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Chapitre 1 : Remarques générales

I. Statistiques

1. Nombre de pensionnats hors réserve

Il existait, comme annoncé dans la première partie, trois types d'institutions dans lesquelles l'assimilation par l'éducation fut mise en place. Avant de commencer nos recherches sur les pensionnats hors réserve, nous avons décidé de connaître exactement le nombre d’établissements que nous allions étudier. Rapidement, nous sommes parvenue à établir, grâce à deux sources complémentaires, que les États- Unis possédaient une vingtaine de pensionnats hors réserve, vingt-cinq pour être précis. David W. Adams dans son livre Education for Extinction (1995) dresse une liste des institutions hors réserve par date d’ouverture (Adams 57) et Colin G. Calloway (2001) dans First People : A Documentary Survey of American Indian

History (Calloway 359) propose une carte qui recense le lieu où étaient situés les

différents pensionnats hors réserve (voir annexe F)2. Pour le Canada, la démarche fut plus complexe, nous avons tenté de chercher une liste similaire, mais sans succès. En effet, aucun des ouvrages dédiés à l’étude de l’assimilation par l’éducation ne propose une liste de tous les pensionnats hors réserve qui existèrent au Canada. En l’absence d’une telle liste, nous avons décidé l’utilisation d’un autre moyen : l’observation de cartes, qui met en évidence que le Canada à première vue avait possédé beaucoup plus de pensionnats hors réserve que les États-Unis. Shingwauk’s

Vision : A History of Native Residential Schools (1996) de John R. Miller propose en

2 Dans un souci de respect des droits d’utilisation d’illustration, nous avons pris soin de faire nos propres cartes des pensionnats hors réserve américains et canadiens en annexe.

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introduction quatre cartes des provinces canadiennes sur lesquelles sont placés les pensionnats et leur église de rattachement (Miller xiii-xvi). Ces cartes et les pensionnats indiqués confirmèrent les informations trouvées sur le site des Affaires Indiennes. Ainsi, le Canada semblait compter près d’une centaine d’institutions hors réserve. En observant les rapports annuels du Département des Affaires Indiennes Canadiennes, nous nous sommes aperçue que pendant très longtemps, aucune différence n’avait été faite entre les institutions sur réserve ou en dehors, ce qui faussait les chiffres réels et affectait d'une certaine manière la comparaison. En reprenant les rapports annuels, nous avons pu dégager une liste des pensionnats canadiens hors réserve, qui fut par la suite confirmée en consultant les archives nationales canadiennes d’Ottawa. Nous avons trouvé une liste de pensionnats, dont le nombre avoisinait la vingtaine tout comme son voisin américain, entre 1879 et 1950. Nous avons placé ces deux listes et cartes en annexe (annexes F et G).

2. Populations indiennes

Si le nombre de pensionnats hors réserve était le même pour les deux pays, il semblait logique que le nombre d’Indiens présents dans les deux pays fut le même. Or, nous avons été surprise de découvrir que le Canada en comptait en fait moitié moins à la même époque. Si nous prenons par exemple, les chiffres de 18973, on comptait 248 813 Indiens aux États-Unis et environ 120 000 au Canada (ARCIA 1897). Nous avons mis en annexe l’évolution des populations indiennes deux pays, de 1900 à 2000 (annexe E).

Nous avions supposé à tort que si les deux pays avaient le même nombre de pensionnats, ils devaient également avoir le même nombre d’enfants en âge d’aller à l’école. Cette supposition fut infirmée par la comparaison des chiffres ci-dessous, qui donnent le nombre d’institutions dans les deux pays pour l’année 1897 ainsi que le nombre d’élèves inscrits.

3 Nous avons décidé de prendre comme année de référence 1897, année où la plupart des pensionnats hors réserve existaient déjà.

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États-

Unis

Inscrits

4

Canada

Inscrits

Écoles de jour

143

4 976

232

6 877

Pensionnats sur réserve

101

10 791

31

874

Pensionnats hors réserve

23

5 723

22

1 877

TOTAL

267

21 590

285

9 628

Figure 6 : Nombre d’établissements scolaires par type pour les Indiens (ARCIA 1897 et ARDIA 1897)

Les chiffres de ce tableau indiquent, à première vue, que le Canada avait beaucoup plus d’écoles de jour que son voisin, beaucoup moins de pensionnats sur réserve et un nombre égal de pensionnats hors réserve. En regardant ces nombres de plus près, il apparaît que les deux pays avaient en réalité, quasiment le même nombre total d’institutions. Ce qui différencie les deux est le nombre d’élèves inscrits : le Canada en avait deux fois moins que son voisin. Lorsque l’on sait que les États-Unis avaient deux fois plus d’Indiens que le Canada, ces chiffres sont logiques. Si le nombre des pensionnats hors réserve était identique, on dénombrait environ quatre fois moins d’élèves dans les pensionnats hors réserve au Canada. En effet, ces derniers avaient une capacité d’accueil moins grande. Pour prendre des exemples concrets, le pensionnat de Carlisle en Pennsylvanie, accueillit régulièrement, en moyenne entre 1 000 et 1 500 élèves, soit presque la totalité des pensionnats hors réserve canadiens. Ces derniers avaient une capacité d’accueil moyenne de 100 élèves.

Ce constat soulève les questions suivantes: si les enfants de ces pensionnats étaient moins nombreux, le travail d’assimilation fut-il plus efficace ? Leur portait-on plus d’attention qu’à ceux des États-Unis ? Les deux gouvernements financèrent-ils le système à la même hauteur ? Y avait-il plus de fonds aux États-Unis qu’au Canada, étant donné le nombre plus élevé d’enfants à éduquer? Nous tenterons de répondre à ces questions dans cette partie et la suivante.

4 Ces chiffres sont ceux des inscriptions qui ne révèlent en rien la réalité ; le nombre réel d’élèves dans ces écoles était en fait inférieur au nombre d’inscrits prévus.

128 3. Situation géographique

Enfin, il est aussi judicieux d'étudier la situation géographique de ces institutions, puisque l'une de leurs caractéristiques principales était de ne pas être situées dans une réserve indienne. Si nous comparons les deux cartes (annexes F et G), afin d’étudier le lieu où ils étaient placés, nous remarquons qu’aux États-Unis les écoles étaient pour la plupart, situées dans le Midwest ou l’Ouest du pays. Il est difficile d’ignorer que, malgré une volonté d’ouvrir des pensionnats hors réserve, les institutions étaient en fait situées dans des états, des provinces, où la population indienne était importante, comme par exemple, au Dakota du Sud ou au Minnesota. Ces pensionnats étaient tout de même placés dans des régions où, à l’époque, c'est-à- dire la fin du XIXe siècle, la population blanche n’était pas encore très présente. En effet, il n’y avait que quatre pensionnats présents dans l’est des États-Unis et moins dans l’est du Canada, où la plus grande partie de la population non indigène résidait.

Au Canada, les emplacements étaient différents de par la situation géographique et climatique du pays. Une majorité de pensionnats hors réserve était située dans la partie sud du pays, les régions limitrophes des États-Unis, dans lesquelles la population blanche était la plus présente mais aussi parce ces régions, contrairement à celles du Nord, avaient un climat plus doux. En effet, à cause des températures très basses dans le Nord du Canada qui empêchait l’établissement de villes, la population y était peu nombreuse. Enfin, il s’agissait d’une question d’organisation politique. Jusqu’en 1880, date de la création de ces pensionnats, toutes les provinces canadiennes actuelles n’étaient pas encore définies et n’existaient pas encore.

La comparaison des cartes indiquant la situation géographique des pensionnats aux États-Unis et au Canada (annexes F et G) avec celles qui concernent la densité de population des deux pays pour l’année 1900, montrent que, si les institutions étaient situées proches des réserves indiennes, en général elles étaient aussi situées dans des régions où la population blanche n’était pas très dense. Il est d’ailleurs assez surprenant de ne pas voir un plus grand nombre de pensionnats dans des régions où les populations américaine et canadienne étaient plus nombreuses et plus concentrées. En effet, l’objectif de ces établissements était, rappelons-le, l’assimilation des Indiens dans les sociétés respectives ; en outre nous pouvons supposer que s’ils se situaient dans la partie la plus peuplée, ils auraient eu un

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impact encore plus important sur l’éducation et auraient peut-être permis une assimilation plus rapide.

Fort de ce constat, pourquoi les pensionnats furent-ils établis dans des lieux où la population indienne était si importante ? Pourquoi ne pas les avoir placés dans des lieux isolés ? La première explication est d’ordre pratique. La plupart de ces écoles indiennes furent construites, pour des raisons économiques, dans d’anciens forts abandonnés par l’armée pour les États-Unis. Ces forts se trouvaient en majorité dans l’ouest du pays, dans des régions où, à l’époque, la population américaine était moins importante.

Deuxièmement, les deux systèmes étaient basés sur le programme de placement, créé par Henry Pratt, fondateur du pensionnat de Carlisle, en Pennsylvanie et qui, rappelons-le, consistait à placer des élèves dans des familles blanches l’été afin de continuer leur apprentissage d’un métier manuel et leur permettre d'être en contact direct avec la culture dominante du pays. Il aurait été logique de trouver plus de pensionnats dans les zones plus peuplées, dans la mesure où il s’agissait de régions où la majeure partie de la population blanche résidait. Peut- être était-ce une question de travail et du type d’emploi. Comme nous le verrons plus tard, les pensionnats formaient les enfants indiens à des travaux manuels dans le domaine agricole et rural.

Enfin, si certains étaient persuadés du bien-fondé de l’éducation des Indiens pour les assimiler, ils restaient aussi convaincus que cette éducation combinée à une instruction manuelle devait s’opérer loin de la population blanche qui pourrait, comme cela s’était produit dans le passé, corrompre cette éducation et avoir en conséquence une mauvaise influence sur les Indiens.