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D. SUR LE BIEN-FONDÉ DES GRIEFS

3. S UR LE GRIEF N ° 2

788. Au cours de la procédure, Brenntag a dénoncé une pratique d’entente avec Chemco, distincte de celles faisant l’objet du grief n° 1.

789. Seront examinés successivement l’objet anticoncurrentiel des pratiques constatées, puis la participation individuelle des entreprises mises en cause et la durée des pratiques.

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a) L’objet anticoncurrentiel des pratiques constatées

790. Pour le rappel des principes applicables, il est renvoyé à ceux exposés aux paragraphes 728 et suivants ci-dessus.

791. En l’espèce, il convient de constater que Chemco ne nie pas s’être concertée avec Brenntag. En revanche, Chemco considère que cette concertation ne saurait avoir pour objet ou effet de restreindre la concurrence dans la mesure où elle n’aurait pas porté sur une répartition de clientèle mais uniquement sur une répartition des livraisons chez ce client. En outre, Chemco conteste avoir participé à une entente tarifaire dans la mesure où GKN était libre de choisir un autre fournisseur et a accepté sans aucune contrainte les conditions tarifaires proposées par Brenntag ou Chemco.

792. Il ressort cependant du dossier que Chemco et Brenntag se sont entendues pour se répartir les commandes de méthanol livrées par camions complets auprès du client GKN, tout en se concertant sur les prix facturés à ce client.

793. Ainsi, l’Autorité a constaté au paragraphe 484 de la décision une parfaite régularité dans l’alternance des prises de commande de méthanol entre Brenntag et Chemco à l’égard de GKN.

794. Afin de mettre en œuvre cette pratique, l’Autorité a constaté aux paragraphes 485 et suivants de la décision que les entreprises en cause avaient organisé entre elles des livraisons croisées de méthanol leur permettant de lisser les commandes faites par GKN sur toute l’année. Ces constatations sont corroborées par les déclarations de Brenntag (cote n° 14364).

795. Ce faisant, les parties se communiquaient les tarifs auxquels elles facturaient in fine le client GKN, chaque livraison effectuée dans cet objectif étant payée au prix fixé au client GKN. Par ailleurs, il a été constaté au paragraphe 479 de la décision que Chemco et Brenntag se concertaient par téléphone sur les propositions tarifaires à remettre à GKN pour chacune de ses demandes de cotation (cote 37205).

796. L’Autorité a en effet constaté aux paragraphes 490 et suivants de la décision que les parties avaient mis en œuvre ces livraisons croisées à un prix supra compétitif, et ce, sans avoir pu justifier de l’intérêt économique qu’il pourrait y avoir pour un acheteur à s’approvisionner auprès d’un fournisseur qui est systématiquement plus cher, de manière limitée mais continue, alors qu’il existait des prestataires moins onéreux, avec lesquels il se trouvait déjà en affaire.

797. Ces constatations sont corroborées par les déclarations de Brenntag selon lesquelles d’une part, les deux distributeurs s’accordaient pour alterner les commandes de méthanol auprès de GKN, tout en fixant en commun un prix supra compétitif au client, et, d’autre part, le fait que les livraisons croisées permettaient de dédommager celle des deux parties qui n’avait pas livré le client, par le biais de livraisons à prix élevés.

798. Par ailleurs, le fait qu’en l’espèce GKN ait accepté les prix proposés par Brenntag et Chemco est un argument inopérant au regard de la qualification juridique des pratiques constatées.

799. Enfin, les arguments de Chemco relatifs à l’existence d’une concurrence résiduelle sur le marché de la fourniture de méthanol, qui portent en réalité sur la question du dommage causé à l’économie, seront traités aux paragraphes 1088 et suivants de la décision.

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800. Il en résulte que les pratiques constatées ont eu pour objet de faire obstacle à la libre fixation des prix et de mettre en œuvre une répartition du marché contrevenant ainsi aux dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.

b) Sur la participation des entreprises en cause

801. En ce qui concerne le standard de preuve de la participation d’une entreprise à une entente horizontale, il convient de rappeler qu’une entreprise doit s’abstenir rigoureusement de participer à des prises de contact, directes ou indirectes, avec ses concurrents en vue d’échanger sur leurs politiques commerciales et notamment sur le prix des biens ou des services qu’elles offrent sur le marché. Ce type de réunion n’appelle qu’une réponse de la part des entreprises : refuser d’y participer ou, si la bonne foi du participant est surprise, se distancier sans délai et publiquement du mécanisme anticoncurrentiel dont la réunion est le support. La participation à une seule de ces réunions, même si elle est passive, suffit en effet à conforter le mécanisme de l’entente : d’une part, elle renseigne sur le comportement commercial que les autres acteurs ont décidé d’adopter sur le marché, alors que l’autonomie qu’exige la concurrence entre entreprises suppose que ces dernières restent dans l’incertitude sur la stratégie de leurs concurrents ; d’autre part, elle permet aux participants plus actifs d’escompter que l’absence d’opposition de l’entreprise en cause ne viendra pas perturber le jeu collusif (décision n° 07-D-48 du Conseil du 18 décembre 2007, précitée, paragraphe 180, confirmée par arrêt de la cour d’appel de Paris du 25 février 2009, précité, p. 9 ; voir également arrêt de la Cour de justice du 4 juin 2009, T-Mobile Netherlands e.a./Commission, C-8/08, Rec. p. I-04529, point 60).

802. En l’espèce, la participation de Brenntag aux pratiques constatées est attestée d’une part, par ses déclarations effetuées dans le cadre de sa demande de clémence (cotes 13424 à 13426), et d’autre part, par les indices présentés ci-dessous.

803. Chemco n’a en revanche pas reconnu avoir participé à l’entente dénoncée par Brenntag.

Pourtant, un faisceau d’indices précis, graves et concordants atteste de sa participation.

804. En effet, il ressort des constatations de l’Autorité qu’il existait entre 2000 et mars 2007 une alternance parfaite des livraisons de méthanol entre Brenntag et Chemco au client GKN.

805. En outre, et afin de mettre en œuvre cette entente, Brenntag et Chemco se sont concertées pour organiser entre elles des livraisons croisées de méthanol, livraisons qui avaient lieu systématiquement pendant les trimestres de commande remportés par chaque entreprise de sorte que Brenntag livrait Chemco lorsque GKN lui passait commande et réciproquement.

806. Une telle régularité de livraison entre concurrents ne peut s’expliquer autrement que par un accord passé entre ces deux entreprises. L’Autorité souligne d’ailleurs que les services d’instruction n’ont relevé aucune autre livraison de méthanol de Chemco à Brenntag (site de Maine-Bretagne) sur la période 2000-2004, en dehors des mois pendant lesquels Chemco livrait le client GKN.

807. Par ailleurs, les constatations effectuées aux paragraphes 490 et suivants de la décision ont permis de démontrer que, dans le cadre de ces livraisons croisées, les prix des livraisons de méthanol effectuées par Chemco au site de Brenntag (site de Maine-Bretagne) et inversement sont systématiquement plus élevés que ceux des commandes passées postérieurement et antérieurement auprès d’autres fournisseurs, sans que ces constatations puissent être justifiées autrement que par les conditions de l’accord décrit aux paragraphes 480 et suivants.

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808. Enfin, il ressort des factures adressées par Chemco à Brenntag (site de Maine-Bretagne) et inversement, que l’adresse de livraison mentionnée était celle de GKN. De la même manière, deux factures adressées à Chemco par GMS, fournisseur en méthanol, comportent la mention manuscrite : « Brenntag→GKN 72 » ou « Brenntag pour GKN ». Or, ainsi que l’a constaté l’Autorité au paragraphe 496 de la décision, cette pratique consistant pour un fournisseur à indiquer à un concurrent l’adresse de livraison de son propre client ainsi que le prix final facturé n’est pas usuel dans la profession.

809. Il résulte de l’ensemble de ce qui précède qu’il existe un faisceau d’indices précis, graves et concordants permettant de caractériser la participation de Chemco à l’entente dénoncée par Brenntag.

c) Sur la durée de l’entente

810. Pour le rappel des principes applicables, il est renvoyé à ceux exposés aux paragraphes 740 à 742 ci-dessus.

811. En se fondant sur les déclarations de Brenntag et les éléments recueillis lors de l’instruction, l’Autorité a constaté aux paragraphes 500 et suivants de la décision que les livraisons alternées de méthanol au client GKN par Brenntag et Chemco ont débuté en janvier 2000 pour se terminer en mars 2007.

812. GKN a en effet ensuite décidé de s’approvisionner auprès d’une autre entreprise, Axe Diffusion, dirigée par M. Alain K..., ancien maître d’œuvre de la concertation pour Brenntag.

813. Il en résulte que l’entente entre Brenntag et Chemco a perduré de janvier 2000 à mars 2007. La durée de l’infraction est donc de 7 ans et 2 mois.