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Les prémices d’une approche en termes de risque

CHAPITRE 5. LE RECIBLAGE DES JEUNES DANS LA RATIONALITE

3. LA REVOLUTION COGNITIVE DE 1995 : DES JEUNES COMME GROUPE

3.3. V ERS UNE APPREHENSION SOCIO PROFESSIONNELLE DES RISQUES

3.3.1. Les prémices d’une approche en termes de risque

En 1981, après la découverte qu’une forte proportion de la population à l’aid e sociale la quittait rapidement, les chargés d’étude du ministère proposent une gestion de la population selon le principe du risque :

« Par exemple, si 50% des ménages d’une catégorie quittent dans les premiers huit mois de présence à l’aide sociale alors comment expliquer que d’autres ménages de cette catégorie soient encore présents après 2 ans, 4 ans ou 6 ans de présence ? N’y a-t-il pas là un moyen d’identifier une clientèle ayant besoin d’un relèvement socio-économique ? Nous recommandons donc de se servir du comportement d’une majorité de bénéficiaires d’une catégorie donnée pour identifier la clientèle-cible à des programmes socio-économiques » [Drolet,

Blouin, op. cit., p. 174].

En 1984, la même équipe de recherche produit une étude plus poussée encore et plus documentée sur Les mouvements de clientèle à l’aide sociale avec un double objectif :

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Le lecteur trouvera en annexe la copie du tableau 5.1. (ibid., p. 133). 21

Ces groupes rassemblent ceux qui feront partie des 40% d’individus encore présents dans le système dix ans après leur première demande.

poursuivre l’étude des comportements de clientèle « de façon à [nous] permettre, notamment,

d’identifier plus facilement des clientèles-cibles pour le placement de bénéficiaires dans le cadre de politiques de création d’emplois ou de relèvement socio-économique » [Drolet,

Lanctôt, 1984, p. 5] et bâtir un modèle probabiliste de prévision de clientèle de l’aide sociale. Ils regrettent en effet que les études précédentes n’aient pas permis « de chiffrer la probabilité

pour celui qui est à l’aide sociale d’y être encore dans 6 mois ou dans un an » (ibid.). Le

virage consiste à passer d’une statistique descriptive à une statistique probabiliste. Pour cette étude, le s auteurs disposent d’une base complète d’informations sur une plus grande période (1975-1983).

Pour le ciblage des mesures, la question qui anime la recherche est notamment la possibilité de prendre la durée de présence comme critère de ciblage pour l’accès à des mesures.

La structure de la clientèle en trois catégories, « permanents », « passagers » et « saisonniers » demeure. Un résultat important, notamment pour le ciblage, est que la majorité de la clientèle est passagère : 61% des ménages ne viennent qu’une fois dont la moitié pour une durée inférieure à 13 mois. De plus « ceux qui viennent plusieurs fois (39%) se

caractérisent par des durées de présence encore plus courtes et même de plus en plus courtes selon le nombre de présence » (ibid., p. 33).

La convention d’âge évolue par rapport à l’étude de 1981 : au lieu de prendre comme référence l’âge à une date unique, les auteurs utilisent l’âge lors de la première inscription.

Sur la base de leur résultat, les auteurs envisagent deux options de ciblage : la première privilégie la durée de présence à l’aide, la seconde annonce le référentiel de la prévention :

« nous voyons deux façons d’aborder la question. D’une part, puisque 50% des aptes, par exemple, quittent d’eux-mêmes l’aide sociale, on peut s’interroger sur la pertinence de les aider à s’en sortir. Pourquoi ne pas s’attarder plutôt à ceux (sic) qui y sont encore au bout d’un certain temps ? D’autre part, puisque nous savons que certaines clientèles demeurent longtemps à l’aide sociale et qu’avec le temps elles ont de plus en plus de difficulté à réintégrer le marché du travail, on peut se demander s’il est justifié d’attendre avant d’intervenir ? En somme devons-nous attendre avant d’intervenir ou devons-nous agir immédiatement mais sur certaines clientèles seulement ? » (ibid., p. 131).

Chaque principe de ciblage comporte du point de vue de l’efficience des avantages et des inconvénients ; la première approche permet d’éviter l’effet d’aubaine consistant à faire profiter d’une mesure un individu qui serait retourné sur le marché du travail de toutes les manières, mais elle est risquée pour ceux qui restent pris dans les mailles du filet de l’aide sociale.

« La première approche a pour principal avantage de ne dépenser ni temps ni argent pour une clientèle qui s’en sort de toute façon par elle-même. Elle présente comme principal inconvénient que nous nous retrouvons après le délai fixé avec des bénéficiaires encore plus difficilement intégrables » (ibid.,

p. 132).

La seconde comporte des désavantages essentiellement financiers car le nombre de personnes ciblées est beaucoup plus élevé que dans la première solution :

La deuxième approche a pour principal avantage de retourner immédiatement le bénéficiaire sur le marché du travail avant qu’il ne perde ce qui lui reste de motivation et de force marchande de travail. Le principal désavantage se situe dans le nombre de bénéficiaires à aider : nous ne pourrions répondre à la demande et toute politique ne pourrait être que sélective (une clientèle au détriment d’une autre) » (ibid.).

Le tout est de savoir où est-ce que le politique veut placer le curseur : plus les mesures sont prises rapidement, plus l’efficacité promet d’être grande mais plus le coût total de l’opération va être élevé. Par exemple, pour « sortir » de l’aide sociale toutes les personnes aptes qui cumulaient en juin 1983 un an de présence continue, il faudrait créer 177 600 « places » (emplois, stages en entreprise ou de formation) contre 123 720 si les dispositifs prenaient en charge tous ceux qui en étaient à 2 ans de présence et simplement 6360 si on réduit le spectre aux jeunes aptes de moins de trente ans depuis au moins 5 ans à l’aide sociale (ibid., p. 133).

Tous les arguments pour une politique de prévention sont présents : l’employabilité comme capital susceptible d’usure, l’exclusion en termes de processus cumulatif. Cependant, ce qui fait de toute évidence barrière c’est le manque de connaissances sur les caractéristiques socio-professionnelles des bénéficiaires. En effet, la base de données sur la population à l’aide sociale est construite à ce moment par rapport à une logique juridique de conformité qui repose essentiellement sur des informations socio-démographiques : sont principalement retenues comme informations pertinentes celles concernant la situation familiale, le nombre d’enfants, l’âge, la situation de logement, qui sont en revanche peu éclairantes pour prédire les chances des individus sur le marché du travail.

L’alternative qui est proposée écarte de fait la possibilité de faire le tri entre les individus au moment de leur inscription à l’aide sociale, idée qui avait pourtant germé dès 1981.