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Introduction de la Partie 1

Chapitre 1. Le Brésil à la croisée des chemins du développement

1.3. Une reprimarisation du tissu productif assumée ?

Malgré l’arrivée au pouvoir d’une « vague rose » en Amérique latine, le capitalisme continue d’opérer un bouleversement des structures socio-économiques à travers notamment un agro-business transnational (Robinson, 2008). Certains gouvernements latino-américains avaient promis une rupture avec un modèle capitaliste d’exploitation à large échelle des ressources naturelles de l’Amérique latine, la continuation capitaliste de l’exploitation d’un continent ayant déjà souffert du « pillage » de ses ressources (Galeano, 2001). Mais la hausse des prix des matières premières a été l’occasion d’acquérir des devises qu’il est difficile de refuser en situation de contrainte externe encore forte.

1.3.1. Reprimarisation, désindustrialisation et « effet Chine »

Le Brésil profite de sa généreuse dotation en ressources naturelles pour s’affirmer dans l’économie mondiale comme un exportateur majeur de commodities79 (minerais, soja, canne à sucre…). Après des décennies de politiques actives de protection de l’industrie nationale visant à promouvoir une industrialisation par substitution des importations, le Brésil se détournerait de nouveau de l’industrie, conduisant à une « reprimarisation » de son économie et à une « désindustrialisation précoce ». De manière générale, les exportations industrielles des économies émergentes latino-américaines ont un contenu technologique relativement faible (Salama, 2012). Le Brésil, qui est le pays d’Amérique latine qui est allé le plus loin dans l’industrialisation et qui dispose aujourd’hui de l’industrie la plus développée, exporte de moins en moins de produits de haute et moyenne technologie depuis les années 2000. Dans les années 1970, les IDE étaient dirigés essentiellement vers le secteur manufacturier. Dans les années 1990, avec les privatisations massives, c’est le secteur des services qui a été privilégié. Puis dans les années 2000, les firmes multinationales investissent de plus en plus dans les ressources naturelles. Entre 2000 et 2009, la part du Brésil dans les exportations mondiales est passée de 0,88% à 1,26%, mais cette hausse de la participation au commerce mondial est due entièrement aux commodities, dont les exportations brésiliennes sont passées de 2,77% à 4,66% des exportations mondiales entre 2000 et 2009 (De Negri et Alvarenga, 2011). La participation de l’industrie de transformation dans le PIB est passée de 25% environ dans les années 1980 à 13% en 2012 (Salama, 2013). Et l’on voit que cette tendance se prolonge dans les dernières années pour lesquelles on dispose de chiffres : les taux de croissance de l’activité du secteur agricole sont presque toujours supérieurs à ceux de l’industrie (Tableau 1.3.1.1).

79 Faute d’exact équivalent en français, nous gardons le terme commodity en anglais. Il désigne les matières premières et produits de base qui sont relativement standardisés, incorporent peu de valeur ajoutée, et dont le prix est fixé à l’échelle mondiale en raison du nombre significatif d’offreurs. Nous suivons ainsi l’usage en vigueur au Brésil, où le terme anglais est utilisé sans traduction.

Tableau 1.3.1.1 : Taux de croissance du PIB accumulé au long de l’année par rapport à la même période de l’année précédente. Janvier à Septembre 2010-2014.

Secteur

d’activité 2010 2011 2012 2013 2014

Agricole 7,3 2,8 -0,9 8,6 0,9

Industrie 12,5 2,3 -1,0 1,5 -1,4

Services 5,7 3,2 1,6 2,2 0,9

PIB aux prix

du marché 8,3 3,2 0,8 2,6 0,2 Consommation des familles 6,8 4,8 2,9 2,6 1,2 Consommation des administrations publiques 4,8 2,2 2,9 1,9 2,0 FBCF 25,4 5,7 -3,9 5,6 -7,4 Exportations 10,9 4,8 -0,1 1,4 2,8 Importations 39,7 11,0 0,1 9,6 -0,2

Source : Données des Comptes Nationaux Trimestriels (IBGE). Elaboration CEPLAN80.

On voit sur la Figure 1.3.1.1 que ce sont les minerais et métaux et les produits alimentaires qui pèsent le plus dans cette tendance à la reprimarisation, avec une part des combustibles probablement amenée à croître avec l’exploitation du pétrole du « pre-sal ». Avec une production qui dépasse les 3 millions de barils par jour, le Brésil fait désormais partie des premiers producteurs de pétrole au monde, le premier du continent latino-américain (devant le Mexique et le Venezuela)81.

80http://www.ceplanconsult.com.br/download/analise/Taxa_de_crescimento_do_PIB_acumulada_ao_longo_do_a no.jpg

Figure 1.3.1.1 : Structure des exportations du Brésil par groupe de produits

Source : Élaboration personnelle à partir de données du Manuel de Statistiques de la CNUCED

2014.

Si l’on entre dans le détail des produits, on voit que le soja (avec ses dérivés) occupe désormais la première place des produits exportés en valeur (Tableau 1.3.1.2). La frontière agricole du soja ne cesse en effet de se déplacer, que ce soit, classiquement, dans la région Centre-Ouest, ou plus récemment dans le Nordeste (Maranhão, Piauí, Ouest de l’État de Bahia).

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100% 1995 2005 2013 Articles manufacturés

Minerais, métaux, pierres précieuses et or (non monétaire)

Combustibles

Matières premières agricoles

Tableau 1.3.1.2 : Principaux produits exportés (en valeur), Brésil, 2014.

Type de produit Part en %

1. Soja et ses dérivés 14

2. Minerais 12,6 3. Pétrole et combustibles 11,2 4. Matériel de transport 9,1 5. Viandes 7,5 6. Produits chimiques 6,7 7. Produits de la métallurgie 6,4 8. Sucre et éthanol 4,6 9. Machines et équipements 3,9 10. Papier et cellulose 3,2 11. Café 2,9 12. Chaussures et cuir 1,9 13. Equipements électriques 1,8 14. Métaux et pierres précieuses 1,3

15. Textiles 1,1

Source : Élaboration personnelle à partir de données du Ministério do Desenvolvimento, Indústria e Comércio Exterior82

On voit bien la place du soja et des minerais dans les exportations brésiliennes dans la représentation proposée sur le site de l’Atlas de la complexité économique83 (Figure 1.3.1.2). Si l’on examine l’évolution de la structure des exportations depuis les années 1990, on voit aussi la montée en force des produits miniers à partir du début des années 2000 (Figure 1.3.1.3).

82www.desenvolvimento.gov.br

83 The Atlas of Economic Complexity. Center for International Development at Harvard University http://atlas.cid.harvard.edu/

Figure 1.3.1.2 : Les exportations du Brésil en 2013

Source : The Atlas of Economic complexity (Center for International Development at Harvard University).

Figure 1.3.1.3 : Evolution de la part des types de produits dans les exportations brésiliennes entre 1995 et 2013

Sur le plus long terme, l’évolution de la spécialisation internationale du Brésil est encore plus nette à travers ses avantages comparatifs révélés (Figure 1.3.1.4).

Figure 1.3.1.4 : Evolution des avantages comparatifs du Brésil, 1967-2010

Source : Fouquin et al. (2012)

Données : Bases de données CHELEM (CEPII).

On constate également sur des données plus agrégées que depuis le début des années 2000 la part des produits manufacturés décline, de même que celle des produits semi-manufacturés, au profit des produits de base (Tableau 1.3.1.3).

Tableau 1.3.1.3 : Exportations du Brésil par grande catégorie de produits (%)

Année Produits de base manufacturés Produits Produits semi-manufacturés

1964 85,4 8,0 6,2 1980 42,2 11,7 44,8 1985 33,3 10,8 54,9 1990 27,8 16,2 54,2 1995 22,9 20,8 56,2 2000 23,4 15,8 60,7 2006 29,9 14,5 55,6 2007 32,8 13,9 53,5 2008 37,9 13,8 48,1 2009 41,4 13,7 45,0 2010 45,5 14,3 40,2 2011 48,9 14,3 36,8

Source : Élaboration personnelle à partir de données du Ministério do Desenvolvimento, Indústria e Comércio (MDIC).

Cette restructuration du système productif et des exportations est dans une large mesure liée à l’accroissement du prix des matières premières, qui lui-même est indissociable de la croissance des pays d’Asie de l’Est, de la Chine en particulier. L’Asie est devenue la première destination des exportations brésiliennes, et 76% des exportations vers cette région sont de produits primaires en 2014. Alors que 72% des exportations vers l’Amérique latine sont des exportations de produits manufacturés, les exportations vers l’Asie sont essentiellement des exportations de produits primaires. En 2014, le premier pays acheteur était la Chine (18% du total des exportations brésiliennes). La Figure 1.3.1.5 montre bien le poids croissant de l’Asie dans les exportations brésiliennes, et la réduction nette du poids de l’Amérique du Nord. Ce tableau vaut dans une large mesure pour l’Amérique latine dans son ensemble et dépasse les relations commerciales. On assiste à une réorientation géopolitique et économique majeure du sous-continent, qui se détourne progressivement des États-Unis au profit de l’Asie.

Figure 1.3.1.5 : Evolution de la destination des exportations brésiliennes entre 1995 et 2013

Source : The Atlas of Economic complexity (Center for International Development at Harvard University).

Entre la reconnaissance de cette nouvelle configuration des relations économiques entre le Brésil et le reste du monde et l’attribution à la Chine de la responsabilité de la reprimarisation du tissu économique brésilien, il n’y a qu’un pas. Pourtant, pour Pierre Salama, si la Chine est pour beaucoup dans cette dynamique productive en tirant la demande de produits primaires et en poussant les prix à la hausse, il faut aussi observer que la politique de change du Brésil n’est pas adéquate (le taux de change est sur-apprécié, en raison d’entrées de capitaux abondantes dues à des taux d’intérêt très élevés), les politiques industrielles sont trop timorées ou non appropriées, la productivité du travail est trop faible, le pays manque d’infrastructures et les coûts de transaction y sont élevés en raison de pesanteurs bureaucratiques. Mylène Gaulard (Gaulard, 2011b) propose une lecture marxiste de la désindustrialisation brésilienne, qui met au premier plan la baisse du taux de profit dans l’industrie plutôt que la financiarisation de l’économie et les taux d’intérêt élevés. Ces derniers ont baissé dernièrement mais le taux d’investissement reste bas, c’est donc qu’existe un problème de rentabilité des investissements dans l’industrie.

Cette reprimarisation (certains parlent même de désindustrialisation) est souvent caractérisée comme étant à la fois « précoce » et « subie ». Si la précocité de cette reprimarisation est indéniable si l’on compare le moment de son occurrence aux trajectoires de développement des pays développés, le fait qu’elle soit subie est plus discutable (voir section 1.4.2). Nous nous contenterons d’évoquer la fragilité d’un modèle de croissance s’appuyant sur une amélioration des termes de l’échange des biens primaires : comme le notent Souza et Ferraz (2015), sans l’augmentation des termes de l’échange observée entre 2009 et 2011, l’excédent de la balance commerciale de l’année 2011, par exemple, aurait été un déficit, et le déficit de la balance courante aurait été de 4,1% du PIB au lieu de 2,1%.

Par ailleurs, il faut noter une différence entre la reprimarisation actuelle et l’ancien modèle primo-exportateur : désormais l’exploitation des matières premières se fait à partir de processus de production de plus en plus, et parfois très, sophistiqués, ce qui laisse penser qu’une industrialisation des (ou par) les ressources naturelles est possible et souhaitable. Les exemples de la Norvège ou du Chili de réussite dans l’exploitation des ressources naturelles sont souvent mis en avant. Par ailleurs, les investissements sont toujours plus orientés vers les industries intensives en ressources naturelles, ce qui traduit une « commoditisation » de l’industrie brésilienne (Araújo et al., 2012). Le secteur intensif en ressources naturelles a connu une croissance de 230% entre 2000 et 2007, alors que sur la même période les industries à base « scientifique » ont connu une réduction de leur produit de 50%.

Pourquoi la reprimarisation de l’économie brésilienne serait-elle un problème ? La dépendance de l’économie aux matières premières la rend plus vulnérable et instable. Ensuite, ce sont tous les « bienfaits » de l’industrialisation en termes d’augmentation de la valeur ajoutée par produit, d’augmentation de la demande en capital humain, d’effets sur l’innovation etc. qui sont délaissés. Hausmann et al. (2014) et IMF (2015) montrent que la diversification, et surtout la « complexité » (diversification + sophistication, dans le sens de l’intensité en connaissance – knowledge intensity - des produits) des produits exportés prédisent de manière satisfaisante la croissance de long terme. Or l’Amérique latine connaît un degré de complexité de ses exportations à la baisse depuis les années 1970. Dans le cas du Brésil, la tendance est spectaculaire entre 2000 et 2013 : l’indice de complexité de ses exportations s’est effondré. Ces résultats empiriques tendent à conforter les thèses relatives à la « malédiction de l’abondance » (en ressources naturelles) telles que celle de la « maladie hollandaise » (dutch disease)84, qui prédisent des effets économiques négatifs de la spécialisation dans la production et l’exportation de commodities (Sachs et Warner, 1997). Un dernier argument renvoie à la relation étroite entre faible niveau de capital humain et structure productive. Le Brésil, tout comme l’Amérique latine de manière générale, dispose d’un « capital humain » très faible en comparaison de pays à niveau de PIB/tête comparable. Luis Bértola (2015) pose la question, à propos de l’Amérique latine : « Comment est-il possible qu’une population produise plus que ce que son capital humain laisserait attendre ? » Il répond que « […] la production est dominée par une participation élevée des ressources naturelles. La trajectoire latino-américaine traditionnelle d’exportation de biens primaires qui ont une valeur ajoutée relativement faible mais sont susceptibles de générer des rentes serait le facteur fondamental sur lequel repose le haut niveau de revenu par tête par rapport aux niveaux de formation de capital humain, exprimés en termes de capital humain. » 85 (Bértola, 2015, p. 268)

1.3.2. Nouvel extractivisme et « consensus des matières premières »

Cette spécialisation renouvelée dans les matières premières et les produits à faible valeur ajoutée a donné lieu de la part d’analystes et académiques critiques à la caractérisation de la phase

84 La maladie hollandaise est un phénomène qui fait de l’abondance en ressources naturelles et de leur exportation une entrave au développement de l’industrie : les entrées de devises contribuent à une surévaluation du taux de change, ce qui nuit à la compétitivité-prix des industries.

85 Pour rappel, sauf mention explicite nous traduisons directement en français toutes les citations en langue étrangère.

actuelle comme relevant d’un « nouvel extractivisme » (Svampa, 2009, Gudynas, 2009) ou d’un « consensus des matières premières »86. Par « extractivisme », on entend ici non seulement les industries extractives mais aussi les activités agricoles dans la mesure où elles « pompent » les ressources naturelles (du sol en l’occurrence) à un rythme non soutenable. Il s’agit donc ici de caractériser de façon plus qualitative le type de développement s’appuyant sur la production et l’exportation de matières premières comme faisant peu de cas de la « soutenabilité » de l’activité extractive et de ses impacts sociaux et écologiques.

Gudynas (2009) propose dix thèses à propos de ce nouvel extractivisme en Amérique latine : 1) Les secteurs extractifs gardent un rôle central dans les styles de développement ; 2) Le progressisme sud-américain génère un nouveau type d’extractivisme ; 3) On constate une présence plus active de l’État ; 4) Le nouvel extractivisme sert une insertion internationale subordonnée dans la mondialisation commerciale et financière ; 5) La fragmentation territoriale se perpétue, avec des zones reléguées et des enclaves extractives associées aux marchés mondiaux ; 6) Indépendamment du type de propriété sur les ressources, se reproduisent les règles et le fonctionnement de systèmes productifs tournés vers la compétitivité, l’efficacité, la maximisation du revenu et l’externalisation des impacts ; 7) Les impacts sociaux et environnementaux des secteurs extractifs se perpétuent et parfois s’aggravent ; 8) L’État capte une part plus importante de l’excédent généré par les secteurs extractifs, et une part de ces ressources nouvelles permet de financer des programmes sociaux, lesquels sont source de légitimité auprès de la population ; 9) L’extractivisme est conçu comme indispensable pour combattre la pauvreté et promouvoir le développement ; 10) Le nouvel extractivisme fait partie d’une version contemporaine du développementisme propre à l’Amérique du Sud dans laquelle le mythe du progrès est maintenu, moyennant une nouvelle hybridation culturelle et politique.

Il nous semble que ces thèses s’appliquent très bien au Brésil contemporain, et nous aurons l’occasion de les mettre à l’épreuve de la transposição du fleuve São Francisco dans les parties suivantes (dans la Partie 3 notamment).

L’exploitation des ressources naturelles est dans une très large mesure consubstantielle à l’histoire du Brésil. Elles y ont longtemps été considérées comme inépuisables, ce qu’autorisaient les dimensions continentales du pays. La vision du colon était celle de tropiques de l'abondance (Ribeiro et Galizoni, 2003), et cela s'est traduit dans l'extractivisme et la mobilité spatiale. Si le Brésil a pu être caractérisé comme une nation « géophage » (Droulers, 2001), il ne semble pas que la tendance actuelle démente cette appréciation. Les fronts pionniers agricoles continuent à avancer, et l’agrobusiness (agronegócio) jouit de soutiens solides à l’Assemblée et au Sénat, de même qu’au sommet de l’État brésilien. Il faut dire que les prix à la production des produits agricoles ont connu une croissance importante depuis le milieu des années 2000, à partir de 2007 notamment (Figure 1.3.2.1). Cette croissance est particulièrement marquée en ce qui concerne les fruits, dont le prix avait plus que doublé en 2012 par rapport à 2004-2006.

86 L’expression « matières premières » ne traduit qu’imparfaitement « commodities » (dans « consenso de los commodities » en espagnol ou « consenso dos commodities » en portugais), qui comprend les matières premières mais aussi les produits de base non ou très peu transformés, notamment les produits agricoles « bruts ». Il semblerait que la première formulation de l’idée d’un « consensus » sur les matières premières comme moteur du développement (ou plutôt de la croissance) économique soit le fait de la revue argentine Crisis, à travers un manifeste intitulé « El consenso de los commodities » paru dans son numéro de juin/juillet 2011. Le diagnostic porté sur l’Argentine est très largement transposable au cas brésilien.

Figure 1.3.2.1 : Indice de prix à la production des produits agricoles, Brésil (2004-2006 = 100)

Source : Élaboration personnelle à partir de données FAOSTAT

On assiste à une technicisation et dans une certaine mesure à une industrialisation de l’agriculture. La consommation de pesticides a crû de manière importante (Figure 1.3.2.2) et le Brésil fait désormais partie des tout premiers consommateurs mondiaux de ces produits. Le Brésil est par ailleurs à la quatrième place mondiale pour la consommation d’engrais fertilisants (FAOSTAT).

Figure 1.3.2.2 : Consommation de pesticides, Brésil, 1992 - 2013

Source : FAOSTAT 0 50 100 150 200 250

Cultur textiles primaire Cultures oléagin prim Fruits prim et melons Légumes prim exc melons Œufs naturels

Le secteur de l’agrobusiness est hautement oligopolistique, avec la domination de grands groupes comme Bunge, Cargill, Monsanto, Syngenta, Novartis… Il pratique au Brésil la monoculture à une échelle qui a peu d’équivalents dans le monde. Dans le même temps, la structure foncière est toujours extrêmement inégalitaire. Le dernier recensement mené par l’IBGE (2006) rapporte un coefficient de Gini de la concentration des terres de 0,872, contre 0,856 en 1995 (IBGE, 2009a). Comme le montrent Ney et al. (2011) à l’aide de données PNAD, l’agriculture est le seul secteur à ne pas présenter de croissance du nombre de travailleurs rémunérés sur la décennie 2000, d’où une baisse de la part des emplois agricoles dans l’emploi total (de 14% à 11,5%)87. Les données PNAD sur la période 2012-2015 confirment le recul de l’emploi agricole, avec une perte de près d’un million d’emplois88. C’est une fois de plus le seul secteur qui connaît une baisse nette de ses effectifs89. En outre, l’inégalité des revenus est particulièrement élevée dans le secteur agricole, largement supérieure aux inégalités dans l’industrie ou les services. Cette inégalité est très étroitement liée aux inégalités foncières. Ces dernières se maintiennent (le Gini de la distribution des surfaces agricoles passe 0,848 en 2001 à 0,844 en 2009)90, d’où le maintien des inégalités de revenus. En 2009, les 50% d’exploitations agricoles les plus petites occupaient 2,5% de la surface agricole totale, contre 39,1% de la surface pour les 1% plus grandes exploitations. Il faut ajouter que l’agriculture est le secteur dans lequel les écarts de revenus entre employés et employeurs sont les plus élevés, et où la proportion des employés sans carte de travail est la plus élevée91. Le modèle productif agricole exportateur extensif ne favorise pas la création d’emploi et contribue à déplacer la population rurale peu qualifiée vers les villes (Barbosa, 2011). C’est sans compter le travail esclave contemporain, qui reste un fléau en milieu rural, notamment dans les zones de fronts pionniers (Théry et al., 2009). Enfin, comme le montre Mattei (2012), le bilan de la réforme agraire depuis la redémocratisation est extrêmement maigre. Le nombre de familles d’agriculteurs sans terre assentadas92 a systématiquement été en-deçà des espérances, nombre d’entre elles ne se sont pas fixées sur ces terres (pour des raisons de faible qualité de la terre, de manque d’assistance technique, de difficultés dans la commercialisation des produits ou dans l’accès à des services de base tels que la santé, l’éducation, l’eau, l’assainissement etc.), et par ailleurs les inégalités foncières n’ont pas été réduites.

Sur le plan environnemental, plusieurs tendances sont inquiétantes. L’exploitation des ressources en eau joue un rôle important dans le développement agricole. Nombreux sont les académiques brésiliens à parler, en sus d’un « agronégoce », d’un « hydronégoce » (hidronegócio), voire d’un « agrohydronégoce » (agrohidronegócio) pour mettre l’accent sur la dépendance de

87 Cette analyse exclut à dessein un contingent important (supérieur à 6 millions d’individus) d’agriculteurs sans rémunération et pratiquant une agriculture de subsistance.

88 Il s’agit ici des personnes de 14 ans ou plus, occupées dans la semaine de référence dans le groupement d’activités « Agriculture, élevage, production forestière, pêche et et aquiculture. ». Données PNAD, IBGE.