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Chapitre 5 : Le magmatisme de Fogo et son lien avec l’effondrement du Monte Amarelo

5.1. Caractéristiques du magmatisme de Fogo

5.1.5. Identification des composants de la source magmatique de Fogo

L’archipel du Cap Vert forme globalement deux branches, les îles du Nord et les îles du Sud, qui sont distinctes en termes de compositions isotopiques. Les laves échantillonnées dans les îles du Nord se positionnent à droite de la droite de référence de l’hémisphère Nord (NHRL) dans le diagramme 208Pb/204Pb vs. 206Pb/204Pb (Figure 4.12), alors

que les laves du Sud sont à gauche (Gerlach et al., 1988 ; Doucelance et al., 2003). Cette dichotomie a d’abord été interprétée comme résultant d’un mélange entre un pôle commun à tous les basaltes du Cap Vert (et lié directement au panache mantellique à son origine) et deux autres pôles, propres à chaque branche de l’archipel. Le pôle commun (1) serait lui-même issu du mélange entre du matériel provenant du manteau inférieur (LM ; ce qui expliquerait les compositions isotopiques d’hélium « primitives » mesurées dans certains basaltes) et de la croûte océanique recyclé (ROC ; à l’origine des compositions isotopiques de plomb radiogéniques). Les modèles d’évolution de la croûte océanique impliquent un âge de recyclage de cette dernière d’environ 1,6 Ga et une proportion de mélange ROC-LM de l’ordre de 58 % - 42 % (Doucelance et al., 2003).

Les îles du Nord sont caractérisées par la présence d’un composant (2) ayant la signature isotopique de manteau source des MORB (DMM). Millet et al. (2008) suggèrent que ce matériel corresponde à la lithosphère océanique capverdienne. Cette hypothèse repose principalement sur les valeurs du rapport Nb/U qui ont été déterminées pour les laves de l’île de São Nicolau et qui sont bien supérieures à la gamme définie par Hofmann

et al. (1986) pour les MORB et les OIB. Le fractionnement chimique entre le Nb et l’U est

généralement interprété comme reflétant la présence d’amphibole et de phlogopite, deux minéraux riches en Nb, Ba et Zr (LaTourrette et al., 1995), dans la source des échantillons. Amphibole et phlogopite peuvent être associées, soit à de la lithosphère océanique recyclée par subduction et ré-échantillonnée par le panache du Cap Vert, soit à la lithosphère capverdienne elle-même. Dans le premier cas, une corrélation entre les rapports isotopiques de Sr-Nd-Pb et le rapport Nb/U est attendue, ce qui n’est pas le cas. Par conséquent, Millet et al. (2008) concluent que le pôle de mélange dont la signature isotopique est semblable à DMM correspond à la lithosphère locale. Ils montrent également que certains basaltes de São Nicolau sont sujets, dans une moindre mesure, à

120 l’assimilation de carbonatites et de MORB d’âge Jurassique sur lesquels se sont bâties les îles du Cap Vert.

Les basaltes des îles du Sud ont d’abord été interprétés comme résultant du mélange entre le matériel du panache capverdien et un composant semblable en signature au pôle EM-I (3) (Gerlach et al., 1988 ; Davies et al., 1989 ; Christensen et al., 2001 ; Doucelance et al., 2003 ; Escrig et al., 2005). Ce dernier est classiquement associé au recyclage, soit de sédiments d’origine terrigène et pélagique (Chauvel et al., 1992), soit de la lithosphère sous-continentale (McKenzie et O’Nions, 1983). Les rapports Ba/La élevés et La/Nb faibles mesurés dans les laves du Cap Vert, ainsi que la similitude des compositions isotopiques des échantillons des îles du Sud et de celles des lamproïtes de Smoky Butte (Fraser et al., 1985) favorisent la seconde hypothèse (Doucelance et al., 2003 ; Escrig et al., 2005). La localisation du composant du type EM-I est plus incertaine, et a fait l’objet de plus de débats dans la littérature. Millet et al. (2008) proposent une localisation dans la lithosphère capverdienne, alors que Barker et al. (2010) proposent une localisation dans l’asthénosphère. Millet et al. (2008) se basent notamment sur les éruptions récentes de l’île de Fogo, qui, pour les historiques, montrent une augmentation importante du composant EM-I dans un laps de temps court (quelques dizaines d’années) : les auteurs doutent que cette augmentation puisse traduire une variation rapide du taux de fusion des composants du plume. Au contraire, ils préfèrent invoquer une incorporation de ce composant lithosphérique par assimilation, dont les temps caractéristiques sont de l’ordre de la semaine à l’année (Edwards et Russell, 1998). Barker et al. (2010) proposent que la source du composant EM-I soit localisée plus en profondeur, du fait notamment de l’absence de corrélation entre éléments majeurs et compositions isotopiques dans les basaltes de l’île de Santiago, ce qui impliquerait une lithosphère similaire entre le Nord et le Sud. Toutefois, l’existence de co-variations entre traceurs de sources (les rapports isotopiques de Sr-Nd-Pb-He) et traceurs de processus (majeurs, traces et rapports de traces) a été clairement établie à l’échelle de l’archipel (Millet et al., 2008) ou de l’île (Fogo, voir Escrig et al., 2005), ce qui suggère que les mélanges entre les différents composants décrits ci-dessus correspondent à des mélanges de liquides syn- et/ou post-différenciation. Barker et al. (2010) appuient également leurs conclusions sur le rapport Zr/Y, interprété comme un proxy de la profondeur de fusion. L’absence de corrélation entre ce rapport et la composition isotopique en Pb semble être en accord avec une source profonde.

121 Cependant, dans le cadre de notre étude, nous avons montré que ce rapport diminue lorsque MgO augmente, suggérant qu’il est plus vraisemblablement contrôlé par la différenciation, et non par la profondeur de fusion. Enfin, Lodge et Helffrich (2006) reportent une différence d’anisotropie sismique entre le Nord et le Sud de l’archipel du Cap Vert, suggérant des différences de composition notables au sein de la lithosphère. En conclusion, nous proposons que le pôle EM-I reflète l’incorporation dans le manteau de fragments de lithosphère sous-continentale, délaminés lors de l’ouverture de l’océan Atlantique et maintenant piégés dans la lithosphère capverdienne (Doucelance et al., 2003 ; Escrig et al., 2005 ; Millet et al., 2008), plutôt qu’un composant présent dans la source du panache mantellique du Cap Vert, dont la signature « HIMU » est présente au Nord et au Sud. Cette hypothèse est également en accord avec les observations faites sur les xénolites de lherzolite échantillonnés sur l’île de Sal, qui montrent des réactions sur leurs bordures interprétées comme une ancienne kimberlite métasomatisée présente dans des fragments de lithosphère sous continentale (Bonadiman et al., 2005, 2006). A noter, toutefois, que ces xénolites proviennent d’une île du Nord de l’archipel.

Millet et al. (2008) ont également proposé qu’un composant de type DMM soit présent, en proportions faibles et constantes, dans la source des îles du Sud. Ce nouveau point implique la chronologie suivante : [1] mélange entre la croûte océanique recyclée (ROC), d’âge Protérozoïque et le matériel en provenance du manteau inférieur (LM), qui constitue la source du panache (1) ; [2] mélange entre le matériel du panache (1) et le composant de type DMM (2), avec une proportion du pôle DMM variable pour les îles du Nord, et sub-constante pour les îles du Sud ; et [3] mélange entre (1-2) et le composant de type EM-I (3) pour les îles du Sud.

Ce modèle est aussi mis en doute par Barker et al. (2010), qui défendent la variation temporelle de la composition isotopique du matériel du panache capverdien. Plus exactement, ces auteurs proposent que la composition de la croûte océanique recyclée présente au sein du panache évolue au cours du temps, tout en considérant un âge de recyclage constant de 1 Ga. Ils expliquent ainsi les variations observées dans les échantillons de Santiago et de São Antão, qui couvrent 4,6 Ma d’activité magmatique. Il faut toutefois noter que leur modèle implique une variation de composition concomitante du pôle DMM afin de reproduire les compositions isotopiques mesurées. Ce dernier point nous incite de nouveau à favoriser le modèle proposé par Millet et al. (2008).

122 La Figure 5.5 permet de comparer les données isotopiques acquises sur les laves de Fogo au cours de cette étude avec les données de la littérature concernant les autres îles de l’archipel du Cap Vert et le modèle de mélanges successifs proposé par Millet et al. (2008). La composition de la croûte océanique recyclée (ROC) est calculée avec un modèle à deux stades (Chauvel et al., 1992) : μ1=(238U/204Pb)1=8,1, μ2=20,5, κ1=(232Th/238U)1=3,8 et

κ2=3,075. La composition isotopique du manteau inférieur (LM) est celle proposée par Doucelance et al. (2003), celle du pôle appauvri (DMM) est estimée à partir des MORB Atlantique situés entre les latitudes 10 et 20°N (Dosso et al., 1993), et celle de la lithosphère sous-continentale (Zartman et Haines, 1988) est utilisée pour le pôle EM-I. La proportion de mélange entre ROC et LM est égale à 58:42 (Doucelance et al., 2003) ; elle permet de modéliser le pôle « plume » auquel sont ajoutés (cas A), ou non (cas B), 10% de matériel de type DMM. Enfin, le point obtenu est mélangé avec du matériel de type EM-I. Nos données sont reproductibles, que l’on considère ou non l’ajout de matériel appauvri (DMM) dans la source des laves. Les proportions du pôle EM-I ne sont que très légèrement affectées par la participation du pôle DMM : elles sont respectivement comprises entre 25 et 55% dans le premier cas (A), et entre 30 et 60 dans le second (B). Nos données, même si elles sont en accord avec le modèle défendu par Millet et al. (2008) ne permettent donc pas de conclure quant à la présence d’un composant de type DMM dans la source des îles du Sud.

La cohérence entre nos données isotopiques et le modèle (cas B) de Millet et al. (2008) est un argument supplémentaire en faveur de la localisation à faible profondeur (lithosphérique) du composant de type EM-I. Le mélange avec ce dernier étant postérieur au mélange avec le pôle DMM, qui correspond à la lithosphère capverdienne, renforce l’idée que le composant de type EM-I constitue une hétérogénéité locale de cette dernière à l’aplomb des îles du Sud.