• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2. Cheminement et modélisation théoriques

2.2 Un modèle écologique pour réconcilier usage et pratique

2.2.1 Des usages appropriés aux pratiques

Pour éclairer la notion d’usage, nous pouvons faire appel aux différentes définitions proposées par des auteurs inscrits dans le champ de l’analyse des usages et pratiques. Yves-François Le Coadic (1997 : 19) propose de circonscrire l’usage à partir de la notion d’activité et avalise ainsi notre ancrage sur cette notion : « Activité sociale, l’art de faire, la manière de faire. C’est une activité que l’ancienneté ou la fréquence rend normale, courante dans une société donnée mais elle n’a pas la force de loi, à la différence des mœurs, des rites, des “us et coutumes”, habitudes de vie auxquelles la plupart des membres d’un groupe social se conforment ». L’auteur (ibid.) délimite aussi la notion par comparaison avec d’autres notions proches. En effet, il est possible de différencier les termes d’« usage » et d’« utilisation », car ce dernier a une visée pratique, « c’est l’action, la manière de faire servir une chose à une fin précise ». En outre, partir de l’usager pour arriver aux pratiques est la traduction d’une évolution de la recherche en SIC, « on passe des études d’usages aux études portant sur les usagers » (Le Coadic, 1997 : 13). On peut réaliser le tableau suivant pour récapituler la réflexion de l’auteur :

Activité sociale

Importance de la construction des usages sur

le temps long

Activité versus action

L’utilisation est manière de faire et s’apparente à la

pratique

Usage versus usager

De l’objet à la pratique

En outre, la plus récurrente définition, celle de Josiane Jouët (1993 : 371) peut être reprise : « L’usage est plus restrictif et renvoie à la simple utilisation tandis que la pratique est une notion plus élaborée qui recouvre non seulement l’emploi des techniques (l’usage), mais les comportements, les attitudes et les représentations des individus qui se rapportent directement ou indirectement à l’outil ». Geneviève Jacquinot-Delaunay et Laurence Monnoyer (1999 : 12 citant Jouët, 1993 : 371) complètent cette précédente citation : « Si les notions d’usages et de pratiques sont souvent employées indifféremment cela ne devrait pas nous faire oublier que l’un est plus restrictif que l’autre : l’usage renvoie à la simple utilisation – fut-elle d’une machine complexe – tandis que la pratique intègre à cette dimension, les comportements, les attitudes et les représentations, voire les mythologies, suscités par l’emploi des techniques – dont la pratique d’Internet rend particulièrement bien compte à l’heure actuelle ». D’autres définitions proches de celles-ci peuvent être données. Pour Bernard Miège (2007 : 173), les pratiques : « ne se limitent pas à l’usage d’une TIC ou à la fréquentation de tel spectacle ou de telle activité […] les pratiques font référence à toute

148

une série de représentations sociales — symboliques, y compris à des schémas relevant de l’imaginaire, qui ne permettent pas d’identifier clairement et immédiatement les significations dont elles sont porteuses » ou encore « la notion d’usage est plus restrictive par rapport à la notion de pratique. Elle s’inscrit dans le cadre d’un questionnement sociologique et prend en compte un face-à-face restreint entre le dispositif et l’usager. […] La notion de pratique est au contraire plus riche et plus large » (Patrascu, 2010 : 4).

Usage Pratique

Utilisation Comportements, attitudes, représentations (mythologies)

Pour Yves Jeanneret et Emmanuelle Souchier, (2002 : 13), « ce terme [d’usage] présente en effet l’intérêt de rassembler en un point de convergence, en un souci unique, d’une part les questions relatives à la dimension fonctionnelle de la technique (l’usage étant dans ce cadre un mode d’utilisation des objets), et d’autre part celles qui sont relatives à la dimension culturelle de la pratique (l’usage pouvant alors se définir comme un art de faire). Or, pour les médias informatisés – et plus généralement les supports de l’écriture comme le livre (auquel Michel de Certeau a magistralement appliqué sa notion de l’usage comme “braconnage”), il y a une très forte proximité entre le fonctionnel et le culturel ». Dès lors, « de ce point de vue, ce que les études d’usage ont élaboré paraît fondamental, dans la mesure où les dimensions signifiantes des médias, nouveaux ou non, ne se comprennent qu’à partir des pratiques qui les mobilisent, dans leur diversité et en relation avec les contextes sociaux où elles se déploient » (Jeanneret, Souchier, 2002 : 6-7). Par ailleurs, les auteurs complètent (ibid. : 9) : « La notion d’usage a pour bénéfice essentiel de désigner un lieu possible pour l’observation des pratiques liées à l’appropriation et au détournement des objets techniques […] même si ce lieu reste largement indéfini ». Nous avons essayé de préciser ce lieu d’observation avec le paradigme éco-systémique et la modélisation écologique des usages présentée par la suite.

Des usages aux pratiques

L’usage renvoie à la dimension fonctionnelle de la technique, un mode d’utilisation des

objets (manières de faire ou pratiques)

Des pratiques aux usages

Dimension culturelle de la pratique et art de faire de l’usage

149 Chez Jacques Perriault, la notion d’usage intégrait déjà la dimension des pratiques : « Il prend d’emblée la peine d’indiquer qu’il emploie le terme pour désigner, non une notion définie, mais bien plutôt un souci, une sorte de scandale, au sens étymologique du terme ; quelque chose sur quoi bute l’idéologie technicienne. Et ce “quelque chose” consiste en tout ce que font les gens avec les appareils et que ne prévoient pas les “modes d’emploi”. Afin de rendre visibles ces pratiques oubliées, l’auteur mène une autre enquête, relative aux imaginaires de la technique et aux espoirs qu’elle fédère chez les techniciens comme chez les “profanes” » (ibid. : 10).

La conception de Serge Proulx (2002 : 257) introduit une nouvelle différenciation entre usage et pratique : « Bien que cette nuance ne soit pas retenue systématiquement par les chercheurs, il apparaît pertinent de distinguer entre l’“usage” (lié directement à une manière de faire singulière avec un objet ou dispositif technique particulier) et la “pratique”, notion plus large qui englobe l’un ou l’autre des grands domaines des activités des individus en société comme le travail, les loisirs, la consommation, la famille, etc. Ainsi, par exemple, l’on pourrait considérer qu’une pratique donnée de consommation supposera pour certaines personnes l’usage d’un dispositif technique particulier (comme le recours à un dispositif de télé-achat) alors que cet usage ne fera pas partie de la pratique des autres consommateurs ».

Usage

Manière de faire (privilégier une activité selon un dispositif technique hybride)

Pratique

Domaine d’activité (de communication par exemple) mobilisant différents dispositifs

suivant les individus

Pour Joëlle le Marec (2002 : 51-52), « les usages sont les phénomènes par lesquels se construisent et se manifestent les rapports aux objets techniques. Ces rapports avec des objets techniques sont sous-tendus par les systèmes de représentations. Ceux-ci sont supposés s’objectiver au moins partiellement, d’une part dans des comportements individuels d’utilisation des objets, et d’autre part dans les discours des acteurs sur ce qu’ils font avec les objets techniques qu’ils utilisent. Les données proviennent donc de deux catégories d’observables : les comportements d’utilisation – qui sont supposés être sur le terrain l’accès le plus naturel aux phénomènes de l’usage dans la mesure où ils caractérisent une population d’usagers et constituent la partie émergée de leurs rapports à la technique – et les discours des usagers – qui sont supposés contenir des représentations sociales ». Finalement, l’auteur

150

(ibid. : 56) n’introduit par le terme de pratique dans l’analyse des usages, mais dans l’accès au terrain : « C’est ainsi que le terrain est d’abord pour moi un lieu qui a une pertinence sociale comme lieu de pratiques qui se mettent volontairement en rapport les unes avec les autres. Ainsi, une bibliothèque est un espace intersémiotique borné et organisé par des pratiques générées par les relations entre un système de connaissance et un ensemble de documents écrits : à ce titre il est un espace borné par d’autres instances que la recherche ». In fine, elle (2004 : 145) propose une théorie des composites « qui articulent des situations, des objets et des discours » où usage et pratiques se mêlent.

Usage

Rapport aux objets techniques : comportements individuels et discours

Pratique

S’analyse dans un lieu de pratiques nécessairement en relation

L’ensemble des auteurs semble définir l’usage comme « manière de faire » et dégage une interdépendance des usages et des pratiques. En revanche, les pratiques sont étudiées selon diverses entrées : la figure de l’usager, d’une communauté, société, groupe, etc., celle des activités, et/ou des dispositifs.

Nous avons déjà présenté en introduction l’articulation retenue sur le modèle de l’analyse d’Yves Jeanneret (2007 : 4) d’une « redéfinition de l’idée d’usage en tant que problème théorique, au sein de la question plus large de l’analyse des pratiques de communication. […] Quelles conceptions de la communication médiatisée met-on en œuvre lorsqu’on envisage certaines pratiques comme des usages ? Il s’agit bien de réfléchir à ce que construit, explicitement ou implicitement, la notion d’usage, en tant que figure de la médiation, pour reprendre l’expression déjà citée. La piste ici suivie est d’interroger, de façon plus limitée, une figure de la médiatisation ». Pour notre part, nous ne considérons pas des pratiques comme des usages, mais le processus permettant de passer des usages aux pratiques et inversement. L’une des réponses peut se trouver dans la médiation, la médiatisation et l’instrumentalisation.

151