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Comprendre les valeurs et les perceptions de l’entreprise pour mieux l’accompagner 81

5   PROPOSITIONS PRAGMATIQUES DESTINÉES SPÉCIFIQUEMENT À L’ENTREPRISE 67

6.2   Comprendre les valeurs et les perceptions de l’entreprise pour mieux l’accompagner 81

suivre dans la lecture pragmatique qui sera proposée. Auparavant, il nous semble cependant approprié, dans un esprit se voulant lui aussi pragmatique, de prendre un moment pour mieux comprendre les « valeurs » et les perceptions de l’entreprise, notamment la perception qu’a cette dernière des problématiques environnementales et du rôle qu’elle pourrait jouer afin de les résoudre. Comme on l’a vu au chapitre 3, le développement d’une approche pragmatique doit toujours débuter par une enquête. On s‘appuiera à cet effet sur l’étude rapportée dans le livre Vous

avez dit développement durable? de Corinne Gendron, chercheuse réputée, professeure à l’école

des sciences de la gestion de l’Université du Québec à Montréal et titulaire de la Chaire de responsabilité sociale et de développement durable, qui est d’ailleurs citée dans la norme BNQ elle- même. On a interrogé dans le cadre de cette étude les « plus importants dirigeants économiques du Québec » (Gendron, 2012, p. 49). Avant de prendre connaissance de ses principaux résultats, rappelons-nous comment il semblait déjà clair dans l’Ethics de Dewey et de Tufts de 1932, bien avant que la mondialisation ne vienne en fait exacerber encore plus la compétitivité déjà présente entre les entreprises, que la recherche de profit indissociable du fonctionnement de ces dernières et la compétitivité qui lui est associée les empêchaient déjà à l’époque de prendre en compte adéquatement l’environnement. Les choses se seraient-elles améliorées depuis?

Si l’on en croit ce que nous dit Corinne Gendron, ce ne serait malheureusement pas le cas. Selon elle, si les dirigeants économiques québécois reconnaissent aujourd’hui bel et bien l’existence d’une problématique environnementale et si, comme la majorité d’entre nous, ils sont inquiets de l’environnement, ils n’en font pas pour autant leur cheval de bataille. Pour les dirigeants économiques, la cause des problèmes environnementaux serait en fait extérieure à eux. La première cause identifiée à cet effet est la croissance démographique que connaissent certains pays, comme l’Inde et la Chine. Les dirigeants soulignent, comme autres causes, la montée des marchés financiers, la concentration des entreprises et la mondialisation, qui rendent ardue la gouvernance des questions environnementales. Finalement, les valeurs des consommateurs, qui considèreraient en fait bien peu l’environnement dans leurs choix et leur mode de consommation, seraient aussi à considérer.

La première solution aux problèmes environnementaux selon les dirigeants, et cela pourrait en étonner certains selon Gendron, serait « l’imposition de normes et de réglementation de la part de l’État » (Gendron, 2012, p. 51). Mais une telle solution devrait, pour fonctionner, être appliquée universellement au niveau international et s’appliquer également aux pays du Sud. Ce qui

nécessiterait la mise en place d’une gouvernance mondiale efficace, ce qui a très peu de chance de se réaliser, avouons-le. Les dirigeants entrevoient aussi la filière technologique comme une autre voie de solution, mais elle pose cependant le problème du coût et des investissements à consentir, que l’entreprise seule ne pourrait pas assumer dans le contexte de la mondialisation. Finalement, les dirigeants proposent la voie de l’éducation des citoyens et des consommateurs, qui permettrait de mieux les conscientiser à l’impact de leurs choix de consommation sur l’environnement.

Gendron résume ainsi la perception des dirigeants : ils ne se perçoivent donc pas eux-mêmes comme faisant directement partie des causes de la problématique environnementale, qu’ils attribuent plutôt aux pays du Sud, aux gouvernements et aux consommateurs. En toute logique, ils ne se perçoivent pas non plus comme les principaux acteurs de la mise en œuvre de solutions aux problèmes environnementaux et soulignent à cet égard que leurs efforts en la matière sont de toute manière systématiquement contrecarrés par la compétitivité internationale (amplifiée par le phénomène de la mondialisation) et par le manque d’intérêt des consommateurs pour l’environnement. Cette dernière perception des dirigeants économiques québécois est malheureusement bel et bien confirmée par de nombreuses études à l’effet que, sauf exception, ce n’est généralement pas payant pour une entreprise d’être plus verte (Gendron, 2012; Boiral, 2007a; Sandhu et autres, 2010; Ambec and Lanoie, 2008). Cela explique sans doute pourquoi d’autres études sérieuses remettent en question l’efficacité des approches volontaires en responsabilité sociale des entreprises à améliorer significativement la prise en compte de l’environnement (Boiral and Henri, 2012; Boiral, 2007b). En clair, dans le contexte socio-économique et politique actuel, la majorité des grandes entreprises n’aurait tout simplement pas la liberté nécessaire pour devenir d’elle-même plus responsable en matière environnementale, et ce, malgré le fait que de plus en plus de dirigeants économiques se montrent ouverts au concept de développement durable. On doit comprendre ici que (sauf quelques exceptions largement médiatisées), les membres de la direction des entreprises ne sont pas moins soucieux de l’environnement que la majorité d’entre nous, ils sont simplement placés dans des situations où leurs choix à cet égard sont non seulement plus limités que ceux de la majorité d’entre nous, mais ils ont aussi beaucoup plus d’impact.

Plutôt que de blâmer les membres de la direction des entreprises ou de tenter de changer leurs valeurs, la voie de solution identifiée par Corinne Gendron pour permettre aux entreprises de participer réellement au développement durable est, comme nous l’avons mentionné au chapitre 2, celle du développement d’un consumérisme écologique (ou d’un consumérisme vert comme nous l’avons appelé plus tôt). Surmontant selon Gendron les clivages traditionnels entre promoteurs de

démocratiques, le développement de ce consumérisme vert vise en fait à permettre aux entreprises de bien tirer leurs épingles du jeu dans une économie mondialisée, leur permettant ainsi de créer de la valeur et d’en faire profiter de multiples façons la société qui les accueille, et ce, tout en ayant la capacité d’accorder une plus grande attention aux questions environnementales. Dans cette perspective et suivant la définition du développement durable proposée par Gendron (2012), l'économie est ainsi vue comme un moyen favorisant le développement social de la collectivité, alors que la prise en compte adéquate de l'environnement en est une condition essentielle. Une telle approche, comme on l’a suggéré et comme on le précisera un peu plus loin, demanderait une intervention du politique pour favoriser sa mise en œuvre. Elle demanderait aussi la participation de la société civile et de multiples groupes de pression, qui ont à cœur l’environnement.