• Aucun résultat trouvé

Une proposition visant à reformuler la RSE 70

5   PROPOSITIONS PRAGMATIQUES DESTINÉES SPÉCIFIQUEMENT À L’ENTREPRISE 67

5.3   Une proposition visant à reformuler la RSE 70

Bjørn-Tore Blindheim et Oluf Langhelle, dans leur article de 2010 A Reinterpretation of the

Principles of CSR : A Pragmatic Approach, nous permettent de poursuivre notre réflexion visant à

voir s’il ne serait pas possible de donner plus de légitimité à une approche inspirée de la RSE et à l’articuler de façon cohérente à l’intérieur d’une proposition pragmatique pouvant s’intégrer au contexte québécois.

Si l’on souhaite que l’entreprise devienne plus responsable, notamment au niveau de sa gestion environnementale, il importe, comme on vient de l’énoncer, de se questionner sur l’aspect normatif de cette responsabilité, notamment sur la façon dont son contenu doit être déterminé. On vient de voir avec Allison Marchildon que ce contenu ne peut pas être autodéterminé par l’entreprise, mais doit pouvoir se discuter de façon démocratique sur la place publique. Blindheim et Langhelle abondent dans le même sens, en soulignant eux aussi les lacunes des approches courantes de la RSE à ce niveau.

Ils soulignent également, ce qui nous semble très pertinent, qu’à l’heure actuelle ce sont d’abord les lois et les règlements qui représentent au premier rang les valeurs de la collectivité et qui devraient ainsi guider les efforts de l’entreprise en matière de responsabilité : « (…) it is first of all

political institutions and public policy that should inform companies’ efforts in the societal arena within their legitimate scope of responsibility » (Blindheim and Langhelle, 2010, p. 114). Bien sûr,

on le sait, les valeurs de la communauté ne sont pas que portées par ces lois, étant aussi véhiculées à travers la multitude de discussions qui ont cours au sein de nos institutions démocratiques et la multitude de débats qui ont lieu sur la place publique. Chacune de ces composantes de notre vie démocratique est déjà en mesure de guider à différents degrés l’entreprise dans sa prise en compte de l’environnement. Mais cela, de l’avis de tous les auteurs

pragmatiques consultés dans le cadre de ce travail, ne serait pas suffisant pour assurer une prise en compte optimale de l’environnement par l’entreprise et il faudrait donc aller plus loin. Mais que pourrait-on donc faire de plus au juste, que les règlements et la pression sociale (qui sont les principales formes de contraintes à notre disposition) ne parviennent pas à faire? D’autant, si l’on comprend bien les propos de plusieurs auteurs pragmatiques analysés ici, que ces derniers ne font tout simplement pas confiance aux initiatives de l’entreprise.

Blindheim et Langhelle nous permettent d’entrevoir une façon intéressante de répondre à cette question. Si l’on veut favoriser une meilleure prise en compte de l’environnement par l’entreprise, il ne s’agirait pas, comme le suggèrent parfois certaines approches de RSE, de porter notre attention sur la capacité de l’entreprise à répondre aux multiples demandes souvent contradictoires qui lui sont adressées (ce qui semble en fait une tâche impossible, comme on l’a déjà expliqué), les auteurs suggèrent plutôt de chercher comment, de manière pragmatique, on pourrait l’encourager à mieux participer à travers ses multiples actions au bien commun de la société :

« Concerning the action counterpart to the principles of corporate social responsibility, a

pragmatic approach basically turns attention from questions of the capacity of a corporation to respond to constituencies’ diverse moral claims and social pressure, to discussions about corporate action promoting societal welfare » (Blindheim and

Langhelle, 2010, p. 115).

Pour ce faire, les auteurs proposent, comme point de départ, de s’appuyer sur le concept « éthique » de développement durable, tel qu’articulé dans nos lois, règlements, politiques et tel que discuté au sein de nos diverses institutions démocratiques :

« we suggest that one possible contribution to discussions addressing the normative

deficiencies of the corporate social performance model should take the ethical concept of sustainable development as this is interpreted within public policy and democratic will formation as its point of departure » (Blindheim and Langhelle, 2010, p. 111).

Nous revenons donc encore une fois au développement durable, concept pourtant critiqué par certains penseurs pragmatiques. En liant la responsabilité de l’entreprise au développement durable, les deux auteurs ne se trouvent en fait aucunement en porte à faux de ce que proposent aujourd’hui plusieurs des approches de RSE, notamment la norme ISO 26000 comme on l’a vu au chapitre 2. En fait, il y a ici convergence, ce qui n’est pas sans intérêt dans le cadre d’une démarche comme la nôtre, où l’on cherche justement à relier des points de vue et à aménager de possibles terrains d’entente. L’intérêt supplémentaire de la proposition de Blindheim et Langhelle est de pouvoir nous orienter sur une façon « pragmatique » de faire ce lien entre responsabilité de l’entreprise et développement durable.

Dans une telle optique, la conception du développement durable mise de l’avant par la collectivité sera bien sûr à préciser, en termes pratiques, à travers des processus démocratiques de délibération sociale. On devrait pouvoir sur cette base évaluer la performance environnementale de l’entreprise en fonction de la capacité de celle-ci à contribuer réellement au projet de développement durable de la collectivité. À ce sujet, tout comme l’entreprise ne peut déterminer d’elle-même ce dont elle est responsable, elle ne peut pas en faire autant en ce qui concerne la qualité de sa participation au projet de développement durable de la collectivité. Dans une optique pragmatique, une telle évaluation devra nécessairement faire intervenir le politique et devra s’ouvrir à une forme de participation sociale (notamment pour en déterminer les critères de performance).

En clair, Blindheim et Langhelle nous permettent de reformuler la démarche de RSE proposée à l’entreprise en terme d’une participation de cette dernière à un projet de développement durable, qui se doit d’être pensé sous l’angle de la collectivité et qui se doit de faire appel (de façon réaliste) à l’ensemble de la société pour se définir. Reste à voir comment traduire ce projet en pratique, notamment comment le définir pour qu’il puisse être suffisamment simple, compréhensible et non équivoque pour être opérationnel et comment déterminer la contribution attendue de l’entreprise en des termes semblables. Dit autrement : comment définir un développement durable qui puisse nous permettre effectivement de mieux travailler ensemble?