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1. LES PRINCIPES APPLICABLES

510. Le premier grief a été notifié sur le fondement des articles L. 420-1 du code de commerce et 101 du TFUE et le second uniquement sur celui de l’article L 420-1 du code de commerce.

511. L’article 101, paragraphe 1, du TFUE prohibe notamment les accords ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à la concurrence et qui sont susceptibles d’affecter le commerce entre États membres.

512. La question de l’affectation du commerce entre États membres est une question distincte et préalable à celle de l’analyse de la restriction de concurrence. Elle est indépendante de la définition des marchés géographiques en cause, car le commerce entre États membres peut être affecté même dans des cas où le marché est national ou régional. C’est l’accord concerné ou la stratégie générale examinée faisant l’objet du grief qui doit être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, peu important que les différentes parties de l’accord soient susceptibles ou non de le faire isolément.

513. Se fondant sur la jurisprudence constante de l’Union, et à la lumière de la communication de la Commission européenne portant lignes directrices relatives à la notion d’affectation du commerce figurant aux articles 81 et 82 du traité [devenus les articles 101 et 102 du TFUE] (JOUE C 101, du 27 avril 2004, p. 81), l’Autorité considère avec constance que trois éléments doivent être réunis pour que des pratiques soient susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres : l’existence d’échanges entre États membres portant sur les produits ou les services en cause, l’existence de pratiques susceptibles d’affecter ces échanges et le caractère sensible de cette possible affectation.

514. Concernant le premier élément, dans les cas d’entente s’étendant à l’intégralité ou à la vaste majorité du territoire d’un État membre, le Tribunal de l’Union européenne a jugé

« qu’il existe, à tout le moins, une forte présomption qu’une pratique restrictive de la concurrence appliquée à l’ensemble du territoire d’un État membre soit susceptible de contribuer au cloisonnement des marchés et d’affecter les échanges intracommunautaires.

Cette présomption ne peut être écartée que si l’analyse des caractéristiques de l’accord et du contexte économique dans lequel il s’insère démontre le contraire » (arrêt du 14

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décembre 2006, Raiffesen Zentralbank Österreich e.a./Commission, T-259/02 à T-264/02 et T-271/02, Rec. p. II-5169, point 181). Sur pourvoi, la Cour de justice a précisé à cet égard, dans un arrêt du 24 septembre 2009, Erste Group Bank/Commission, que « le fait qu’une entente n’ait pour objet que la commercialisation des produits dans un seul État membre ne suffit pas pour exclure que le commerce entre États membres puisse être affecté. En effet, une entente s’étendant à l’ensemble du territoire d’un État membre a, par sa nature même, pour effet de consolider des cloisonnements de caractère national, entravant ainsi l’interpénétration économique voulue par le traité CE » (125/07 P, C-133/07 P, C-135/07 P et C-137/07 P, Rec. p. I-8681, point 38).

515. Concernant le deuxième élément, pour être susceptible d’affecter le commerce entre États membres, une décision, un accord ou une pratique concertée « doivent, sur la base d’un élément de fait et de droit, permettre d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’ils puissent exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres » (arrêts de la Cour de justice du 21 janvier 1999, Bagnasco e.a., C-215/96 P et C-216/96, Rec. p I-135, point 47, et du 25 octobre 2001, Ambulanz Glöckner, C-475-99, Rec. 2001 p. I-8089, point 48). La Cour de cassation a également rappelé que les termes « susceptibles d’affecter » énoncés par les articles 101 et 102 du TFUE « supposent que l’accord ou la pratique abusive en cause permette, sur la base d’un ensemble d’éléments objectifs de droit ou de fait, d’envisager avec un degré de probabilité suffisant qu’il puisse exercer une influence directe ou indirecte, actuelle ou potentielle, sur les courants d’échanges entre États membres, sans que soit exigée la constatation d’un effet réalisé sur le commerce intracommunautaire » (arrêt du 31 janvier 2012, France Télécom, n° 10-25.772, 10-25.775 et 10-25.882, p. 6).

516. Enfin, s’agissant du troisième élément, la Cour de cassation a jugé dans l’arrêt France Télécom précité que la démonstration du caractère sensible de cette possible affectation, dans les cas où les pratiques en cause sont commises sur une partie seulement d’un État membre, « résulte d’un ensemble de critères, parmi lesquels la nature des pratiques, la nature des produits concernés et la position de marché des entreprises en cause » sont amenés à être prises en compte, « le volume de ventes global concerné par rapport au volume national n’étant qu’un élément parmi d’autres ».

517. Le paragraphe 52 des lignes directrices précitées se réfère à deux seuils cumulatifs en deçà desquels un accord est présumé, du point de vue de la Commission européenne, ne pas affecter sensiblement le commerce entre États membres :

- la part de marché totale des parties sur le marché communautaire affecté par l’accord n’excède pas 5 % ;

- et, dans le cas d’accords horizontaux, le chiffre d’affaires annuel moyen réalisé dans l’Union par les entreprises en cause avec les produits concernés par l’accord n’excède pas 40 millions d’euros.

2. APPRÉCIATION DE L’AUTORITÉ

a) En ce qui concerne le grief n° 1

518. Les pratiques visées par le grief n° 1 sont de toute évidence susceptibles d’affecter sensiblement le commerce entre États membres, pour les raisons qui seront détaillées ci-dessous.

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519. En premier lieu, il convient de constater que certains distributeurs de commodités chimiques établis dans d’autres États membres livraient des clients installés sur le territoire français. Ainsi, la société Holvoet, implantée en Belgique, livrait à tout le moins la région Nord-Pas-de-Calais. De même, dans le nord de la France, les sociétés Brenntag et Univar commercialisaient des commodités chimiques en provenance de Belgique (cotes 23029 et 24338).

520. Par conséquent, il existe bien des courants d’échanges, réels et potentiels, entre États membres relatifs à la distribution de commodités chimiques.

521. En deuxième lieu, les pratiques en cause ont consisté, d’une part, en une stabilisation des parts de marché des participants par le biais de pratiques de répartition de clientèle et, d’autre part, en une coordination tarifaire entre ces mêmes concurrents. Elles couvrent, sinon l’ensemble du territoire national, du moins une part très importante comprenant plusieurs zones géographiques, dont le « nord », l’« ouest », la « Bourgogne » et « Rhône-Alpes ».

522. La nature et l’objectif mêmes de ces pratiques, qui tendent à cloisonner le marché national ou une proportion significative de celui-ci, font qu’elles sont susceptibles d’affecter les échanges entre États membres. En particulier, les pratiques de coordination tarifaire peuvent empêcher les clients des distributeurs de commodités chimiques installés dans d’autres États membres de bénéficier de prix inférieurs dans le cadre du marché intérieur de l’Union. Tel serait particulièrement le cas des entreprises consommatrices de commodités chimiques situées près des zones frontalières de la France.

523. En troisième lieu, eu égard au territoire qu’elles concernent et aux acteurs qu’elles impliquent, ces pratiques sont de nature, non seulement à affecter les échanges entre États membres, mais encore à les affecter sensiblement. Elles regroupent en effet les plus grands acteurs du secteur de la distribution des commodités chimiques qui en représentaient en 2004 plus de 80 %, et qui étaient, pour la plupart, adossés à des groupes européens, voire mondiaux.

524. Il résulte de ce qui précède que les pratiques visées par le grief n° 1 sont susceptibles d’affecter de manière sensible le commerce entre États membres et doivent, par conséquent, être analysées au regard des règles de concurrence tant internes que de l’Union, ce que les parties ne contestent du reste pas.

b) En ce qui concerne le grief n° 2

525. Les pratiques visées par le grief n° 2 consistent en une pratique de répartition de clientèle couplée à une concertation tarifaire entre les sociétés Brenntag et Chemco sur les livraisons de méthanol par camion complet au client GKN.

526. L’Autorité a constaté au paragraphe 499 de la décision que les livraisons concernées sur la période couverte par cette pratique se sont élevées à un peu moins d’un million d’euros.

527. Par ailleurs, la distribution de commodités chimiques en France étant d’environ 500 millions d’euros, les ventes concernées par la pratique en représentent moins de 0,2 %.

528. Enfin, aucun autre élément figurant au dossier ne permet d’établir que ces pratiques seraient susceptibles d’affecter sensiblement les échanges entre États membres.

529. Dans ces conditions, les pratiques visées par le grief n° 2 seront examinées au regard des seules dispositions de l’article L. 420-1 du code de commerce.

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