural ou migration) ou parce que la lignée s’est éteinte, mais la présence des arbres empêche toute velléité d’appropriation. La parcelle enclose ne pourra être appropriée par personne d’autre. Une ancienne clôture, même si elle n’est plus en-tretenue, reste la preuve indiscutable et définitive que la parcelle appartient à quelqu’un. Toujours au Fouta-Djalon, mais dans les champs ouverts, le système de talus-haie-fossé af-firme un droit de propriété sur des parcelles qui ne sont pas nécessairement cultivées. Il s’agit en particulier des parcelles qui bordent les voies d’accès, pistes et routes goudronnées, récemment refaites. Le talus-fossé complanté est ainsi destiné à limiter les empiétements des routes et des pistes sur leurs terres et non à s’extraire de l’assolement collectif. On a observé de tels réflexes d’embocagement à chaque fois que des projets d’aménagements (coton dans les années 60, canne à sucre à la fin des années 70, reboisement FAO dans les années 80, etc.) ont fait planer sur les paysans une menace d’expropriation ou de remembrement.

4Dans une région donnée, toutes les plantes n’ont pas le même statut en termes de marquage foncier.

Au Fouta-Djalon, nombreux descendants de captifs ne s’aventurent pas à planter des arbres sur les bas-fonds qu’ils exploitent, parfois depuis plusieurs générations, de peur de provoquer la famille de leur ancien maître et de se voir retirer la terre. Ils installent néanmoins des clôtures mortes pour protéger leurs cultures du bétail. La plantation d’arbres en limite de parcelles serait considérée par tous comme une tentative d’appro-priation foncière.

La structure des haies en limites foncières s’appuie sur des arbres dont le sens symbolique est plus particulièrement associé au droit de propriété. Les espèces introduites sont d’excellents marqueurs de propriété parce qu’elles sont le pro-duit d’une plantation. En pays bamiléké comme au Fouta-Djalon, les paysans apprécient les espèces à durée de vie longue (les « arbres qui ne meurent pas »). C’est le cas de l’hyménodyction (Hymenodyction floribundum) au Cameroun et du pourghère (Jatropha curcas) au Fouta-Djalon. Leur enracinement rapide, profond et leur longévité en font des marqueurs de propriété appréciés.