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L’assimilation, la détribalisation et la préparation à la citoyenneté

Chapitre 2 : L’assimilation par l’éducation

II. Les politiques d’assimilation aux États-Unis et au Canada

5. L’assimilation, la détribalisation et la préparation à la citoyenneté

De manière générale, l’assimilation serait accomplie par une détribalisation. Ce terme est défini comme « l’action d’enlever le caractère, l’identité indienne des populations autochtones ». La détribalisation est une déculturation d’une population au sens général, mais au sens littéral du terme et plus spécifique aux Indiens, la détribalisation est l’action d’enlever non pas le caractère indien mais le caractère

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tribal de ces populations, caractère qui représentait un obstacle majeur dans l’assimilation aux sociétés dominantes. Il faut savoir que leur assimilation ne se faisait pas uniquement par le biais d’une éducation forcée ; les différentes expériences des missionnaires depuis l’époque coloniale en étaient la preuve. Le gouvernement, en plus d’isoler les élèves de leur famille et de leurs noyaux sociaux, savait que l’éducation ne pourrait avoir de résultats probants que si elle était accompagnée d’une détribalisation.

Pour les gouvernements, l’assimilation allait de pair avec la détribalisation, qui elle-même allait de pair avec la citoyenneté. Un citoyen était une personne qui pouvait participer à la vie civilisée, subvenir à ses besoin, une personne instruite depuis l’enfance sur les devoirs et les droits de cette responsabilité. La citoyenneté des Indiens était alors considérée comme une récompense de l’évolution de l’être sauvage à l’être civilisé (Coleman 1980 : 53). À la fin du XIXe

siècle, ni le Canada ni les États-Unis n’avaient accordé la citoyenneté aux Indiens. Scott Riney souligne avec justesse dans son livre The Rapid City Indian School (1999), que pour le Bureau des Affaires Indiennes américain, une personne qui devenait citoyen ne faisait plus partie d’une tribu :

… since treaties and other agreements were with the tribes, assigning land and citizenship through the Dawes Act not only would eliminate tribal lands, but would render the treaties moot by removing tribes’ membership. In that way, Congress and the BIA hoped to free the federal government of its treaty obligations to American Indians. […] The “Indian problem” would then be solved, for with no reservations, there would be no tribes and no Indians, only new, patriotic citizens scarcely distinguishable from their white neighbors. (Riney 6)

Riney lia le problème de terres à celui de la citoyenneté. Nous voudrions aussi le lier à l’éducation. En effet, si la citoyenneté signifiait ne plus appartenir à une tribu, pourquoi ce moyen ne fut-il pas utilisé immédiatement comme solution au problème indien ? Un élément de réponse se trouve justement dans l’analyse du

Dawes Act et du système de pensionnats. En effet, ces deux principales réformes au

sein de la politique indienne américaine exigeaient de la part des Indiens, adultes ou enfants, une éducation agricole pour le Dawes Act et académique pour les pensionnats. Ce premier était plus précis quant à la relation entre agriculture et citoyenneté. Sept ans après avoir travaillé sur une parcelle de terre contrôlée par le gouvernement, l’Indien la récupèrerait et on lui donnerait la citoyenneté américaine. Pour les pensionnats, le principe fut plus ou moins identique, si ce n’est que la citoyenneté ne fut jamais définie comme objectif de manière explicite (Riney 6). Implicitement bien sûr, les pensionnats formaient les enfants indiens aux valeurs morales et civiques du pays, afin qu’ils puissent devenir de bons citoyens américains,

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en abandonnant de manière définitive leur appartenance à leur tribu, mais aucune archive ne fait part d’anciens élèves devenus citoyens.

Les gouvernements étaient résolus à restructurer complètement la personnalité et l’esprit des Indiens. En outre, il était bien évidemment plus facile d’accomplir ce travail de restructuration sur des êtres jeunes, malléables, qui n’avaient pas encore subi l’influence néfaste de la tribu. David Wallace Adams résume l’objectif des gouvernements dans son livre Education for Extinction (1995), comme étant double. Il fallait à la fois ôter l’Indien physiquement par une transformation extérieure et moralement par l’inculcation de nouvelles idées et valeurs :

From the policymakers’ point of view, the civilization process required a twofold assault on Indian children’s identity. On the one hand, the school needed to strip away all outward signs of the children’s identification with tribal life, that is to say their savage ways. On the other, the children needed to be instructed in the ideas, values, and behaviors of white civilization. These processes […] could, of course, be carried out simultaneously. (Adams 100-101)

Sur ce point, les deux pays eurent des approches différentes et surtout des projets différents. Aux États-Unis, l’assimilation et l’éducation furent rapidement liées à la préparation de la citoyenneté américaine. Dans Rules for Indian Schools,

with Course of Study, List of Textbooks and Civil Service Rules, publié en 1892 par le

Bureau des Affaires Indiennes, le gouvernement explique entre autre le but de l’éducation qui était « de préparer les jeunes Indiens à l’assimilation dans la vie nationale par un apprentissage qui le préparerait à leurs devoirs et privilèges de citoyen américain » (Rules 1892 : 3).

Au Canada, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que le gouvernement développera « l’éducation pour la citoyenneté» (Miller 156). La position du gouvernement canadien et ses décisions en matière de politiques indiennes sont plus que contradictoires. En effet, l’objectif principal des écoles était d’assimiler les Indiens à la société canadienne afin que les peuples autochtones puissent devenir indépendants économiquement et financièrement. Pourtant, les lois de 1876 et de 1880 que le gouvernement canadien vota, évoquaient la notion d’émancipation. L’émancipation est « le processus selon lequel un autochtone perdait son statut d’Indien, sous tutelle du gouvernement fédéral et devenait citoyen canadien » (Le Puloch 164). Il perdait en fait ses droits autochtones. Les lois stipulaient donc, que tout Indien obtenant un diplôme universitaire ou devenant un professionnel cesserait automatiquement de l’être, serait émancipé comme les autres citoyens canadiens. Il nous semble que ces lois entraînent deux phénomènes

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particuliers. Le premier est que sachant cela, les Indiens auraient été les premiers à ne pas continuer leurs études afin de ne pas être émancipés, ce qui leur permettait de garder leur identité indienne ; deuxièmement, le système d’éducation et les préjugés sur les capacités intellectuelles des Indiens ne leur permettaient pas de poursuivre de longues études. Les deux lois votées n’auraient concerné, à dire vrai, qu’une partie infime de la population indienne. Or, n’était-ce pas ce que le gouvernement souhaitait : émanciper et assimiler tous les Indiens ? (Statutes of Canada 1876, c18, s 86 et 1880, c28, s 99). Derrière cette idée d’émancipation se trouvait la volonté de mettre fin à cette relation de dépendance entre les gouvernements et les tribus :

It is neither just nor reasonable that the state should continue to bear expense and responsibility on behalf of those who are quite capable of conducting their own affairs', and in such cases the government should be empowered to free itself from a guardianship which is no longer necessary or desirable. (ARDIA 1917 : 20)

Le gouvernement mit l’accent sur l’éducation mais décida de midifier légèrement celle mise en place. L’idée maîtresse de cette politique d’assimilation résidait dans l’éloignement des enfants des centres de culture et de traditions que représentaient les réserves et la famille ; la création d’un système de pensionnats éloignés des réserves où enseignement académique et religieux seraient mêlés, était nécessaire (Milloy 25). On croyait également que les enfants deviendraient passeurs. Une fois leur instruction terminée, les réformateurs et le gouvernement étaient persuadés qu’ils joueraient le rôle d’intermédiaires entre les deux cultures et feraient pencher les leurs vers la nouvelle culture, permettant ainsi leur assimilation. À la fin du XIXe siècle donc, les deux gouvernements complétèrent l’éducation des autochtones déjà prodiguée dans des écoles dans les réserves par les missionnaires, par un système d’établissements hors réserve. Avant d’en parler plus en détails, nous allons expliquer comment ces systèmes virent le jour.

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Chapitre 3 : Origines et création des deux