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Chapitre 1 : Histoire de la politique fédérale indienne aux États-Unis et au Canada

I. « Une histoire parallèle»

2.2. Le Bureau des Affaires Indiennes aux États-Unis

Dans les premières années aux États-Unis, les Affaires Indiennes étaient gérées par le Congrès Continental, qui créa en 1775, le Comité des Affaires Indiennes (Committee of Indian Affairs), sous la direction de Benjamin Franklin. L’Article 1, Section 8, de la Constitution américaine décrit d’ailleurs les pouvoirs du Congrès sur les Affaires Indiennes : « réguler le commerce avec les nations étrangères, et avec les différents États, et avec les tribus indiennes ». Puis, en 1824, le Bureau des Affaires Indiennes9 fut créé par John C. Calhoun, sous la direction du Ministère de la Guerre. En 1849, il passa sous le contrôle du Ministère de l’Intérieur. Le rôle du Bureau des Affaires Indiennes10 (BIA) était d’« établir la politique indienne du gouvernement fédéral » (Stuart 5). Considéré comme une faible organisation pendant les cinquante premières années de son existence, le BIA deviendra plus structuré pendant le dernier quart du XIXe siècle et fera de l’éducation le centre de ses priorités, dès les années 1880. À sa tête, se trouvait le Commissaire des Affaires Indiennes11, qui dépendait du Ministre de l’Intérieur et qui était nommé par le Président des États-Unis. Sous la direction du Commissaire, des employés recevaient des rapports rédigés par des gens de terrain, s’occupaient des demandes financières, et des agents contrôlaient les Indiens dans la réserve. Ces derniers supervisaient le travail des employés de l’agence parmi lesquels des interprètes, des travailleurs manuels ou encore des enseignants (Stuart 29).

La création de deux départements chargés d’établir les politiques indiennes ne fut pas, cependant, synonyme de la fin du problème indien et on s’interrogea de

8 Pour plus d’informations sur ce département canadien, voir le site internet officiel :

http://www.aadnc-aandc.gc.ca/

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Initialement appelé le Bureau Indien (Indian Office), il sera renommé le Bureau des Affaires Indiennes, en 1947.

10 Pour de plus amples informations sur le Bureau des Affaires Indiennes américaines, lire Paul Stuart.

The Indian Office: Growth and Development of an American Institution, 1865 - 1900. Michigan :

Univeristy Microfilms International, 1978

ou encore Jackson, E. Curtis et Marcia J. Galli. A History of the Bureau of Indian Affairs and its

Activities among Indians. San Francisco, California : R and E Research Associates, Inc, 1977.

Pour le Département des Affaires Indiennes canadiennes, lire Frederick Abbott. The Administration of

Indian Affairs in Canada. Washington, DC : U.S Board of Indian Commissioners, 1915.

11 Il y aura en fait un Commissaire des Affaires Indiennes à la tête du BIA de 1832 à 1977, date à laquelle l’administration du Président J. Carter remplaça cette fonction par celle d’Assistant Secretary

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nouveau sur l’utilité et la faisabilité de civiliser les Indiens. Jusqu’ici, nous l’avons dit, près de deux cents ans d’efforts missionnaires n’avaient servi à rien et les Indiens représentaient toujours un obstacle au développement des deux pays (Dippie 10). On commençait sérieusement à douter de la réussite de cette tâche.

La deuxième question majeure au cœur des débats de l’époque, qui concernait la priorité entre conversion et civilisation, divisa l’opinion. En effet, fallait-il d’abord convertir les Indiens et de cette conversion naîtrait leur civilisation ou bien les civiliser avant de les convertir ? (Dippie 9) Ces interrogations, soulevées à l’aube d’une nouvelle ère pour les deux pays, montrent, d’une part, que la question indienne restait un problème que tous deux auraient aimé pouvoir résoudre. Elles semblaient également refléter l’essoufflement de l’entreprise de conversion qui n’avait rencontré aucun franc succès jusque-là.

Plutôt que de remettre en cause les moyens mis en œuvre par les missionnaires et les différents gouvernements pour parvenir à les civiliser, on remit en question la capacité des Indiens à devenir civilisés. Ce jugement sur leurs capacités intellectuelles était le résultat d’une constatation. Si près de deux cents ans de conversion et de civilisation n’avaient mené à rien puisqu’ils vivaient toujours à l’état sauvage, non civilisés et non intégrés à leur société dominante respective, cela signifiait tout simplement qu’ils n’étaient pas aptes à devenir civilisés, qu’ils n’avaient pas les capacités intellectuelles pour s’élever de leur condition sauvage. Ce furent les théories scientifiques et philosophiques des Lumières qui apportèrent les réponses à ces interrogations. Au XVIIIe siècle, la pensée des Lumières ainsi que le raisonnement scientifique eurent une influence certaine sur un concept nouveau : celui de la « race12 ». Il apparut que les états de « sauvage » et de « barbare » étaient en fait des étapes par lesquelles tout être humain passait pour atteindre celle du « civilisé ». Les philosophes comparèrent d’ailleurs ces étapes avec celles de la vie, du passage de l’enfant à l’adolescent puis à l’adulte, comme l’explique J. W. Powell, directeur du Bureau Américain d’Ethnologie :

Every child is born destitute of things possessed in manhood which distinguish him from the lower animals. Of all industries he is artless; of all institutions he is lawless; of all languages he is speechless; of all philosophies he is opinionless; of all reasoning he is thoughtless; but arts, institutions, languages, opinions and mentations he acquires as the years go by from childhood to man-hood. In all these respects the new-born babe is hardly the peer of the new-born beast; but as the years pass, ever and ever he exhibits his superiority in all of the

12 Thomas Gossett a étudié ce concept et son lien avec les populations indiennes dans Race: The

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great classes of activities, until the distance by which he is separated from the brute is so great that his realm of existence is in another kingdom of nature. (Powell 97)

Avec cette découverte, les philanthropes avaient la preuve que les Indiens pouvaient devenir civilisés. Les détails du passage d’une étape à une autre sont moins clairs mais l’environnement semblait y jouer un rôle prépondérant (Bieder 310).

Ainsi, comme nous l’avons expliqué auparavant, dans le premier quart du XIXe siècle, l’activité religieuse fleurit de plus belle. Elle se caractérisa par la création de nouvelles sociétés (religieuses) ayant pour objectif de convertir et de civiliser les Indiens, tels que l’American Baptist Home Missionary Society créée en 1832 et l’American Board of Commissioners for Foreign Missions créée en 1812 (Stock 376).

Cependant, au début du XIXe siècle, l’activité religieuse des missionnaires se trouva menacée une fois de plus, mais cette fois-ci, par le gouvernement américain lui-même. Les Indiens représentaient un obstacle à la croissance de la population américaine et le gouvernement proposa une solution qui rouvrit le débat de la question indienne. Basées sur les expériences et les résultats des missionnaires, deux solutions opposées émergèrent. Un groupe privilégiait la nécessité de civiliser les populations indiennes, l’autre la solution des déportations, avant d’envisager une quelconque politique de civilisation. Pour les besoins en terres de la population américaine, on choisit la deuxième solution. Les déportations furent votées sous la présidence d’Andrew Jackson. La première, adoptée en 1830, stipulait que tous les Indiens vivant à l’est du Mississippi devaient être déportés à l’Ouest dans le territoire indien (qui sera réduit et qui deviendra l’état d’Oklahoma aujourd’hui). Les terres ainsi laissées par les Indiens permettraient à la population américaine grandissante de s’installer et cet isolement leur permettrait, avec l’aide des missionnaires, de devenir civilisés progressivement, hors des pressions du gouvernement et de la population américaine. Malgré l’aspect très inhumain de ces déportations, les réformistes mirent l’accent sur le besoin d’isoler les Indiens des Blancs, qui avaient tendance à les corrompre et à avoir une influence négative sur eux. Cela interrompit bien sûr les travaux des missionnaires qui durent attendre que les Indiens soient tous déplacés avant de reprendre leur tâche. Par ailleurs, les déportations, en plus de ralentir l’activité des hommes d’Église, empêchèrent également les Indiens d’acquérir des habitudes sédentaires pendant encore un certain temps (Fritz 18). Une ségrégation forcée et voulue par le gouvernement était la clé du passage des Indiens à la civilisation. Cette politique continua aux États-Unis, jusqu’à la deuxième moitié du XIXe siècle.

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Au Canada, si le gouvernement britannique avait souhaité faire voter des lois de déportations, le projet fut vite abandonné pour cause d’objections de la part de l’opinion publique. On renforça alors les efforts de civilisation en soutenant davantage les missions et les écoles existantes (Nichols 175).

Même si cette époque se caractérise par des politiques indiennes quelque peu différentes, celles-ci soulignent toutefois, l’orientation générale envisagée par les gouvernements américain et britannique. Il fallait dans un premier temps, sédentariser ces populations et dans un deuxième, les civiliser grâce à l’aide des hommes d’Église. De ce fait, les deux pays commencèrent dès les années 1830 à établir un système de réserves pour les groupes tribaux (Dupuis 19). En 1851, le Congrès américain vota le Indian Appropriations Act qui prévoyait de placer les tribus indiennes de l’ouest des États-Unis, dans des réserves. La même année, le Parlement du Bas-Canada édicta l’Acte pour mettre à part certaines étendues de

terre pour l’usage de certaines tribus de Sauvages dans le Bas-Canada, qui entra en

vigueur en 1853. Cette loi, tout comme celle de son voisin, réservait des terres pour les peuples autochtones (Fortin et Frenette 31).

Ainsi, les gouvernements commencèrent à envisager les réserves comme des endroits permettant aux Indiens des différentes tribus de devenir civilisés progressivement, à leur rythme et surtout, loin de toute influence négative de la population blanche. La politique d’éducation se mit donc progressivement en place mais tout projet de civilisation prit fin aux États-Unis dans les années 1860 lorsque la Guerre de Sécession éclata.

3. 1867-1950 : Réorientation des politiques : l’assimilation.

Dans les années 1860, un nouvel élan pour la cause indienne naquit. En effet, après la guerre de Sécession (1861-1865), l’esclavage ayant été aboli par le XIIIe amendement à la Constitution américaine, les personnes qui avaient œuvré pour cette cause se tournèrent alors vers la cause indienne qui, dès le départ, apparaissait comme plus compliquée à gérer que celle des esclaves noirs. Lorsqu’il s’agissait de défendre les Noirs, il existait un seul problème à résoudre : celui de l’esclavage. Or, pour les Indiens, divers problèmes se présentaient, puisqu’ils étaient divisés en plusieurs tribus. Ils ne faisaient plus face à un problème homogène réparti sur le territoire américain, mais bien à un problème hétérogène.

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Par ailleurs, la fin de la guerre de Sécession coïncida avec le début d’une nouvelle ère pour les deux pays : les États-Unis retrouvèrent leur union à la fin de la guerre de Sécession et le Canada, en 1867, accéda au statut de pays en acquérant son indépendance de la Grande Bretagne, mais garda le statut de dominion. Comme les deux pays repartaient sur des bases nouvelles, le besoin d’avoir une réelle politique indienne se fit sentir, une politique plus utile et pragmatique. Les erreurs et expériences du passé poussèrent les hommes politiques des deux pays à choisir une nouvelle politique indienne, plus concrète. Dès lors que les Indiens n’étaient plus un obstacle à l’expansion territoriale des deux nations, il était temps de s’en occuper réellement en mettant en place une politique de civilisation efficace. Les Affaires Indiennes prirent donc une orientation différente : l’assimilation des Indiens aux sociétés américaine et canadienne (Dippie 82). L’objectif visé par les deux gouvernements se concentra donc sur l’agriculture et l’éducation. Comme nous venons de le préciser, les populations indiennes, à la fin du XIXe siècle, étaient confinées dans des réserves et n’étaient donc plus considérées comme des obstacles au développement démographique et géographique des deux nations. Le fait qu’ils vivaient dans des réserves permit aux deux gouvernements de ne plus se soucier du problème des terres et territoires nécessaires à leur expansion respective.

Sur les plans social et financier, les choses étaient différentes et les gouvernements durent intervenir pour résoudre le problème. Deux cent cinquante ans de politiques indiennes, de conversion, de christianisation, n’avaient mené à rien et avaient, en fait, coûté énormément d’argent aux deux pays. Le constat de la situation des Indiens d’Amérique du Nord influença clairement les deux gouvernements dans leur décision de mettre sérieusement en place une politique d’assimilation centrée sur l’agriculture et l’éducation (Nichols 206).Les Indiens dépendaient depuis trop longtemps des aides financières, des rations alimentaires des gouvernements. Leur assimilation aux sociétés américaine et canadienne sous-entendait une volonté du gouvernement de responsabiliser les Indiens, de les rendre indépendants et autonomes financièrement, par l’agriculture et l’éducation, ce qui permettrait sur le long terme de faire disparaître les réserves et les dépenses des gouvernements.

Aux États-Unis, une attention particulière fut donc portée aux Indiens avec la mise en place de la politique de Paix (Peace Policy) du Président Ulysses S. Grant. Élu en 1869, Grant fit voter la même année cette politique de pacification des populations indiennes. L’objectif de celle-ci était de renouveler les efforts entrepris jusqu’ici pour civiliser les Indiens afin de les assimiler à la société américaine. Cette

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politique, à la fois censée être humanitaire et pragmatique, allait être accomplie par l’attribution de confessions religieuses aux tribus indiennes et par l’établissement d’un système d’écoles (Carroll 4). Le rôle des Églises était essentiel à cette politique afin de maintenir des relations pacifiques avec les Indiens ; le gouvernement les voyait comme pacificateurs pour les convaincre d’arrêter de se battre contre l’armée américaine et devenir enfin civilisés. Cette politique qui commença en 1870 s’acheva naturellement en 1887 avec les premières applications de la nouvelle loi du parcellement des terres, dite Dawes Act13 ou Allotment Act.

Apprendre aux Indiens à devenir fermiers, les mènerait, selon la politique agrairienne de Thomas Jefferson, à acquérir des valeurs civiques qui leur permettraient par la suite de devenir de bons citoyens. Il paraissait également inconcevable et surtout inutile de leur apprendre à devenir fermiers s’ils ne maîtrisaient pas le concept de propriété privée (Dippie 107-109). Le 8 février 1887, le gouvernement américain fit voter le General Allotment Act, aussi appelé le Dawes

Act. Cette loi, dont l’objectif était de « prévoir le parcellement des terres indiennes

dans les différentes réserves » (Dawes Act 1887) consistait à diviser les terres indiennes en parcelles de terrains individuelles afin que les Indiens y pratiquent l’agriculture, deviennent fermiers et gagnent leur vie14

. Il convient de préciser que cette loi avait également pour objectif de réduire les terres indiennes afin de les vendre à la population blanche, qui ne cessait d’augmenter15

. Le Dawes Act fut abandonné dans les années 1920, faute de résultats probants et suite au vote de la loi

Indian Citizenship Act, également appelé le Snyder Act (1924), qui donna la

citoyenneté américaine à tous les Indiens :

Be it enacted by the Senate and House of Representatives of the United States of America in Congress assembled, That all non-citizen Indians born within the territorial limits of the United States be, and they are hereby, declared to be citizens of the United States: Provided, That the granting of such citizenship shall not in any manner impair or otherwise affect the right of any Indian to tribal or other property. (43 U.S. Statutes At Large, Ch. 233, p. 253)

13 Wilcomb E. Washburn a écrit un résumé des événements qui menèrent au vote de cette loi dans un ouvrage intitulé The Assault on Indian Tribalism: The General Allotment Law (Dawes Act) of 1887. Malabar, Florida : Robert E. Krieger Publishing Company Inc, 1975.

14 En fait, un adulte indien recevait 160 ares de terrain pour cultiver la terre, 80 ares pour élever du bétail et 40 ares pour toutes autres raisons. Par ailleurs, la loi avait prévu qu’après un certain temps, un Indien propriétaire d’une parcelle qui faisait ses preuves en matière d’agriculture, deviendrait citoyen américain.

15 Un des effets de cette loi fut la réduction des terres indiennes, de 140 millions d’acres à 51 millions. L’auteur William Hagan évoque ce sujet dans un article intitulé Private Property, the Indian’s Door to

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L’éducation, autre politique importante, permettrait aux enfants indiens d’être formés et de trouver du travail en dehors des réserves. Elle serait organisée et gérée par le gouvernement lui-même, contrairement à ce qui avait déjà été fait par le passé. Ainsi la seule politique indienne majeure aux États-Unis, de 1867 à 1950, resta l’assimilation par l’éducation. Cette grande politique basée sur l’éducation se concentrait sur l’établissement d’un système fédéral d’écoles pour Indiens, situées dans les réserves et à l’extérieur et dans lesquelles les enfants seraient éduqués en vue d’être assimilés.

Au Canada, le gouvernement introduisit la notion d’assimilation en 1876, avec An Act to amend and consolidate the laws respecting Indians ou Acte des Sauvages. Il s’agissait de « détruire les solidarités ancestrales pour amener les Amérindiens à abandonner leur identité et à obtenir le statut de citoyens canadiens » (Charland 55). Le point central de cette politique fut l’attaque du tribalisme et l’éducation des enfants afin de les préparer à devenir citoyens. Le Département des Affaires Indiennes développa les écoles pour Indiens afin d’atteindre cet objectif et de les débarrasser complètement de leur identité et culture indiennes.