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Unification de la gestion des sans-emploi et contraintes budgétaires :

CHAPITRE 5. LE RECIBLAGE DES JEUNES DANS LA RATIONALITE

3. LA REVOLUTION COGNITIVE DE 1995 : DES JEUNES COMME GROUPE

3.3. V ERS UNE APPREHENSION SOCIO PROFESSIONNELLE DES RISQUES

3.3.3. Unification de la gestion des sans-emploi et contraintes budgétaires :

Les services d’Emploi-Québec sont influencés par les méthodes de repérage américaines qui visent à détecter les chômeurs à risque de chômage de longue durée. Devant l’afflux de chômeurs qu’Emploi-Québec doit désormais traiter, les services de l’emploi ressentent le besoin de faire le tri :

« En 1997, près d’un million de québécois ont connu un épisode de chômage plus ou moins prolongé et près de 200 000 se sont retrouvés chômeurs suite à la perte de leur emploi. Cette même année, plus de 850 000 demandes de prestation ont été présentées à l’assurance-emploi et plus de 150 000, à la sécurité du revenu.

Cette clientèle potentielle d’Emploi-Québec, nombreuse, a un risque de chômage très variable. Ainsi en 1997, au Québec, la probabilité pour une personne en emploi de perdre son emploi était de l’ordre de 9% ; la probabilité pour un chômeur d’être chômeur de longue durée était de 15% ; la probabilité pour un prestataire de l’assurance-emploi d’épuiser ses prestations d’assurance-emploi et de devenir prestataire de la sécurité du revenu était de l’ordre de 10% alors que la probabilité pour un primo demandeur de la sécurité du revenu d’être toujours prestataire après un an était de l’ordre de 45% » [Emploi-Québec, Mémoire à la commission des partenaires du marché

du travail, 24 février 1999]24.

L’objectif du repérage des individus à risque de chômage de longue durée est affiché comme moyen de rendre les services d’Emploi-Québec plus efficaces dans un contexte de pénurie de moyens :

23

Voir en annexe, le tableau 41 (ibid., p. 68-69). 24

« L’efficacité de l’ensemble de l’approche d’intervention d’Emploi-Québec se trouve présentement compromise par le nombre trop élevé de personnes référées à Emploi-Québec, conjuguées à l’insuffisance des ressources. […] L’objectif général du dispositif de repérage proposé ici est de concourir à l’efficacité et à l’efficience des interventions d’Emploi-Québec et à l’atteinte de ses résultats en assurant que la bonne mesure et le bon service soient accordés à la bonne personne au bon moment ; et de garantir que les personnes qui demandent une aide directement à Emploi-Québec puissent avoir accès aux mesures et aux services qui correspondent à leurs besoins » (ibid., p. 2).

Le principe d’efficacité locale est renforcé puisqu’il s’agit de « renforcer l’efficacité

de l’entrevue d’évaluation et d’aide à l’emploi […] en permettant d’orienter vers ce service les personnes les plus susceptibles d’en bénéficier » (ibid.). Car,

« non seulement l’allongement de la durée du chômage se traduit-il par une augmentation des pertes économiques pour les travailleurs et pour les gouvernements, mais il se traduit également par des coûts sociaux importants que l’on peut espérer éviter par une intervention efficace auprès des personnes qui présentent un risque élevé de chômage prolongé » (ibid.)

Le dispositif de repérage n’est pas aussi individualisé qu’il peut l’être aux États-Unis ou aux Pays Bas [Voir Encadré 1].

Encadré 1. Les méthodes de profilage

Plusieurs pays dans le monde ont adopté des méthodes de repérage de chômeurs de longue durée de manière à segmenter l’action de leur service de l’emploi. Les Premiers Entretiens de l’Emploi organisés par l’ANPE avaient réuni les représentants nationaux venus relater ces différentes expériences [Observatoire de l’ANPE, 1999]. Deux méthodes ont été exposées : la méthode américaine et la méthode néerlandaise.

Le profilage à l’américaine est le plus ancien. Il est mis en œuvre dans beaucoup d’États américains dans les années 1980 mais c’est en 1994 que le Congrès américain oblige les États à se doter d’une méthode de repérage des profils en vertu du système WPRS (Worker

Profiling and Reemployement). Ce profilage vise à id entifier les bénéficiaires de l’assurance-

chômage les plus susceptibles d’épuiser leurs 26 semaines d’indemnisations. Le système permet de calculer la probabilité individuelle pour une personne réclamant ses droits de les épuiser afin de le diriger immédia tement vers les services de l’emploi. Le profilage peut être utilisé plusieurs fois au cours de la recherche d’emploi. La particularité de ce modèle réside dans le fait que les variables utilisées sont d’ordre uniquement économiques et professionnelles (niveau de scolarité et d’expérience professionnelle, taux de chômage local par exemple). En effet l’âge, la race et le sexe sont considérées comme des variables discriminatoires.

Aux Pays Bas, un système de repérage des chômeurs à risque est là aussi appliqué dans tout le pays depuis 1995. La calcul de la probabilité de rester au chômage plus d’un an est calculé là aussi à l’inscription afin de classer les individus dans 4 catégories :

? Chômeur susceptible de trouver un emploi immédiatement ; ? Chômeur devant bénéficier d’une aide ;

? Chômeur devant bénéficier d’autres types d’aides avant de pouvoir se concentrer sur la recherche d’emploi (aide médicale, aide sociale..).

Les variables utilisées sont plus étendues qu’aux États-Unis, puisqu’elles intègrent le sexe, l’âge, et l’origine ethnique.

La stratégie européenne pour l’emploi issue du sommet de Luxembourg de novembre 199725 invite à adopter une stratégie de prévention du chômage de longue durée. Cependant, elle préconise moins une méthode de profilage qu’une activation après un certain nombre de mois de chômage : 6 mois et 12 mois. Contrairement à la méthode de profilage, elle laisse donc le temps révéler les chômeurs à risque.

Le repérage définit ex ante des catégories de personnes à repérer dès lors qu’elles demandent à retirer leurs indemnisations-chômage ou la sécurité du revenu. Deux grandes catégories sont identifiées et bénéficient d’un traitement spécial :

? Les personnes présentant un risque élevé de chômage de longue durée (c’est-à-dire de plus de 12 mois) « dont la majorité est susceptible de bénéficier des mesures de développement

de l’employabilité » (ibid., p. 3). Les critères de ciblage sont fixés localement, mais il est

recommandé de s’en tenir aux critères de base qui sont la scolarité, la durée cumulative sur prestation ou en chômage et le taux de salaire. L’âge comme le sexe sont considérées comme des données de prédiction moins fiables. Cependant, s’il faut prendre l’âge comme critère, les gestionnaires font remarquer que le fait d’avoir plus de 45 ans est un fait aggravant. Par ailleurs parmi les jeunes chômeurs, les Centres Locaux d’Emploi (CLE)26 sont priés de se concentrer sur les jeunes ayant abandonné leurs études en les distinguant des chômeur s étudiants et des chômeurs diplômés.

? Les prestataires de l’assurance-emploi27

et de la sécurité du revenu dans des professions en demande. Ces derniers sont statistiquement les plus susceptibles de réintégrer le marché du travail rapidement. Du fait de la fréquence élevé de ce type de chômage, il est recommandé de les mobiliser sur des aides peu coûteuses d’aide à la recherche d’emploi. Cette politique se justifie par le fait que « les quelques évaluations disponibles pour les

pays qui ont choisi cette voie suggèrent que ce type d’intervention contribue à réduire la durée du chômage et de prestations et que l’économie réalisée au titre des prestations non versées peut être supérieure au coût de l’intervention, ceci permettant de dégager des ressources pour aider les chômeurs de longue durée, les personnes en emploi et les entreprises » (ibid.). Le choix de cette catégorie est donc directement lié à l’Entente

Canada-Québec relative au marché du travail qui fixe des cibles en termes de nombre de chômeurs indemnisés à rejoindre et d’économies sur le fonds d’assurance-chômage à réaliser28. Enfin, la prise en charge des chômeurs de courte durée s’intègre dans une politique d’affichage qui vise à augmenter la popularité des services d’emploi mis à mal par de nombreux dysfonctionnements. Les gestionnaires jugent en effet que « la

démonstration de résultats obtenus à court terme, notamment au plan des économies pour le gouvernement, peut s’avérer nécessaire pour assurer le support politique au financement des mesures actives » (ibid.).

Comment se situe les jeunes au final dans les participations aux mesures actives ? Le Tableau 4 nous en donne un aperçu [Tableau 4].

25

Cf. Conclusions du Conseil européen extraordinaire de Luxembourg sur l’emploi du 20 et 21 décembre 1997.

26

Les CLE sont le résultat de la fusion des CTQ et des services de l’emploi fédéraux réalisée à partir de 1998.

27

Nouvelle appellation de l’assurance-chômage. 28

Tableau 4. Poids des jeunes dans les nouvelles participations, Québec, du 1er avril 1999 au 30 juin 2000 (en %)

Formation de la main

d’œuvre PPE l’emploi Services d’aide à locaux salariales et projets Subventions au travail Supplément de retour autonome Soutien au travail Insertion sociale la pauvreté Fonds de lutte contre l’emploi et a Activités d’aide à

utres Total Moins de trente ans (tout type de statut) 40,7 48,8 34,5 31,3 36,2 22,8 22,3 34,0 41,3 37,2

Source : Emploi-Québec, Rapport annuel de gestion 1999-2000, Québec.

Les jeunes de moins de trente ans sont relativement bien représentés dans les activités de formation, et plus spécialement dans la formation générale au secondaire (59,5% des nouvelles participations en 1999-2000)29. Cette politique de la deuxième chance n’est pas nouvelle : la mesure de rattrapage scolaire faisait partie du tout premier train de mesures actives en 1984. Elle a toujours constitué un axe fort des politiques de transition. Mais ils sont aussi fortement orientés vers la formation professionnelle avec 42,8% de jeunes de moins de trente ans parmi les nouvelles participations à ce type de formation. Pour éviter la désincitation à la poursuite d’études dans la formation initiale, un délai de carence de deux ans est exigé entre la sortie du système de formation initiale et le démarrage des actions de formation.

Conclusion

Au final, la rationalité technique et gestionnaire tournée vers la rentabilisation des ressources investies dans les mesures rejoint les préoccupations éthiques des gouvernements qui cherchent à responsabiliser les jeunes. Dans le système gestionnaire, les outils d’évaluation des mesures sont mis au service d’une vaste analyse de la profitabilité qui évacue peu à peu toute considération éthique. Pour inciter les acteurs du système à considérer les mesures actives comme un véritable investissement, il faut les évaluer dans une logique d’investissement/retour sur investissement. Le pari des administrateurs centraux des programmes est justement de convaincre les acteurs locaux de ne pas se laisser influencer par leurs impressions, leurs émotions ou leur penchant perfectionniste qui les porte à offrir une mesure active aux individus pour lesquels les chances de réussite sont très élevées [Elster, 1992a). La place des jeunes dans ce système de représentation dépend étroitement des techniques de gestion des populations à risque. Même si l’avantage économique de la technique préventive n’est pas démontré de manière sûre, c’est à la faveur de cette nouvelle croyance ancrée dans un autre rapport au temps que les jeunes redeviennent une cible de premier plan.

Une toute autre rationalité se dégage de la distribution des mesures d’insertion française marquée par un modèle intégré qui tient à l’absence de droits passifs pour les jeunes.

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CHAPITRE 6. LE CIBLAGE DES MESURES D’INSERTION