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1.2 Tragédie choinièrienne ?

2.1.1 La parole est action

2.1.1.2 Univers médiatique

Il est aussi intéressant de noter que, dès les premières pages, le contexte dans lequel les personnages se rencontrent est lié à une sphère de communication. En effet, les person- nages de la pièce se rejoignent grâce à la télévision, au cours d’un bulletin de nouvelles. L’auteur place ses personnages dans une situation initiale où une transmission d’in- formations est attendue, où des gens auront le rôle de communiquer des données, des nouvelles ou des renseignements. Dans Jocelyne est en dépression, on choisit de circons- crire le type de média convoqué, ce qui fournit une situation d’échanges précise. Nous constatons qu’il s’agit d’un média télévisé. Ainsi, le bulletin d’informations se donne à voir dans cette pièce de théâtre et il amène avec lui des téléspectateurs, un second public qui s’ajoute à celui que constitue déjà le lectorat de la pièce de Choinière. L’au- teur opte pour un type d’émission de masse où il intègre manifestement des références familières pour le lecteur. C’est le cas avec le prénom « Jocelyne », sans doute lié à

21 « Dans la pièce-paysage, il n’y a pas d’exposition préalable d’une situation ; celle-ci émerge peu à

peu, comme on découvre un paysage avec tous les composants du relief notamment les thèmes, mais aussi les idées, les sentiments, les traits de caractère, les bribes d’histoire, les fragments du passé qui se font jour. [...] Les pièces-paysages tendent à échapper aux genres traditionnels » (Vinaver, 1993 : 44).

la présentatrice de météo Jocelyne Blouin22, connue des spectateurs des bulletins de Radio-Canada. Plus encore, l’auteur place ses personnages dans le contexte d’un bul- letin de nouvelles télévisé où il n’y a que le segment de la météo qui sera exploité. La source médiatique dont il s’inspire est donc concise. Cette référence à ce média dans la pièce ouvre une perspective intéressante en ce qui concerne l’analyse des échanges de parole :

[L]a thématisation des médias dans l’écriture ne saurait être seulement abs- traite : elle appelle aussi sa contrepartie scénique, la présence physique des outils de communication sur le plateau, auxquels la mise en scène accordera un espace plus ou moins grand selon les œuvres. (Guay et Ducharme, 2013 : 11)

Clairement, une telle situation initiale est liée au monde des communications et mani- festement, nous pouvons l’additionner à toutes les autres façons de mettre en relief les échanges de parole au sein de cette pièce de théâtre.

Cette référence à la télévision fait directement écho à l’intertextualité qu’il nous a déjà été donné de remarquer dans cette œuvre de Choinière. On le voit encore une fois, Jocelyne est en dépression se veut un espace où convergent plusieurs références, même plusieurs types de références. Cette intégration stimule notre lecture, d’autant plus que le lecteur québécois y voit des repères ou des noms qu’il connaît. Plus encore, cette insertion offre un effet de mise en abyme intéressant : d’un certain point de vue, le média dans un média peut ici aller jusqu’à devenir un spectacle dans un spectacle. Le texte de Choinière, lui-même destiné à la mise en scène, présente un bulletin de nouvelles à tendance populiste, où on attire l’attention du spectateur par des phrases grandioses et des effets pesants pour parler de la simple météo du jour.

ALINE

Qui sait si le ciel ne nous tombera pas sur la tête ? CHŒUR CONTEMPORAIN

Qui sait ! ALINE

Qui peut seulement nous le dire ? Temps.

PETITE FILLE À LUNETTES Jocelyne.

22Météorologue de formation, Jocelyne Blouin est engagée à Radio-Canada comme présentatrice météo

en 1978. Elle travaille notamment au Téléjournal pendant de nombreuses années, avant de prendre sa retraite en 2011. (Therrien, 2011 : en ligne)

FEMME EN BABY DOLL Jocelyne. HOMME EN CAMISOLE Jocelyne. Musique du satyre-acouphène. ALINE Plus fort ! CHŒUR CONTEMPORAIN

Jocelyne ! Jocelyne ! Jocelyne ! JOCELYNE ! (O.C. : 19)

Les effets cumulés de la musique du satyre-acouphène, des incantations et des appels presque criés en chœur spectacularisent le bulletin. « Le spectaculaire demeurera tou- jours un vecteur important de consommation médiatique. » (Sauvageau et Thibault, 2013 : 548) Le spectacle du bulletin de nouvelles que présente le personnage d’Aline et auquel le Chœur Contemporain participe revêt des aspects sensationnalistes, ce qui n’est pas sans entrer en opposition avec les données scientifiques et sobres que doit livrer un bulletin météorologique en temps normal. L’univers médiatique qu’Olivier Choinière dépeint n’est donc pas sans révéler une certaine critique.

Mais voilà : les médias ne sont plus ce qu’ils étaient. Ainsi semblent en avoir décidé les auteurs dramatiques d’aujourd’hui. Ils estiment que les symp- tômes de cette détérioration sont partout : dans la qualité vacillante de l’information et de la fiction ; dans l’omniprésence de la publicité ; dans le populisme et le sensationnalisme ; dans les effets déstabilisants des nouvelles technologies sur les habitudes de lecture et d’écoute, sur le travail culturel et sur les droits d’auteur ; dans la dématérialisation de la réalité sensible, etc. Plus rarement le dramaturge se montre-t-il optimiste à l’égard de l’évolution du monde des communications. (Guay et Ducharme, 2013 : 9)

La thématique médiatique est récurrente dans l’œuvre choinièrienne. Nous ne pouvons l’analyser en détail dans le cadre de notre étude, mais nous constatons qu’une réplique comme « [t]on chat est pris dans l’arbre ? Ton chien s’est fait écraser ? Appelle les pompiers, j’envoie les caméras » (O.C. : 15) constitue une référence qui peut faire écho à ce que le lecteur connaît de certains médias de masse, qui diffusent parfois des nouvelles à l’intérêt douteux. Dans tous les cas, il ne s’agit pas d’une image flatteuse. La situation d’énonciation proposée au départ dans cette pièce d’Olivier Choinière est ainsi empreinte de références aux médias de masse, et paraît mettre à mal leur tendance à rendre l’information sensationnelle. « Je ne veux rien, Aline, sinon que de rappeler à la reine de l’information internationale que son rôle est d’abord de nous apprendre ce qui se passe ailleurs, non de ressasser ce qui se passe ici. » (Ibid. : 46) Nous constatons que

les personnages sont engagés dans une conversation où le contexte lui-même encourage la communication, ce qui renforce l’idée selon laquelle cette pièce de théâtre met de l’avant la matière liée aux échanges de paroles. Malgré tout, gardons en tête qu’un contexte lié à la communication ne rime pas obligatoirement avec des conversations qui fonctionnent et qui se soldent efficacement.