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Chapitre 5 : Le magmatisme de Fogo et son lien avec l’effondrement du Monte Amarelo

5.2. Evolution temporelle du magmatisme de Fogo

5.2.2. Implication des variations temporelles sur l’histoire de l’île de Fogo

Dans le but de comprendre ces variations et leurs éventuels liens avec l’effondrement du Monte Amarelo, il est important de mieux comprendre la source du volcanisme et son évolution. Pour cela, différentes hypothèses concernant les composants de la source sont testées : le pôle EM-1 est soit localisé dans l’asthénosphère, soit au sein du manteau supérieur.

5.2.2.1 Une localisation asthénosphérique du pôle EM-1

Dans le cas où le pôle EM-1 est situé au sein de l’asthénosphère, le composant DMM ne peut être présent dans la source des laves de Fogo, car l’hypothèse de Millet et al. (2008) implique une chronologie des mélanges. Dans ce modèle, la source des basaltes des îles du Sud de l’archipel comprend de la croûte océanique recyclée (ROC) et du matériel en provenance du manteau inférieur (LM), en proportions constantes (58-42%), qui sont mélangés avec du matériel de type EM-I, en proportions variables (de 60 à 30% pour les laves de l’île de Fogo).

Les variations temporelles que nous observons pour les laves pré-effondrement, à savoir une diminution de la proportion du composant EM-I (diminution de moitié) en 100 ka, suggèrent une diminution du taux de fusion partielle qui aurait pour effet de favoriser les composants les plus fusibles, ROC et LM, au détriment de EM-I. Pour les laves

129 historiques, au contraire, les variations enregistrées suggèrent une augmentation extrêmement rapide du taux de fusion, en quelques dizaines d’années, diluant la proportion de l’ensemble ROC-LM. De telles variations de taux de fusion partielle sur une échelle de temps aussi courte semblent peu raisonnables.

Par ailleurs, les variations temporelles montrent un changement de dynamique après l’effondrement. Il est difficile d’envisager que l’effondrement superficiel du Monte Amarelo puisse affecter le taux de fusion partielle d’une source asthénosphérique. Effectivement, plusieurs études de modélisation numérique montrent qu’un effondrement de flanc ne peut pas avoir d’effet sur de telles profondeurs (Manconi et al., 2009 ; Maccaferri et al., 2017).

5.2.2.2 Une localisation lithosphérique du pôle EM-1

Comme l’illustre la Figure 5.5, la présence du composant DMM au sein de la source de Fogo montre peu d’effet sur la proportion de mélange du pôle EM-1 (25 à 55% avec et 30 à 60% sans). Dans le cas où le composant EM-1 est situé dans la lithosphère, la présence de DMM n’affecte pas les interprétations suivantes. Dans ce modèle, le pôle EM-I est présent au sein de la lithosphère océanique capverdienne ; il est incorporé aux magmas de composition ROC-LM par assimilation. Les variations isotopiques mesurées dans les laves pré-effondrement montrent que le degré d’assimilation diminue continuellement jusqu’à l’effondrement. Or, la teneur en MgO diminue également durant cette période, reflétant l’augmentation de la cristallisation fractionnée. La proportion de matériel de type EM-I assimilé est donc anti-corrélée aux concentrations en MgO, ce qui implique que l’assimilation est antérieure à la cristallisation (l’assimilation ne se produit pas durant la cristallisation fractionnée, dans la zone de stockage, par AFC). Le pôle EM-I doit donc être incorporé avant la différenciation.

Les variations temporelles pré-effondrement traduisent, soit une influence plus marquée de l’implication du panache capverdien, soit une diminution progressive de la participation du pôle EM-I. Ces deux hypothèses sont testées.

130 5.2.2.2.1. Variations de la proportion de mélange dues à l’influence du panache

Dans ce premier cas, les variations observées reflètent la variation du taux de fusion partielle du matériel constituant le panache, qui augmente. Un tel modèle est difficile à contraindre. En effet, les échantillons n’étant pas strictement co-génétiques (compositions isotopiques variables), on ne peut pas remonter au taux de fusion partielle à partir des teneurs élémentaires. Toutefois, nous avons vu précédemment que le taux de cristallisation fractionnée augmente vraisemblablement au cours de la période pré- effondrement en étant accompagné de la mise en place d’ignimbrite peu de temps avant l’effondrement. Ceci pourrait traduire la présence de magma en plus grande quantité, qui entraînerait la formation, avec le temps, de zones de stockage plus superficielles. Une telle hypothèse est en accord avec les conclusions de Clague et Dixon (2000) qui ont proposé qu’un réservoir superficiel se forme si et seulement si le taux de magma ascendant augmente. La mise en place d’une (ou de plusieurs) zone(s) de stockage superficielle(s) a pour conséquence de fragiliser les édifices volcaniques. Ce pourrait être un élément déclencheur de l’effondrement du Monte Amarelo. Toutefois, aucune étude barométrique n’a conclu quant à la présence de zone(s) de stockage superficielle(s).

Lénat et Gibert-Malengreau (2001) ont montré que la présence de complexes intrusifs sur l’île de la Réunion témoigne de la présence de réservoirs superficiels. De tels complexes ont également été décrits aux îles Canaries (Stillman et al., 1975 ; Staudigel, 1984). Comme nous l’avons vu précédemment, un complexe de syénite à néphéline est présent sous l’ancien Monte Amarelo, à une altitude actuellement égale à 1850 m. D’après la reconstruction de Pérez-Torrado et al. (2017), ce complexe était situé initialement à environ 1500-2000 m sous le Monte Amarelo.

Les données isotopiques des syénites (Figure 4.12) montrent une forte influence du composant «panache» par rapport au pôle EM-I. La mise en place de ce complexe, bien que non datée, précède de peu l’effondrement. Effectivement, ces roches pré- effondrement culminent, sous forme de dyke, à des altitudes élevées, à seulement quelques centaines de mètres sous l’ancien Monte Amarelo. Bien que ce complexe de syénite affleure sous la forme d’un système de dykes contigus et non d’une chambre magmatique, son enracinement doit être superficiel et non situé au sein de la lithosphère.

131 Une telle mise en place superficielle a également dû générer une déformation de la zone centrale et une fragilisation de l’édifice volcanique.

Si des zones de stockage sont mise en place à des niveaux superficiels, les magmas subissant la cristallisation fractionnée (avec un taux de cristallisation de plus en plus grand au fur et à mesure du temps) peuvent aussi potentiellement assimiler la croûte océanique capverdienne qui compose l’encaissant. Cette dernière est d’âge Jurassique et sa composition isotopique est proche de la composition associée au mélange entre le matériel provenant du panache du Cap Vert et le composant EM-I, que l’on considère ou non la participation de matériel semblable en composition à DMM (Gerlach et al., 1988 ; Millet et

al., 2008). L’assimilation en faible proportion de croûte océanique locale dans la source des

magmas de Fogo est donc difficilement quantifiable.

Une autre conséquence possible de l’augmentation pré-effondrement du taux de fusion partielle du panache est l’augmentation du taux de production de laves en surface (via les calculs de taux d’accumulation). Toutefois, il est difficile d’évaluer ce dernier point à partir des datations que nous avons pu réaliser. Si effectivement le taux d’éruption augmente progressivement, le scénario suivant peut être proposée : les variations de composition sont plus rapides dans les quelques dizaines de milliers d’années antérieures à l’effondrement et le taux de cristallisation fractionnée doit également augmenter plus rapidement, de l’ordre de 20% sur la même période (Figure 5.8). Mais, ce dernier point est en contradiction avec l’estimation du taux de cristallisation fractionnée (voir section 1.2).

Les données isotopiques obtenues sur les laves post-effondrement traduisent une nouvelle évolution des proportions relatives du matériel provenant du panache et du composant EM-I dans la source des laves de Fogo, caractérisée par la diminution de la proportion de pôle «panache». On peut s’interroger sur le lien entre cette dernière évolution et l’effondrement : pourquoi le taux de fusion partielle diminue après l’effondrement ? L’effondrement peut avoir pour effet, par contre, de déstabiliser la(es) zone(s) de stockage superficielle(s) (Amelung et Day, 2002) et ainsi diminuer le taux de cristallisation fractionnée, ce qui est en accord avec l’augmentation post-effondrement des concentrations en MgO (Figure 5.7). La zone de stockage superficielle ne se reforme qu’après un certain délai qui dépend du taux d’approvisionnement du magma.

132 Figure 5.8 : Variation de différents éléments, ou rapport isotopiques, en fonction du temps (en ka). Seules les laves du secteur Ouest (via-ferrata) sont représentées. Elles permettnt de contraindre l’évolution pré-effondrement (pointillées noirs). Le taux de production magmatique est considéré comme augmentant linéairement avant l’effondrement, contrairement à la figure 5.6. Ces résultats montrent une: augmentation rapide du taux de cristallisation fractionnée et de l’influence du panache dans le mélange des sources des laves de Fogo.

133 5.2.2.2.2. Influence du pôle EM-1 sur les proportions de mélange

Dans le second cas, les variations isotopiques pré-effondrement ne traduiraient pas la proportion croissante de matériel en provenance du panache du Cap Vert, mais plutôt la diminution dans le temps de l’incorporation de matériel de type EM-I dans la source des laves. Nous avons vu précédemment que le composant EM-I n’est pas incorporé lors de processus d’assimilation – cristallisation fractionnée (AFC), mais antérieurement à la différenciation, lors de la remontée des magmas depuis leur source asthénosphérique jusqu’à leur zone de stockage lithosphérique. L’incorporation de moins en moins importante de ce matériel durant l’ascension du magma résulte possiblement de l’évolution des chemins empruntés par ce dernier. Lors des « premières » remontées, celui-ci parcourt des conduits étroits et nombreux, qui favorisent l’incorporation du composant EM-I, présent dans la lithosphère océanique capverdienne à l’aplomb des îles du Sud (cf. section 5.1.5). Au fur et à mesure du temps, ces conduits s’élargissent, ce qui réduit le temps d’interaction avec l’encaissant, et entraîne la diminution progressive de l’incorporation de ce dernier. Le magma remonte alors plus « facilement », ce qui se traduit par une augmentation du taux d’approvisionnement en « surface ». Ce mécanisme peut alors entraîner la formation récurrente de réservoir(s) superficiel(s), avec toutes les conséquences précédemment décrites.

Après l’effondrement, les concentrations en éléments incompatibles chutent rapidement, en quelques milliers d’années, ce qui laisse supposer que la zone de stockage superficielle est affectée par l’effondrement. Les rapports isotopiques du plomb semblent rester constants pendant quelques dizaines de milliers d’années, avant que leurs valeurs diminuent (valeurs moins radiogéniques), ce qui pourrait traduire l’augmentation de la proportion du composant EM-I dans la source des laves les plus récentes. Maccaferri et al. (2017) ont montré, à partir de modèles numériques, que l’effondrement du Monte Amarelo pourrait avoir perturbé le système de conduit jusqu'à 10 km de profondeur. Manconi et al. (2009), par contre, suggèrent qu’il existe une relation entre le volume de roche effondré et l‘ampleur de la décompression au sein de la zone de stockage. Ces auteurs montrent également que plus la zone de stockage est profonde, moins la décompression est importante. Dans le cas de Fogo, la décompression serait comprise

134 entre 0,6 et 0,8 MPa pour une chambre magmatique située entre 20 et 10 km de profondeur. Cette faible décompression est susceptible d’entraîner un changement de condition dans la zone de stockage profonde, et d’engendrer une faible augmentation des teneurs en silice, aluminium et alcalins. De même, l’augmentation des concentrations en fer et calcium peut être expliquée.

Aucune de ces études (Manconi et al., 2009 ; Maccaferri et al., 2017) ne s’intéresse au changement de pression au sein de la lithosphère. Néanmoins, un calcul basé sur le principe d’équilibre isostatique permet d’estimer l’ordre de grandeur des changements de pression au sein de la lithosphère océanique. Deux modèles ont été testés dans ce but (Figure 5.9). Le premier estime la surface de compensation au niveau du Moho, à 12 km de profondeur (Pim et al., 2008) ; le second envisage un niveau plus profond, localisé à la transition asthénosphère-lithosphère, soit environ 90 km de profondeur à l’aplomb de l’archipel du Cap Vert (Lodge et Helffrich, 2006). Pour ces deux modèles, on considère que la densité de la croûte océanique est égale à 2,8, celle du manteau lithosphérique à 3,3 et celle du manteau asthénosphérique à 3,25. Par ailleurs, l’effondrement correspond à la disparition d’une épaisseur minimale de 1,5 km. Dans le premier cas, les résultats montrent que le Moho pouvait être localisé plus profondément avant l’effondrement (d’environ 8 km). Dans le second cas, la limite manteau lithosphérique/manteau asthénosphérique devait se situer à une profondeur supérieure (de l’ordre de 1,2 km). Ce modèle simple montre que l’effondrement du Monte Amarelo peut engendrer de faibles changements de pression à des profondeurs lithosphériques. Ceux-ci peuvent alors entraîner des perturbations dans le système de conduit permettant au magma de se propager vers la surface, avec pour conséquences la fermeture de certains conduits et la formation de nouveaux, entraînant une augmentation de l’incorporation du composant de type EM-I.

Les temps caractéristiques d’un rebond isostatique post-effondrement sont mal contraints, d’autant plus pour des décompressions massives et rapides. Cependant, les données isotopiques de l’île de Fogo laissent penser à un certain rééquilibrage lent en profondeur, de plusieurs dizaines de milliers d’années, alors que la disparition de la zone de stockage superficielle est plus rapide (quelques milliers d’années).

135 Figure 5.9 : Schéma représentatif du calcul de compensation isostatique liée à l’effondrement de flanc du Monte Amarelo. Deux hypothèse sont testées : la surface de compensation se situe au niveau du Moho (cas 1) ou au niveau de la transition lithosphère/asthénosphère (cas 2). Ce modèle simple montre l’influence de l’effondrement en profondeur.

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Conclusion

L’île de Fogo résulte d’un magmatisme complexe, qui traduit l’interaction importante entre les magmas primitifs et la lithosphère océanique capverdienne. La cristallisation de pyroxènes et d’olivines a une forte influence sur la composition des roches, notamment des éléments majeurs et traces, via la cristallisation fractionnée et l’accumulation d’antécristaux. Les études géo-barométriques suggèrent que les processus de cristallisation ont lieu à des profondeurs lithosphériques, à environ 15-20 km, tandis que la présence d’ignimbrites et de complexes intrusifs proches du sommet suggèrent la formation récurrente de réservoirs superficiels. L’évolution temporelle du magmatisme est subtile. Dans un premier temps, l’influence du panache mantellique s’intensifie et entraîne la formation de zone(s) de stockage superficielle(s). Au fur et à mesure de l’ascension des magmas, les conduits profonds localisés à la base de la lithosphère s’élargissent et permettent une remontée de plus en plus rapide de ces derniers. La mise en place de zones de stockage superficiel contribue à déstabiliser l’édifice qui finit par s’effondrer. Près de 150 km3 de roches sont alors entraînés dans la mer, provoquant un tsunami de grande ampleur (Paris et al., 2011 ; Ramalho. et al., 2015). La dépression résultant de l’effondrement induit la disparition, entière ou partielle, de la zone de stockage superficiel en quelques milliers d’années. La portion la plus profonde du système magmatique (lithosphérique) est également affectée par l’effondrement, mais dans un délai plus important de plusieurs dizaines de milliers d’années. Cette évolution magmatique particulière montre pour la première fois l’effet du magmatisme sur l’instabilité croissante de l’édifice, ainsi que le rôle important de l’effondrement sur le magmatisme post- effondrement.

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