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Introduction de la Partie 1

Chapitre 3. L’eau dans le Nordeste semi-aride : transitions paradigmatiques et nouveaux défis et nouveaux défis

3.4. Solutions à la pénurie d’eau dans le Nordeste semi-aride

Etant donné le cadre historique des interventions dans le Nordeste et les réalités contemporaines du développement et de la contrainte pédoclimatique, quelles sont les solutions existantes et envisagées ? Les problèmes évoqués dans les chapitres précédents à propos des politiques de lutte contre les effets de la sécheresse montrent que la disponibilité hydrique doit être distinguée de ce qu’Aldo Rebouças appelle « disponibilité sociale » de l’eau. Après une longue période pendant laquelle les politiques publiques dominantes pour le Semi-aride ont été la lutte contre la sécheresse (combate à seca), qui a connu son apogée entre les décennies 1930 et 1980, la fin du 20ème siècle et le début du 21ème semblent inaugurer une nouvelle phase, dans laquelle au moins une partie de la population, organisée en mouvements sociaux, recherche un « vivre avec le Semi-aride » (« convivência com o semi-árido »). Au-delà des politiques publiques, on trouve les actions de l’ASA (Articulação do Semi-Árido), ou encore des programmes de diverses ONG, associations, syndicats.

3.4.1. La solution hydraulique

La politique de construction de retenues artificielles (açudes/açudagem) remonte au 19ème siècle mais s’est développée particulièrement à partir des années 1960. On peut distinguer les grands açudes, de l’ordre du milliard de mètres cubes retenus, et les petits açudes (barreiros), qui retiennent quelques milliers de mètres cubes. La forte évaporation met en péril notamment les réserves des petites retenues, surtout pendant les périodes de sécheresse prolongée. Les barreiros visent à approvisionner en eau la population rurale diffuse. Les petits réservoirs permettent de fournir de l’eau à la petite production agricole et à l’agriculture familiale.

Parmi les plus grands réservoirs du Nordeste, on compte les açudes Orós (2,5 milliards de m3), Coremas-Mãe d’água (1,4 milliards de m3), et Castanhão (6,7 milliards de m3). D’autres très grandes retenues, localisées sur le cours du fleuve São Francisco, sont vouées principalement à l’énergie hydroélectrique : Sobradinho (34,1 milliards de m3), Itaparica (11 milliards de m3) et Xingó (3,8 milliards de m3) (Gheyi et al., 2012). La SUDENE et le DNOCS ont joué un rôle majeur dans l’implantation d’açudes186.

Le problème est que leur construction n’a pas suivi de plan intégré. La multiplication des açudes présente des aspects positifs et négatifs : d’un côté elle a permis le stockage de grandes quantités d’eau qui sinon courraient vers la mer, de l’autre les pertes par évaporation sont extrêmement élevées et le système est devenu très complexe. Par ailleurs, les grands réservoirs

186 La « Mission française » a joué aussi un rôle important dans l’établissement d’une méthodologie pour l’usage multiple des eaux de petits açudes (cf. Molle et Cadier, 1992).

sont impactés par l’irrigation et la multiplication de petits réservoirs en amont en termes de rendement et de confiance des débits régularisés (Van Oel et al., 2008). Krol et al. (2011) simulent les effets des changements climatiques sur la disponibilité en eau dans un bassin hydrographique du Ceará (Benguê). Ils montrent que la multiplication des petits réservoirs en amont (probable étant donnée la l’accentuation probable de la sécheresse dans la région) peut avoir des effets majeurs sur la disponibilité en eau dans les réservoirs stratégiques de plus grande taille en aval. Multiplier les petits réservoirs n’est donc pas la panacée ni une solution envisageable pour augmenter significativement les disponibilités en eau, dans un contexte de raréfaction croissante de la ressource. En outre, aussi bien les grands réservoirs que les petits sont sensibles aux changements climatiques. Dans un article proposant des alternatives à la TSF, Feijó et Torggler (2006) proposent de recouvrir les açudes de film plastique ou de bouteilles en plastique, afin de réduire drastiquement l’évaporation. De telles techniques permettraient d’économiser autant d’eau que ce qu’il est prévu de transférer par la TSF à un coût à peu près dix fois inférieur.

De nombreux projets de transferts d’eau (outre la TSF) sont déjà en cours de réalisation pour relier et « intégrer » les bassins du Nordeste septentrional à travers de longues canalisations. Le plus emblématique est le Canal da Integração dans l’État du Ceará (225 km de canaux de l’açude Castanhão à la région métropolitaine de Fortaleza), qui s’insère dans un vaste projet de Cinturão das águas (« grande ceinture des eaux »). Plusieurs projets de cette nature sont financés par la Banque Mondiale. Il s’agit essentiellement d’alimenter les grands centres urbains en forte croissance.

La « solution hydraulique », ou « phase hydraulique de la solution », semble avoir atteint des limites en termes de stockage. Se pose la question de l’accès à l’eau stockée, qui n’est pas assuré aux plus nécessiteux, et donc du rapprochement des populations de ces sources d’eau, et/ou de leur distribution plus large à travers des réseaux d’adduction (adutoras) plus développés. La connexion des sous-bassins est une solution pour augmenter la régularité des débits, et éventuellement pour accroître la capillarité. Mais celle-ci dépend de beaucoup d’autres investissements.

3.4.2. Vivre avec la sécheresse ?

Selon Perez-Marin et al. (2010), la vision du Semi-aride brésilien fondée sur le « problème » de la sécheresse, qui a toujours prévalu, a fait peu de place à ses potentialités. Cette vision assez superficielle de la région a orienté les politiques publiques vers : la lutte contre les sécheresses et leurs effets et la promotion de grands projets d’agriculture irriguée (suivant l’exemple de succès du pôle d’agriculture irriguée de Petrolina-Juazeiro). Selon les auteurs, la première orientation, qui a dominé le 20ème siècle, a peu à peu été abandonnée. La seconde orientation néglige quant à elle le fait que le potentiel d’irrigation est limité à 2,5% du Semi-aride, sur les marges de grands fleuves comme le São Francisco, l’Açu et le Jaguaribe. Cette vision exclut de fait une multitude de petites irrigations. De plus, il faut tenir compte des limitations techniques à l’irrigation : absence de systèmes de drainage, manque de manutention, mauvais usages des engrais etc.

La situation actuelle contre laquelle de nombreux mouvements sociaux et spécialistes du Semi-aride est une situation dans laquelle l’exploitation économique définit l’occupation et l’usage

de l’espace, une vision fragmentée et techniciste des réalités locales est à l’œuvre et ces deux éléments sont exploités au bénéfice des élites politiques et économiques locales. Bien qu’il n’existe pas de proposition structurée, consistante et contextualisée de développement soutenable du Semi-aride brésilien, on voit se cristalliser la proposition de « convivência com o Semiárido », qui implique un certain nombre de techniques de stockage et de mobilisation de l’eau.

« Il s’agit d’une nouvelle perception qui retire les responsabilités attribuées aux conditions naturelles et regarde le Semi-aride avec ses potentialités, caractéristiques, ses limites et réactualise la pensée de Guimarães Duque […] selon laquelle le développement soutenable du Semi-aride brésilien dépend, de manière fondamentale, d’un changement des mentalités par rapport à ses caractéristiques environnementales, et de changements dans les pratiques et l’usage indiscriminé des ressources naturelles » (Perez-Marin et al., 2010, p. 7)

Parmi les propositions allant dans le sens de la « convivência », on peut citer :

 La démocratisation de l’accès à la terre (réforme agraire).

 L’universalisation et la démocratisation de l’accès à l’eau pour les besoins humains et animaux et pour des formes de production appropriées au milieu.

 Le renforcement d’une agriculture familiale fondée sur les principes de l’agroécologie.

 La promotion d’une éducation contextualisée, dans les espaces scolaires et communautaires, en garantissant l’universalisation de la scolarité.

 La promotion de politiques de sécurité alimentaire.

 Le développement de la recherche et la dissémination des connaissances et technologies appropriées au Semi-aride.

 Des services publics de qualité donnant la priorité aux investissements en infrastructures sociales.

 La préservation et l’usage soutenable des ressources naturelles.

 Le financement public du développement rural soutenable.

Certains éléments de ce programme sont déjà appliqués actuellement. L’INSA (Instituto Nacional do SemiÁrido – Institut National du Semi-Aride) promeut l’éducation contextualisée, l’ASA accompagne les habitants du sertão dans l’appropriation de technologies appropriées etc. En termes d’universalisation de l’accès à l’eau pour les besoins élémentaires, le gouvernement fédéral a lancé en 2011 le programme Água para todos lancé en 2011 sur le modèle du programme Luz para todos qui a permis l’accès à l’électricité. Le décret n°7535 du 26 juillet 2011, qui institue le Programme National d’Universalisation de l’Accès et de l’Usage de l’Eau (Água para todos) prévoit des petits barrages, des citernes pour la production, des citernes pour la consommation domestique (captation d’eau de pluie) et l’accès à un système collectif d’adduction d’eau. L’objectif est de permettre l’accès à l’eau à 750 000 familles rurales.

Il faut aussi mentionner ici l’existence de propositions de développement socioéconomique qui prennent au sérieux les spécificités du biome caatinga et qui appliquent l’idée de techniques adaptées (ou d’écodéveloppement). L’ingénieur Manoel Bomfim Ribeiro, ancien directeur du

DNOCS, spécialiste en hydrologie et fin connaisseur du Semi-aride, voit dans ce dernier « sept merveilles » susceptibles d’en faire une région économiquement prospère et climatiquement adaptée : la pisciculture, l’apiculture, l’élevage caprin, la culture de la noix de cajou, de l’umbu, la cire de carnaúba, et la culture de fibres végétales (caroá et sisal) (Bomfim Ribeiro, 2007). Les expériences en agroécologie, enfin, portées largement par l’ASA (Articulation du Semi-Aride), font elles aussi naturellement partie des solutions de convivência avec le Semi-aride (Piraux et al., 2011).

Les puits

On estime le nombre de puits dans le Nordeste à environ 100 mille (Cirilo, 2008). L’usage des eaux souterraines est essentiellement la boisson des animaux et des usages sanitaires. Mais leur débit est faible et l’eau présente une haute teneur en sels. Si certains tiennent les eaux souterraines pour une solution crédible d’offre d’eau à long terme en quantités importantes (le géologue Aldo Rebouças notamment), la plupart des spécialistes considèrent qu’il ne peut s’agir que d’une solution d’appoint tant les quantités extractibles sont faibles, et nécessitant de l’énergie et de la technique pour la désalinisation. La désalinisation des eaux continentales salines est possible, mais cette technique est encore techniquement compliquée et chère. Le Programme Eau Douce (Programa Água Doce), lancé en 2014 par le Ministère de l’Environnement, vise à Rendre potables les eaux salines des puits du Semi-aride187.

Les citernes d’eau de pluie

Les citernes pour le stockage de l’eau de pluie (en ciment pour la plupart) se sont imposées comme une technique de convivência de premier plan dans le Semi-aride. Elles peuvent contenir entre 7 et 15 mètres cubes, ce qui représente 50 litres d’eau pendant 140 à 300 jours. Il existe aussi des citernes plus grandes, dites cisternas de calçadão, système composé d’une citerne de grande capacité (> 50 m3) et d’une grande dalle en ciment qui récupère l’eau de pluie.

L’eau des citernes peut être utilisée pour les usages domestiques comme la boisson et la cuisine. Il en existe des milliers dans le Nordeste, mais encore bien trop peu par rapport aux besoins. Quelques obstacles doivent être franchis : disposer d’un toit en dur d’au moins 40 m2

pour récolter l’eau de pluie, assurer l’entretien (il existe un risque de contamination de l’eau). Une politique d’habitat doit donc être entreprise conjointement. Par ailleurs, la citerne d’eau de pluie ne couvre pas tous les besoins d’une famille dans l’année, il faut donc prévoir une autre source d’approvisionnement.

Les techniques de stockage de l’eau de pluie ont été discutées et perfectionnées dans le milieu académique à partir de la création de l’Association Brésilienne de Collecte et Gestion de l’Eau de Pluie (Associação Brasileira de Captação e Manejo de Água de Chuva – ABCMAC). Elles sont portées par la société civile à travers notamment l’ASA (Articulation du Semi-Aride – Articulação

187 Ministério do Meio Ambiente, « Ano começa com obras que garantem água no semiárido », Casa Civil, Presidência da República. Casacivil.gov.br. Voir http://www.mma.gov.br/agua/agua-doce

do Semi-Árido), et elles ont reçu une aide croissante de la part du gouvernement fédéral à travers le Programme 1 million de Citernes (Programa 1 milhão de Cisternas – P1MC).

Les enquêtes auprès des ménages bénéficiaires d’une citerne montrent que l’impact de la citerne est très nettement positif (Silva et al., 2013). Même si apparaissent des problèmes de qualité de l’eau accumulée, d’entretien de la citerne, voire de réticences face à leur utilisation, les familles enquêtées déclarent que la citerne est très importante et a amélioré leur qualité de vie. Les personnes concernées font des économies de temps en réduisant le besoin de se rendre régulièrement (la majorité tous les jours) à un point d’eau pour assurer l’approvisionnement du ménage. Du temps est ainsi libéré pour d’autres activités, parfois un travail rémunéré (apiculture dans l’État de Bahia). La scolarisation des enfants s’améliore, les maladies reculent.

Il faut ajouter que si les citernes sont souvent présentées comme un moyen d’émancipation sociale pour la population rurale diffuse, elles sont aussi considérées par certains comme ayant l’effet inverse : en période de sécheresse, le remplissage de la citerne dépend de camions-citernes, ce qui renforce la dépendance par rapport au bon vouloir des élites locales.

Les barrages souterrains

De manière à assurer un apport en eau complémentaire à celui permis par les citernes et pour pouvoir assurer l’irrigation de petites cultures maraîchères et fruitières pour l’agriculture familiale, l’idée de barrages souterrains s’est développée. De nombreuses expériences ont été menées depuis le milieu des années 1990, mais il existe peu de retours systématiques à ce jour sur leur utilité et leur efficacité. La construction d’un barrage souterrain demande un travail manuel important et des conditions de salinité des eaux limitée (voir Cirilo et al., 2003). Le programme P1+2 (Uma Terra e Duas Águas – Une Terre et Deux Eaux) vise à multiplier les barrages souterrains en même temps que les citernes d’eau de pluie, afin de garantir aux populations rurales diffuses un approvisionnement en eau pour leur consommation quotidienne et pour des cultures de quelques hectares.

La réutilisation des eaux usées

La réutilisation des eaux usées a déjà fait ses preuves dans des pays arides et semi-arides (comme en Israël notamment), mais elle est encore très peu répandue au Brésil. Les bénéfices potentiels estimés sont très élevés, mais le pays manque d’une politique nationale et d’un encadrement juridique adapté à cette pratique (Hespanhol, 2008).

La capillarité

Assurer la capillarité du réseau hydrographique consiste à faire en sorte que l’eau accumulée puisse atteindre les communautés les plus reculées (dans les limites de la faisabilité technique et d’une efficacité économique minimale de tels raccordements) et les populations défavorisées

(parfois proches de sources d’eau ou d’açudes) par des moyens sûrs. En bref, il s’agit de remplacer l’eau (chère) du carro-pipa par l’eau du réseau. Pour l’hydrologue João Abner Guimarães Júnior, il y a assez d’eau accumulée dans les açudes, y compris pour les périodes de sécheresse, mais il manque un réseau d’adduction, une capillarité, le « last mile ». Pour l’ingénieur agronome João Suassuna également, le problème de l’eau dans le Semi-aride est un problème non pas quantitatif mais de mauvaise distribution188. La capillarité serait synonyme de démocratisation de l’accès à l’eau. Il s’agit de la principale proposition alternative à la TSF. Le Ceará, principal bénéficiaire du transfert des eaux du São Francisco, dispose d’une grande quantité d’eau dans ses réservoirs, mais ces eaux sont mal réparties189.

Limitation des pertes de réseau

Nombreuses sont les municipalités du Nordeste à avoir des pertes massives dans leurs réseaux de distribution d’eau. Les chiffres dépassent parfois les 50%, ce qui laisse penser que de grandes économies peuvent être faites grâce à une meilleure gestion et des investissements dans le réseau. L’Association brésilienne d’ingénierie sanitaire et environnementale estime à 40% la moyenne des pertes de réseau au Brésil et estime à plus de 20 milliards de reais les gains espérés d’une réduction des pertes à des niveaux inférieurs à 30% (ABES, 2013).

Conclusion de la section 3.4

Les solutions à la sécheresse dans le Nordeste semi-aride, et aux tensions entre offre et demande de manière générale, sont aussi diverses que sous-exploitées. Les zones rurales, et en particulier les populations diffuses, peuvent faire l’objet de politiques d’investissement dans des technologies appropriées comme les citernes, barrages souterrains, calçadões etc. Ces technologies ont déjà amplement fait leurs preuves, que ce soit au Brésil ou dans d’autres pays possédant des zones arides ou semi-arides, et leur coût est relativement modeste. Elles sont portées par des associations, ONG et autres mouvements sociaux « de base », et ont récemment été reprises à leur compte par le gouvernement fédéral. En ce qui concerne les zones urbaines, il existe un certain consensus selon lequel les problèmes sont liés à une absence d’intégration des sous-bassins et sous-bassins, une mauvaise gestion, un manque d’infrastructures et de maintenance de l’infrastructure existante, le tout participant d’une situation de relative abondance dont il n’est pas pleinement tiré parti.

188 Carolina Gonçalves, « Especialistas dizem que Nordeste tem água, mas falta distribuição », Agência Brasil, 22 novembre 2012.

189 En fait la problématique est un peu plus compliquée dans la mesure où les gestionnaires des réservoirs maintiennent ceux-ci aussi pleins que possible afin de faire face à une éventuelle sécheresse pluriannuelle. Cette stratégie « conservatrice » de gestion est justifiée, ce qui interdit de considérer que toute l’eau accumulée est disponible. Reste que les usages domestiques représentent des quantités infimes en comparaison avec l’eau d’irrigation. Le chaînon manquant est donc avant tout les moyens financiers et la volonté politique de raccorder tous les ménages à une source sûre. Le last mile est en effet coûteux.

Conclusion du Chapitre 3

Des décennies d’interventions dans le Nordeste pour limiter les effets du manque d’eau et de la sécheresse n’ont pas réussi à éradiquer entièrement le problème. Si les effets des sécheresses sont moins spectaculaires aujourd’hui qu’ils ont pu l’être au cours des siècles précédents, ils n’en restent pas moins un problème social majeur. Pertes de récoltes, de bétail, conditions extrêmes d’approvisionnement en eau, déstabilisation d’économies locales et régionales, fragilisation économique et sociale de petits agriculteurs sont encore à l’ordre du jour et peuplent les reportages télévisés sur le flagelo da seca (la « damnation de la sécheresse »).

Aux politiques essentiellement palliatives mises en œuvre jusqu’aux années 1990 (creusement de puits, petites retenues, et pendant les périodes de sécheresse camions-citernes (carros-pipa) et fronts de travail pour assurer un revenu aux populations vulnérables) a succédé un nouveau paradigme qui prend acte des limites de la solution hydraulique et vise à un développement intégral des populations sertanejas (Cirilo, 2008, Silva, 2006). Cette lecture positive et optimiste voit une rupture à la fin des années 1990, avec l’adoption de la « loi sur l’eau » de 1997 qui promeut le contrôle des usages à travers de nouveaux instruments comme la concession (outorga) et la tarification (cobrança), des plans des ressources en eau pour les États, la création d’organismes de gestion par bassin et de grands programmes d’infrastructure. Par ailleurs, l’idée de « convivência com o Semi-árido », qui a émergé de quelques organismes publics de recherche et d’un ensemble d’organisations sociales (ONG, Eglises, mouvement syndical etc.), s’est imposée y compris auprès

des plus hautes instances fédérales comme discours mobilisateur. Andrade et Nunes (2014)

attribuent les évolutions depuis les années 1990 des politiques pour le Semi-aride, dans le sens de la « convivência », au contexte mondial (droit à l’eau voté à l’ONU en 2010) et national (loi sur l’eau et reconnaissance d’un droit à l’eau dans différents éléments de loi et à l’organisation de la société civile sertaneja, à travers notamment l’ASA).

Cette transition paradigmatique n’a toutefois pas encore permis de remettre en cause ce que les plus grands spécialistes du Semi-aride dénoncent depuis plusieurs décennies, à savoir une structure foncière et une répartition du pouvoir et des ressources fortement asymétriques qui surdéterminent l’accès à l’eau. De plus, le processus parallèle de modernisation économique conservatrice auquel on assiste risque d’entrer en conflit avec le paradigme de la convivência, en accentuant les tensions sur la ressource à l’échelle de la région. C’est bien cette dynamique ambigüe que l’on retrouve à l’œuvre dans le cas de la TSF. L’analyse de cette dernière nous permettra de saisir de manière plus fine les mécanismes d’articulation entre acteurs et institutions qui président aux destinées du Semi-aride.