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5   PROPOSITIONS PRAGMATIQUES DESTINÉES SPÉCIFIQUEMENT À L’ENTREPRISE 67

6.3   Lecture pragmatique de la norme 83

6.3.2 Les motivations de l'entreprise

Une approche pragmatique, comme nous l’avons décrite au chapitre précédent, conçoit assez facilement que de multiples motivations peuvent mener l’entreprise à s’inscrire dans une démarche de développement durable. Dans une telle optique pragmatique, le gestionnaire ou le consultant en développement durable devrait selon nous s’efforcer de bien comprendre la situation particulière de l’entreprise et ses motivations réelles, afin de lui proposer des moyens adaptés (contextualisés), qui lui permettraient de mieux prendre en compte l’environnement tout en respectant en même temps ses propres valeurs. En clair, un pragmatisme environnemental destiné à l’entreprise et inspiré de James et Dewey, du moins selon l’interprétation que l’on en a faite dans ce travail, cherche des moyens réalistes et, on l’espère, intelligents pour faire avancer éthiquement l’entreprise vers une meilleure prise en compte de l’environnement. Si l’on cherche ainsi certes à motiver l’entreprise, on ne cherche pas pour autant à changer radicalement ses valeurs.

Que dit-on au sujet de la motivation dans la norme? La section qui en parle souligne que l’on « constate que le développement durable est vu comme une solution porteuse de création de valeur à long terme et que plusieurs dirigeants s’appliquent maintenant à agir en ce sens » (BNQ, 2011, p. 12). Elle ajoute que « de plus en plus d’actionnaires et d’administrateurs d’aujourd’hui exercent une influence plus grande auprès des dirigeants afin que ces derniers en tiennent compte » (ibid.). Comme on l’a vu plus tôt par ailleurs, la norme affirme aussi que l’application des principes du développement durable devrait avoir de multiples bénéfices pour l’entreprise. Il fait nul doute, comme on l’a vu, que l’on parle de plus en plus du développement durable au sein de l’entreprise comme partout ailleurs au sein de la société, cependant l’idée que l’on puisse attendre de la mise en œuvre d’un développement durable (pensé en terme pragmatique) des bénéfices substantiels pour l’entreprise nous semble contredite par les études que nous avons citées dans ce travail, qui nous indiquent qu’il n’est généralement pas profitable pour l’entreprise (en autorisant bien sûr qu’il y ait des exceptions) de devenir significativement plus écologique. En sommes, rien ne nous laisse croire, malheureusement, que dans le contexte économique et politique actuel les entreprises (sauf exception) puissent avoir la motivation nécessaire pour considérer volontairement des changements organisationnels suffisamment importants, comme ce qui est proposé avec brio

au développement durable, compris comme devant notamment assurer une soutenabilité écologique pour nos collectivités. Et l’on n’a pas encore parlé des impacts financiers pour l’entreprise de tout le volet social du développement durable…

On devra s’arrêter ici un moment pour comprendre qu’il existe, d’après ce que l’on a retrouvé dans le cadre de la revue de la littérature, deux principaux moteurs pour encourager (ou motiver) l’entreprise à progresser en matière de gestion environnementale : soit une forme ou une autre de contrainte extérieure, qui n’exclut pas, bien entendu, le recours au dialogue avec l’entreprise et la concertation (on pense ici notamment aux lois, règlements, obligations contractuelles, pressions des médias, pressions populaires, risques de poursuite, mais aussi à des approches dialogiques ou des approches de résolution de conflits), soit favoriser les opportunités « gagnant-gagnant », permettant à l’entreprise de mieux prendre en compte l’environnement tout en augmentant sa rentabilité. Cela pourra sembler à certains un peu réducteur comme façon de voir les choses, mais les différents travaux et études analysés pour ce travail nous font assez clairement comprendre qu’il est peu probable que l’entreprise dans son ensemble mette d’elle-même de côté, du moins dans un avenir prévisible, la recherche impérative de profit et, mondialisation oblige, il est aussi peu probable que les entreprises deviennent moins compétitives entre elles. Ce qui ne veut pas dire, bien entendu, qu’il ne peut y avoir des entrepreneurs exceptionnels, comme le directeur de Patagonia par exemple, qui peuvent, de leur propre initiative, prendre en compte l’environnement de façon exemplaire. Ils doivent toujours le faire cependant en répondant aux demandes d’un marché de niche, dont les comportements sont très différents de ceux de l’ensemble des consommateurs (Ambec and Lanoie, 2008).

Si une forme ou l’autre de « contrainte » est l’un des deux moteurs pouvant favoriser une meilleure prise en compte de l’environnement par l’entreprise, l’application de contraintes les plus intelligentes possible est peut-être une option souhaitable pour la société dans son ensemble. C’est l’un des buts de la proposition du chapitre précédent visant à mettre en œuvre une approche délibérative pragmatique au sein de la collectivité. Une telle approche cherche notamment à faire en sorte que les contraintes incitant l’entreprise à mieux prendre en compte l’environnement soient choisies de façon optimale en prenant en compte le point de vue de l’entreprise elle-même. On cherche ainsi, en visant notamment l’émergence de « compromis négociés », à trouver les « contraintes » qui prendront en compte « au mieux » un maximum de valeurs, incluant les valeurs économiques, sociales et environnementales.

Pour faire progresser l’entreprise dans sa capacité à intégrer les valeurs environnementales, on peut aussi bâtir sur l’idée qu’il existe des situations gagnant-gagnant. On pourrait ainsi faire en

sorte de les favoriser, c’est-à-dire que l’on pourrait s’assurer que les efforts environnementaux de l’entreprise soient associés de façon plus systématique avec une plus grande rentabilité. Cela demanderait des interventions coordonnées d’une multitude d’intervenants, y compris de l’État, et pourrait se faire, le lecteur l’aura compris, par le développement d’un consumérisme écologique.