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Unheimlich et dépersonnalisation

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 186-189)

G) Le sujet du désir

5) Unheimlich et dépersonnalisation

La dépersonnalisation / déréalisation apparaîtraient sous le coup d'un retour du refoulé ou d'un retour du surmonté à l'origine du sentiment d'inquiétante étrangeté.

Freud, lui-même a perçu ce rapport car il évoque la dépersonnalisation comme proche de l’inquiétante étrangeté. Il décrit ce processus particulier et nous indique clairement que la dépersonnalisation ne peut se réduire à un tableau d’entrée dans la psychose. Il précise d'ailleurs : ou bien une partie de la réalité nous apparaît comme étrangère ou bien c’est une partie de notre propre moi. Dans ce dernier cas, on parle de dépersonnalisation : sentiments d’étrangeté et dépersonnalisations font partie de la même catégorie. On peut voir en quelque sorte leurs pendants positifs dans d’autres phénomènes, ceux qu’on appelle fausse reconnaissance, déjà vus, déjà racontés, illusion dans laquelle nous voulons accepter quelque chose comme faisant partie de notre moi, de la même façon que dans les sentiments d’étrangeté nous nous efforçons d’exclure quelque chose de nous-mêmes. Une explication relevant d’un mysticisme naïf et non de la psychologie prétend utiliser ces phénomènes de déjà vu comme preuve des

existences antérieures de notre moi psychique. De la dépersonnalisation, on est conduit à la “double conscience”, phénomène au plus haut point remarquable, qu’il est plus juste d’appeler “dédoublement de personnalité”. Tout cela est encore si obscur, si peu dominé par la science que je dois m’interdire de vous exposer longuement 179.

Notons le tout cela est si obscur... qui nous indique bien cette intuition que Freud a que ce qu'il se produit dans les phénomènes d’inquiétante étrangeté et de dépersonnalisation est en rapport avec la structure même du sujet et que cela renvoie à la part la plus opaque de notre être.

Nous avons souligné la proximité entre dépersonnalisation / déréalisation et regard qui renvoie également à inquiétante étrangeté et regard : l'irréalité est ce qui se donne à voir du Réel. La vision du monde ou de soi-même ne prend sens qu'une fois investie et parlée. Se voir peut menacer l’unité du sujet, avec un risque morcelant, le renvoyant à son archaïque fait de fantasmes crus de disparition, d’anéantissement, destin funeste de Narcisse. Regarder et non voir soi-même ou le monde conduit à la dépersonnalisation et à la déréalisation. Le dépersonnalisé confond le Réel et la réalité. Le dépersonnalisé ne croit plus au tu es cela.

Freud conclut : L’inquiétante étrangeté surgit quand quelque chose s’offre à nous comme réel 180. Ce n’est pas le Réel de Lacan dont parle Freud, mais ne pourrait-on pas faire un lien avec le fait que ce qui n’est pas symbolisé nous laisse face au Réel, à l'innommable ?

La cartographie imaginaire, parfois inquiétante, du corps que nous relevons dans la parole des patients laisse entrevoir la difficulté, l’incertitude d’être -et d’avoir- un corps.

179 Sigmund Freud, Un trouble de mémoire sur l’Acropole, lettre à Romain Rolland, in Résultats, idées, problèmes, vol. 2, Paris, PUF, 1985.

En parlant de l'extime Lacan précisera : par quoi ce qui m’est le plus intime est justement ce que je suis contraint de ne pouvoir reconnaître qu’au dehors 181. C'est bien depuis cet au dehors de lui-même que le sujet dépersonnalisé se reconnaît.

Dans les expériences d’inquiétante étrangeté décrites par Freud les états d’étrange malaise que l’on éprouve face aux automates, aux statues vivantes, aux poupées animées, aux mannequins immobiles, aux reflets imprévus de notre image, sont autant de situations où la conscience de quelque chose de familier rendu autre par la distanciation fait retour, où la différence à soi, le double imaginaire, est aboli.

C'est un sujet dont le sens intime est rongée par une différence à soi, et qui à l'occasion se commente comme un mensonge fondamental, comme une fausseté de l'être. Authenticité à jamais perdue qui voue le sujet à des accrochages qui, tout identificatoires qu'ils soient, ne parviennent précisément pas à recouvrir cette béance de l'identité à soi 182. Dans la dépersonnalisation il est bien question d'une place que le sujet n'occupe plus : c'est bien là une problématique de la place du sujet qui est en question. Il est sensible que c'est ainsi que l'on peut faire valoir la fonction phallique ce qui donne une place, ou bien la fonction de l'objet – de l'objet qu'elle veut être - comme ce qui la stabilise à sa place .

Pour finir sur les deux formes d’inquiétante étrangeté (refoulement et surmontement) nous pouvons affirmer qu'elles entretiennent, dans la pensée freudienne des liens fort étroits, il précisera d'ailleurs à leur propos : il ne faut pas, par prédilection pour les solutions faciles et les exposés clairs, se refuser à reconnaître que les deux sortes d’inquiétante étrangeté que nous distinguons ici ne peuvent pas toujours se séparer dans la vie réelle. Quand on considère que les convictions primitives se rattachent profondément aux complexes infantiles et y prennent à proprement parler racines, on ne s'étonnera pas beaucoup de voir

181 Jacques Lacan, D’un Autre à l’autre, Paris, Seuil, 2006, p. 225.

182 Jacques-Alain Miller, Extimité, Cours 1985-1986, inédit, document électronique.

leurs limites se confondre.

Verfremdung seffekt : un mécanisme de défense

Dugas et Moutier notent que ce phénomène survient le plus souvent sous l'influence d'un choc émotif violent ou d'émotions accumulées 183.

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 186-189)