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Chapitre 2. Cheminement et modélisation théoriques

2.3 Convergence entre approches et théories dans la pensée complexe

2.3.2 Des questionnements convergents

L’interrogation centrale des différentes approches théoriques utilisées reste celle du changement. Elle renvoie en réalité à d’autres interrogations :

- des sociologues des usages se posent la question des effets des techniques, notamment en terme de changement social ;

- des techniques ou technologies doivent-elle être pensées comme une innovation technique ou par l’usage ? Questionnements dont les travaux de Patrice Flichy sont emblématiques (2003) ;

- la transformation des pratiques et des identités professionnelles sont au centre de réflexions en sociologie des professions ;

Mais il y a une grande fiabilité de l’ensemble : « Cela ne montre pas seulement la différence de nature, de logique entre les systèmes auto-organisés et les autres, cela montre aussi qu’il y a un lien consubstantiel entre

des organisations et organisations complexes, puisque le phénomène de désorganisation (entropie) poursuit son

cours dans le vivant, plus rapidement encore que dans la machine artificielle ; mais, de façon inséparable, il y a le phénomène de réorganisation (néguentropie) » (ibid. : 44). Le dispositif a une dimension machinique, technique, mais c’est une machine artefact. Il semble qu’un établissement pour personnes handicapées mentales, puisse être considéré comme une machine vivante, auto-organisatrice. En effet, l’ensemble de ses composants sont peu fiables (étant constituée essentiellement par des humains, le travail social et un travail humanisé) mais pour autant l’organisation, proche de l’organisme, est pérenne.

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- l’évolution des représentations sociales, des rôles sociaux et de la participation sociale relèvent plutôt d’interrogations du champ de la psychologie, de l’éducation, de la psychoéducation.

Finalement, le changement social renvoie à des questions fondamentalement sociologiques. Les propos de Guy Rocher (1968 : 8) nous permettent de contextualiser les enjeux d’un tel questionnement. L’auteur commence par nous rappeler que la sociologie a pour première filiation la philosophie de l’histoire, elle-même inspirée d’une philosophie de l’homme. Une interrogation récurrente et celle de la récursivité de l’histoire ; l’histoire, l’humanité se répètent-elles ? Le changement ou la reproduction sont déjà au fondement de ces disciplines. L’histoire humaine a d’abord été décrite et écrite dans un mouvement de libération du déterminisme historique : « La sociologie devenait ainsi […] un instrument destiné à mesurer à la fois le chemin parcouru sur cette voie de la libération et la route qu’il restait encore à parcourir » (ibid.).

De plus, une série d’auteurs en SIC soulèvent cette problématique réitérative du changement. Entre autres, Philippe Breton et Serge Proulx (2002 : 252) rappellent que « parmi les questions récurrentes qui sont posées constamment aux chercheurs intéressés par les dimensions sociales de la technologie, reviennent les suivantes : “Quels sont les impacts pour la société de l’arrivée de telle ou telle technologie de communication ?”, par exemple, l’impact social de la téléphonie mobile ou les transformations sociales et économiques engendrées par le phénomène Internet. Ou encore : “La diffusion de telle ou telle technologie peut-elle engendrer une révolution dans l’organisation de la société ?”». Dès lors, l’auteur (ibid.) fait émerger la question de nature épistémologique qui apparaît implicitement à travers ces interrogations : « “Comment saisir l’action de la technique dans la société ? Et, inversement, comment prendre en compte l’action du contexte social sur le développement des inventions techniques ?” ». Cette dimension du « comment », qui est précisément une question de méthode ancrée dans un choix d’une posture épistémologique « vis-à-vis de la manière d’articuler les deux instances ici en jeu, à savoir : les rapports entre les technologies et la société », nous a poussée à construire cette modélisation éco-systémique.

À travers ces différentes sections du changement, un mot leitmotiv apparaît, celui des transformations. Par exemple, Pierre Mœglin (2005 : 10) signale que « de [la] production- transformation [de l’existence sociale de l’humanité], outils et médias éducatifs sont le cœur

173 en même temps que le point aveugle des analyses qui s’y attachent ». Il nous semble alors pertinent non plus de questionner le changement mais les transformations que pourrait induire un changement ; ici de support à l’activité. De nouveau, les apports d’Edgar Morin seront mobilisés. Pour l’auteur (1977 : 158-159), « l’idée de transformations, conçue hors organisation, est réduite et morcelée : on parle alors de transformations chimiques, de transformation métaphysique, de transformation mécanique (productrice de mouvement). Certes les machines naturelles et même artificielles comportent des transformations à la fois physiques et stricto sensu, chimiques, énergétiques. Mais il est oublié que l’idée de transformation signifie changement de format, c’est-à-dire : dé-formation, formation (morphogenèse), métamorphose, et qu’il faut considérer le terme de forme dans son sens fort, c’est-à-dire de Gestalt, globalité d’un système et d’un être. Ainsi une machine est une organisation praxique où les formes se font, se défont et se refont et dans les machines vivantes comme dans l’arkhe-machine solaire, le travail de transformation à la fois détruit, construit, méta-morphose ». Ces précisions sur la notion de transformation donnent l’orientation de notre réflexion ; les formes actualisées, régulières ou cristallisées des pratiques, des relations entre individus ou des rôles alloués à chaque acteur résument notre travail de recherche. Nous verrons qu’elles nous ont conduite à proposer d’autres entités du changement (mutation et novatio).

Edgar Morin (ibid. : 159) soutient que « les transformations donnent naissance à de nouvelles formes d’organisation. Ainsi une machine peut produire de l’organisé ou de l’organisant à partir du non organisé, du mieux organisé à partir du moins organisé. Dès lors la transformation apparaît comme fabrication (terme qui donne la prépondérance à l’idée de travail organisateur et de multiplication du même) ou comme création (terme qui donne la prépondérance de la générale activité du système et à la nouveauté du produit) ». Ici encore, il faut noter que l’idée de création est loin d’être antinomique à celle de production : toute production n’est pas nécessairement création, mais toute création est nécessairement production. Ainsi l’idée d’organisation pratique aux machines, débouche non seulement sur une fabrication répétitive du même, mais sur la création d’une très grande diversité d’actions, processus, phénomènes, choses, êtres ». Pour qu’il y ait transformation, il faut qu’il y ait une organisation organisante, c’est-à-dire un système dans lequel ces transformations peuvent être appréhendées. La transformation est propre à la praxis qui peut être étudiée dans une activité de travail, intellectuelle ou agissante, mais aussi dans toute activité quelle qu’elle soit. Alors l’activité de travail, de communication, d’éducation, etc. suppose une production matérielle

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ou immatérielle qui peut être une fabrique du même ou une création. La fabrique du même n’est pas nécessairement une formation non-humaine, la fabrique de l’organisation (agencement d’humain et de non-humain) ou de l’individu rentre pleinement dans ce processus. La création ne porte pas alors sur une totalité mais peut porter aussi sur une partie du tout. Inversement, la reproduction n’est pas copie conforme au modèle mais processus et intentions communes à ce qui se faisait avant.

Enfin, la transformation se corrèle à l’idée de production : « Une transformation n’est pas seulement le produit de réaction ou de modification, elle est aussi productrice soit de mouvement (les moteurs) soit de forme et de performance » (ibid. : 160). Ces moteurs humains sont la motivation dont nous avons déjà parlé ici, et la performance sera le critère pour analyser l’actualisation de pratiques de communication. Dès lors, « nous retrouvons le caractère premier de l’action : le mouvement. Une organisation active comporte dans sa logique même la transformation et la production » (ibid.) ; nous pourrions compléter par : une organisation a pour logique la formation et la reproduction.

Force est de constater qu’une problématique transversale à ces disciplines a été constitutive de notre propre problématique, celle de la question du changement notamment par les TIC. Elle ne se formule pas exactement dans les mêmes termes ou avec les mêmes sensibilités, mais elle reste au fondement d’une recherche qui est dans l’action.