• Aucun résultat trouvé

Chapitre 5 : Le magmatisme de Fogo et son lien avec l’effondrement du Monte Amarelo

5.1. Caractéristiques du magmatisme de Fogo

5.1.4. Une zone de stockage profonde

La profondeur de la ou des zone(s) de stockage est un élément important de la compréhension du magmatisme de l’île de Fogo. Plusieurs études ont essayé de contraindre cette profondeur, via différentes méthodes (Tableau 5.1).

Tableau 5.1 : Synthèse des différentes profondeurs de stockage estimées pour les laves de Fogo via différentes méthodes.

Etude Eruption Méthode Profondeur (km)

Hildner et al. (2011) 1995 Barométrie-cpx 16-24

Hildner et al. (2011) 1995 Inclusions fluides 8-11

Hildner et al. (2012) 1951 Barométrie-cpx 17-22

Hildner et al. (2012) 1951 Inclusion fluide 9-13

Mata et al. (2017) 2014 Barométrie-cpx et amph 18-28

Risby 2017 pré-effondrement Barométrie-cpx et amph 13-24

Amelung et Day (2002) 1995 Interférométrie Radar > 16,5

Cette étude pré-effondrement Inclusion magmatique > 15

Cette étude Pré-effondrement Observations de terrain

114 Figure 5.3 : Diagrammes Nb/U vs. U, Ba/U et Zr/U des échantillons de l’île de Fogo. Les corrélations suggèrent un enrichissement en Nb, Ba et Zr par rapport à U. Les valeurs les plus riches en Nb/U montrent un enrichissement plus important en Nb par rapport aux Ba, Zr et U. Les covariations montrent l’implication de la fusion de veines métasomatisées composées d’amphiboles et phlogopites.

115 La première méthode utilisée est la géo-barométrie, qui repose sur l’équilibre chimique entre un minéral et le liquide dans lequel il se forme. La grande majorité des études réalisées sur Fogo s’est intéressée à l’équilibre clinopyroxène-liquide. Hildner et al. (2011) déterminent ainsi une profondeur de cristallisation des phénocristaux de l’éruption de 1995 comprise entre 16 et 24 km. Hildner et al. (2012) discutent de profondeurs similaires pour l’éruption de 1951 : entre 17 et 22 km. Concernant les éruptions plus anciennes, ils concluent à des profondeurs comprises entre 15 et 25 km pour l’échantillon daté à 123 ± 5,2 ka par Foeken et al. (2009), voire 25-30 km pour une autre lave pré- effondrement non datée. Mata et al. (2017) se sont concentrés sur l’éruption de 2014- 2015, et leurs résultats indiquent des profondeurs comprises entre 18 et 28 km. Ces auteurs se sont également intéressés aux amphiboles, dont l’étude barométrique suggère des profondeurs d’environ 20 km. Enfin, une dernière étude concerne les dykes intrudant le Monte Amarelo avant son effondrement (Risby, 2017). Les pressions déterminées sur la base de l’équilibre clinopyroxène-liquide montrent une large gamme de variations, entre 0,02 et 0,85 GPa, avec une moyenne de 0,47 ± 0,29 GPa, ce qui correspond à environ 15 ± 9 km. L’étude barométrique basée sur les amphiboles de ces mêmes dykes donne des pressions de 0,57 à 0,99 GPa, avec une moyenne de 0,75 ± 0,21 GPa (24 ± 7 km).

Hildner et al. (2011, 2012) ont également utilisé les inclusions fluides. Ils proposent que le magma stagne à 8-11 km dans la croûte océanique, juste avant l’éruption de 1995, et entre 9 et 13 km pour une courte durée de stockage avant l’ascension finale de l’éruption de 1951. Par ailleurs, Amelung et Day (2002), sur la base des images satellites (InSAR) enregistrées entre 1993 et 1998, relient les faibles déformations observées à la surface à la présence de dykes permettant au magma de remonter. Par contre, ils n’observent pas de large déformation qui aurait pu signaler un changement de volume au sein d’une éventuelle zone de stockage superficielle. Ceci implique que la(les) zone(s) de stockage doit(vent) être plus profonde(s) que 16,5 km.

L’étude des volatils présents dans les inclusions magmatiques de l’échantillon pré- effondrement FO-05 (Annexe A10) permet de calculer des pressions de piégeage des inclusions, selon le modèle de Ghiorso et Gualda (2015). Les compositions chimiques des inclusions vitreuses sont corrigées de la cristallisation aux parois (Toplis, 2005). Ce modèle indique des profondeurs minimales de 15 km, en considérants seulement les volatils piégés dans le verre.

116 Toutes ces méthodes indiquent que la(es) zone(s) de stockage se situe(nt) dans la lithosphère, car la profondeur du Moho est de 12 km au Cap Vert (Pim et al., 2008). Mais avant d’aller plus loin, il est nécessaire de discuter des limites de l’approche géo- barométrique. Cette dernière repose sur l’équilibre chimique entre un minéral et le liquide dans lequel il cristallise. Puisque l’on essaye de connaître la pression à laquelle les minéraux se sont formés dans la zone de stockage, il faut connaître la composition du liquide au sein de cette zone. Pour cela, il est fréquent de supposer que la composition de la mésostase est la composition la plus proche de ce liquide. Lorsque la roche a refroidi rapidement, la mésostase est sous la forme de verre et sa composition peut être mesurée aisément.

Néanmoins, il est assez rare que la mésostase des laves soit totalement vitreuse. Le verre interstitiel, quant à lui, ne représente pas la composition de la mésostase ; il ne peut donc pas être utilisé. Lorsqu’une roche est aphyrique, on considère que la roche totale représente la mésostase. Par contre dans le cas d’une ankaramite par exemple, la composition de la roche totale est influencée par l’accumulation de minéraux. Il faut alors recalculer, à partir de la roche totale, la composition du liquide à l’équilibre avec les pyroxènes. Il s’agit d’un simple bilan de masse, pour lequel il est nécessaire, par contre, de connaître la composition des cristaux cumulatifs et la composition modale de l’échantillon. Hammer et al. (2016) ont essayé de tester cette dernière approche. Pour cela, ils ont mesuré la composition d’un échantillon broyé duquel les mégacristaux ont été retirés, considérant qu’il s’agissait alors de la mésostase, et comparé la valeur obtenue avec le résultat de l’approche par bilan de masse. Les deux méthodes ne convergent pas et les auteurs attribuent les différences observées à une mauvaise séparation des fragments de mégacristaux. Ceci ne permet pas pour autant de conclure quant à la validité de l’approche par bilan de masse. Cette dernière nécessite par exemple la connaissance précise des proportions modales des minéraux, ainsi que de leur composition chimique. Cette dernière n’est pas homogène au sein d’une roche, il faut alors supposer que les moyennes des différentes analyses sont représentatives des minéraux cumulatifs. Les minéraux accessoires (sphènes, magnétites, titanites, apatites) peuvent jouer un rôle important pour le calcul du bilan de masse, mais il est difficile d’en connaître la composition modale exacte. Le bilan de masse n’est pas précis et ne représente pas toujours la composition du liquide présent dans la zone de stockage. Une fois la composition du liquide estimée, il faut

117 vérifier si les minéraux sont bien à l’équilibre avec le liquide. Dans le cas du pyroxène, le premier test effectué est celui décrit par Putirka et al. (2003), qui consiste à s’assurer que le Kdcpx/liq corresponde bien à la valeur d’équilibre, à savoir 0,27±0,03 (Putirka, 1999). Le second test consiste à comparer les concentrations d’un cation individuel dans le cristal et dans le liquide dans lequel le cristal s’est formé. Si ces deux tests sont probants, alors il faut choisir le baromètre adapté aux conditions initiales : teneur en eau, pression et/ou fugacité d’oxygène. Il faut toutefois noter que satisfaire l’ensemble de ces conditions ne garantit pas pour autant la justesse des résultats. Welsch et al. (2016) ont montré que, durant leur cristallisation, les pyroxènes n’incorporent pas les éléments chimiques de la même façon suivant les plans de cristallisation. Les zonations des pyroxènes sont complexes ; elles peuvent ainsi représenter le même instant de cristallisation mais afficher des compositions distinctes. L’analyse barométrique donnera alors deux pressions différentes, n’ayant aucune réalité géologique.

A titre indicatif, un échantillon aphyrique (FO-17) contenant quelques phénocristaux de pyroxènes (dont les tailles sont comprises entre 500 et 1000µm) a été analysé dans le but de tester la variabilité des pressions calculées grâce à l’équilibre clinopyroxène-liquide. Pour cela, la roche totale est considérée comme ayant la même composition que le liquide à partir duquel les cristaux se sont formés. Seules les analyses des pyroxènes montrant un équilibre avec le liquide ont été testées. Il est à noter que ces analyses correspondent majoritairement à des cœurs de cristaux, mais également à quelques bordures. Les résultats du modèle de Putirka et al. (2003) montrent une grande variabilité de pression, allant de 1,7 à 7,5 kbar (soit environ 6 à 27 km) (Figure 5.4). Ce test montre toute la limite de cette approche, qui pour une même composition de liquide montre une variabilité importante des pressions estimées.

Pour conclure, l’approche barométrique est relativement compliquée dans le cas des laves de Fogo, du fait principalement de la difficulté à obtenir la composition du liquide à partir duquel les minéraux étudiés ont précipité. Ceci explique les gammes relativement ouvertes de profondeurs auxquelles les magmas sont supposés avoir été stockés qui sont proposées dans la littérature. Le résultat indiscutable que nous retiendrons pour la suite concerne la profondeur lithosphérique du stockage principal.

118 Figure 5.4 : A-Diagramme du Mg# des cpx en fonction du Mg# du liquide (roche totale) de l’échantillon FO-17. B- Diagramme Mg# des cpx en fonction du Mg# du liquide pour les cpx à l’équilibre avec le liquide. C-Diagramme comparant les concentrations d’un cation individuel dans le cristal et dans le liquide dans lequel le cristal s’est formé. D-Résultats du calcule de thermo-barométrie de l’échantillon FO-17 d’après Putirka et al. (2003). Ces résultats montrent une variation importante des profondeurs estimées par ce modèle

119