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Chapitre 3 : Origines et création des deux systèmes

I. Les premières tentatives d’éducation

4. Les universités ou séminaires

Comme nous l’avons dit, l’éducation des Indiens devint un aspect de la conversion des populations autochtones. De ce fait, des écoles furent créées pour y dispenser une éducation supérieure et pour les former à devenir missionnaires. Le

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premier établissement de ce genre fut un séminaire5 ouvert à Notre-Dame-des-Anges en Nouvelle-France par les Récollets, qui avaient pour but de convertir les Indiens mais aussi éduquer de jeunes Indiens chrétiens qui aideraient les Récollets dans leur mission en convertissant à leur tour les membres de leur tribu (Jaenen 271). Le séminaire ferma en 1626 car il n’y avait pas assez d’élèves.

Les Jésuites arrivés en Nouvelle-France en 1632, sous la direction du Père Le Jeune, reprirent en 1635 la mission civilisatrice de Récollets à Notre-Dame-des- Anges (Jaenen 278). Très peu d’enfants indiens furent éduqués au séminaire.

Paul Le Jeune n’était pas arrivé en Nouvelle-France avec de nouvelles conceptions de l’éducation mais il utilisait des techniques scolaires de discipline et les programmes tels qu’ils étaient décrits dans le Ratio Studiorum. Cet ouvrage, publié en 1599, fait la synthèse des usages scolaires de l’époque et les systématise de façon à unifier les pratiques pédagogiques des Jésuites. Ce livre qui compte 527 règles, décrivait les programmes à suivre pour former de futurs hommes d’Églises, quelles matières enseigner, en quelle langue, la façon dont les professeurs et les élèves devaient se comporter, … Nous voyons ici que l’éducation des Indiens à l’époque coloniale reprenait logiquement les principes et les bases de l’éducation française.

Quelques années après l'arrivée des Jésuites en Nouvelle-France, des Ursulines partirent de France volontairement pour s’occuper de l’évangélisation des Indiens. Les premières arrivèrent en 1639. Parmi elles se trouvait Marie Guyard ou Marie de l’Incarnation, dont le travail et la rigueur marquèrent l’histoire. Les jeunes Ursulines vinrent convertir les jeunes Indiennes à la foi catholique après que Paul Le Jeune eût demandé à la France d’envoyer des femmes pour éduquer les filles indiennes. Les Jésuites de France ne formaient que les garçons et préféraient léguer cette tâche à des femmes qui seraient plus à même de former les filles à leur future vie de femme et de mère.

Née en 1599 à Tours, mariée à dix-sept ans avec Claude Martin avec qui elle aura un fils, Claude, Marie Guyard devint veuve en 1619. Elle décida, en 1631, de rentrer au monastère des Ursulines à Tours et prit le nom de Marie de l’Incarnation. Plus tard, elle rejoignit la ville de Rouen pour partir avec la délégation des autres Ursulines et passa le reste de sa vie en Nouvelle-France, jusqu’à sa mort en 1672.

5 Lorsque les Récollets ouvrirent ce séminaire ils choisirent d’appeler cette institution un séminaire et non une école car le terme sous-entendait l’éducation des enfants indiens mais aussi la formation de certains d’entre eux à devenir missionnaires (Jaenen 271).

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Les Ursulines, qui ouvrirent un séminaire pour filles à Québec, accueillaient des filles de colons et des « sauvages », internes ou externes. Toute fillette indienne admise au séminaire faisait l’objet d’un « dégraissage » et d’un épouillage. Marie écrivit :

Quand on nous les donne, elles sont nues comme un ver, et il les faut laver depuis la tête jusqu’aux pieds à cause de la graisse dont leurs parents les oignent par tout le corps ; et quelque diligence qu’on fasse, et quoiqu’on les change souvent de linge et d’habits, on ne peut de longtemps les épuiser de la vermine causée par l’abondance de leur graisse. (in Oury 346)

Une fois lavées et dégraissées, les sœurs donnaient aux fillettes du linge propre, qualifié de civilisé, en comparaison de leurs habits traditionnels. La francisation des Indiennes s’accomplissait surtout par l’instruction du catéchisme ainsi que par l’apprentissage des tâches domestiques. À part la danse et le régime alimentaire, tout était fait à la mode française (Oury 348-349)6.

Dans les colonies britanniques, on comptait parmi les institutions créées pour éduquer les Indiens, Henrico College aussi appelé l’East Indian School en Virginie, qui ouvrit ses portes en 1619, pour accueillir des Indiens. Mais ces deux institutions n’eurent qu’une courte existence due à des problèmes d’organisation et de financement.

L’université de Harvard fut le premier établissement supérieur. Créée en 1636, Harvard fut dans un premier temps une institution théologique « en lien avec la nature de la constitution politique de la colonie » (Quincy 3), un séminaire qui offrait des cours de religion, théologie, latin, grec et philosophie afin de former de futurs hommes d’Église qui travailleraient au sein des villes coloniales ou à la conversion des Indiens. Quelques années après l’ouverture de l’université, en 1650 une nouvelle charte fut rédigée. Elle déclarait que l’établissement avait désormais également pour objectif : « l’avancement de toute la littérature, les arts et les sciences et l’éducation des Anglais et des jeunes Indiens de ce pays dans la connaissance et la dévotion » (Quincy 46). En 1653, Harvard fit donc construire un bâtiment à cet effet, le Harvard

Indian College.

6 Pour de plus amples informations sur la vie de Marie de l’Incarnation, voir, par exemple :

Dom G Oury. Marie de l’Incarnation (1599 – 1672). Québec : Presses de l'Université Laval Sablé, 1973.

ou Claire Gourdeau. Les Délices de nos Cœurs : Marie de l'Incarnation et ses pensionnaires amérindiennes, 1639-1672. Québec : Les éditions Septentrion, 1994.

ou encore Marie-Françoise Pineau. Marie de l'Incarnation: Marie Guyart, femme d'affaires, mystique, mère de la Nouvelle-France. Montréal : Les Editions Fides, 1999.

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Peu d’étudiants indiens suivirent les cours à l’université de Harvard et après quinze ans, il n’y en avait plus aucun. Le Harvard Indian College fut détruit en 1693. Le nombre d’étudiants qui y firent leurs études n’est pas connu. Mais on en répertoria au moins cinq, dont un qui abandonna son cursus et trois qui moururent lors de leurs études (Szasz 127). Un seul, Caleb Cheeshahteaumuck obtint son diplôme en 1665. Il pouvait lire, écrire et parler différentes langues comme l’anglais, le latin et le grec. Il ne reste malheureusement aucune trace des travaux de Caleb, juste une signature. Il mourut un peu plus tard de tuberculose. Les exemples comme celui de Caleb ne sont pas nombreux mais méritent d’être mentionnés pour montrer que certains Indiens, contrairement à ce que la plupart des gens pensaient, souhaitaient être éduqués. Ils soulignent également que les Indiens étaient tout à fait capables de suivre des cours de niveau universitaire.

Malgré les nombreuses tentatives de civilisation, les résultats furent une fois de plus peu concluants, ce qui explique que peu d’universités leur permirent de suivre une éducation dans leur institution. En 1693, le College of William and Mary ouvrit en Virginie, afin d’éduquer les Indiens et de les convertir à la foi chrétienne. Voici ce que la charte royale qu’il reçut, stipulait :

Forasmuch as our well-beloved and faithful subjects, constituting the General Assembly of our Colony of Virginia, have had it in their minds, and have proposed to themselves, to the end that the Church of Virginia may be furnished with a seminary of ministers of the gospel, and that the youth may be piously educated in good letters and manners, and that the Christian faith may be propagated amongst the Western Indians, to the glory of Almighty God; to make, found and establish a certain place of universal study, or perpetual College of Divinity, Philosophy, Languages, and other good Arts and Sciences, consisting of one President, six Masters or Professors, and an hundred scholars more or less, according to the ability of the said college7.

De 1700 à 1776, six à huit Indiens furent éduqués chaque année, puis l’université ouvrit ses portes aux enfants des colons pour réussir à se maintenir, pour enfin ne plus recevoir d’Indiens du tout (College of William and Mary 41).

En 1754, la Moor’s Indian Charity School en Nouvelle-Angleterre, qui allait devenir plus tard l’université Dartmouth, fut créée par Eleazar Wheelock8

. Ses idées en matière d’éducation basées sur les valeurs puritaines, étaient d’élever les Indiens selon le christianisme, leur enseigner l’agriculture afin qu’ils puissent gagner leur vie grâce à ce métier et ainsi échapper à leur sort de sauvage. Il pensait aussi qu’il était

7 William and Mary College, Special Collections :

http://swem.wm.edu/departments/special-collections/exhibits/exhibits/charter/charter/

8 Eleazar Wheelock écrivit un ouvrage relatant la création de cette école et développant ses idées sur l’éducation : A Plain and Faithful Narrative of the Original Design, Rise, Progress and Present State

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nécessaire de former quelques Indiens au métier de pasteur et d’enseignant afin qu’ils aillent convertir et civiliser les autres membres de la tribu. Les filles indiennes et anglaises (l’établissement n’accueillait pas uniquement des sauvages), étaient instruites quelques heures par jour. Aucune différence n’était faite dans l’instruction des filles des colons ou des sauvages (Szasz 220-222). Toutes apprenaient à lire et à devenir de bonnes épouses selon les idées d’Eleazar Wheelock : « les filles devraient apprendre tout ce qui leur sera nécessaire à accomplir leur rôle de femme, en tant que ménagères, institutrices, tailleuses, etc., et de rester avec leurs enfants » (Wheelock 15). L’éducation des garçons, indiens et anglais, était beaucoup plus rigoureuse et s’effectuait sous la direction de Wheelock lui-même. Elle consistait à leur enseigner le catéchisme tôt le matin, les instruire dans les matières considérées comme classiques à l’époque, le latin et le grec, puis à nouveau du catéchisme en soirée (Szasz 223). Comme le grand dessein de Wheelock n’obtint pas les résultats escomptés, il dut abandonner ses espoirs de civiliser les Indiens. Avec l’aide d’un pasteur d’origine amérindienne du nom de Samson Occom9

, Wheelock ouvrit l’université de Dartmouth en 1769 qui devint une institution pour former des pasteurs, des enseignants et qui proposait aussi d’éduquer les enfants des colons (Szasz 253).

L’éducation apportée aux Indiens était avant tout religieuse. Ils apprenaient à lire dans la Bible, ils en écrivaient des passages et ils la récitaient. Ainsi, en plus d’une éducation de base qui leur servait à lire, écrire et parler l’anglais, ils étaient sans cesse en contact avec les valeurs et les idées chrétiennes. Cependant, ces entreprises de conversion et de civilisation eurent très peu d’effet. John Eliot, Eleazar Wheelock, et toutes les personnes qui entreprirent de civiliser les autochtones se heurtèrent d’une part aux nombreux conflits opposant les Indiens aux colons (Weinberg 180), et d’autre part, à l’ampleur de la tâche. En effet, à l’origine, les entreprises de conversions n’étaient pas organisées ni même regroupées et il y avait beaucoup d’autochtones à évangéliser. Il s’agissait plutôt d’initiatives personnelles éparpillées çà et là dans les treize colonies et en Nouvelle-France, ce qui explique pourquoi leur impact fut minime.

9 Né en 1723, Samson Occom, originaire de la tribu des Mohegans, reçut l’enseignement de missionnaires puis suivit des cours de théologie à l’école latine pendant quatre ans, avant d’être ordonné prêtre en 1759 (Szasz 194). Pour plus d’informations sur les travaux de Samson Occom, lire John A. Strong. « Quand un Indien christianise les siens : Samson Occom et l’imposition du modèle blanc au XVIIIe siècle dans la région de New York » (in Rigal-Cellard 157-170)

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Toutes ces tentatives de créer des établissements où les Indiens pouvaient être éduqués furent souvent soldées par des échecs, et en parallèle à ces institutions on revint à l’expérience des première années : éduquer quelques enfants indiens en les plaçant dans des familles de colons (Szasz 54). Si peu d’informations subsistent aujourd’hui sur cette expérience, nous savons cependant que c’était un sujet très délicat à l’époque et que certaines lois furent votées, en Virginie notamment, afin d’interdire l’enlèvement d’enfants indiens par des familles anglaises10

.

Ces différentes manières d’éduquer les enfants, formelles ou informelles, ces expériences d’hommes et de femmes, même infructueuses, sont importantes dans l’éducation des Indiens parce qu’elles sont à la base de tout leur système d’éducation aujourd’hui et parce qu’elles engendrèrent une multitude d’autres expériences, permettant ainsi une certaine continuité. Lorsque les gouvernements américain et canadien décidèrent de prendre le contrôle de l’éducation des Indiens en créant un système fédéral d’écoles à la fin du XIXe

siècle, ils choisirent de garder les autres institutions déjà présentes, qui étaient chargées d’éduquer les Indiens, les écoles de jour et les pensionnats sur réserve. Étudier ces deux types d’institutions permet de saisir l’importance des premières tentatives de civilisation et d’éducation des Indiens depuis l’époque coloniale et dont les nombreuses caractéristiques se retrouvent au XIXe siècle.