• Aucun résultat trouvé

Une première approche statistique de l’entropie

2.6 Interprétation statistique de l’irréversibilité

2.6.3 Une première approche statistique de l’entropie

Les résultats de décroissance exponentielle obtenus au paragraphe ci-dessus ont des conséquences très importantes à l’échelle macroscopique. En effet, supposons que nous caractérisions l’état macroscopique de notre gaz par la proportion de particules se situant dans chaque sous-enceinte. Alors, comme N est très grand, parmi l’ensemble des états microscopiques possibles (on s’intéresse ici surtout aux positions des particules), une écrasante majo-ritécorrespond à des valeurs de N1/N extrêmement voisines de p1.

C’est en fait un phénomène très général : lorsqu’on s’intéresse à des gran-deurs macroscopiques qui, commeA(x, p) =P

iai(x, p), sont des sommes de grandeurs microscopiques (position, énergie cinétique), il existe une va-leur pour chaque grandeur macroscopique qui, à une erreurεprès, est réalisée pourquasiment tousles états microscopiques, sauf une fraction de l’ordre de e−αε2N, oùα est un nombre positif de l’ordre de l’unité21. Autrement dit : la valeur moyenne de la grandeur microscopique est aussi celle qui est presque toujours réalisée. On peut donc énoncer le principe suivant :

Un système thermodynamique adopte à l’équilibre l’état macroscopique compatible avec le plus grand « nombre d’états microscopiques »,

sous-entendu, parmi tous les états macroscopiques compatibles avec les contraintes qui lui sont imposées. Nous voulons rapprocher cet énoncé de celui du second principe de la thermodynamique dont une forme est :

Un système thermodynamique adopte à l’équilibre l’état macroscopique qui rend l’entropie maximale.

Cela suggère que l’entropie associée à un état macroscopique est une fonction croissante du nombre d’états microscopiques qui conduisent à cet état. Afin de préciser cela, nous devons en préliminaire :

– définir la liste des grandeurs d’état que nous utilisons pour caractériser un état macroscopique.

– définir clairement ce que nous entendons par « nombres d’états mi-croscopiques ». Il y a là une difficulté, puisqu’en principe l’ensemble

21En général,αest la dérivée seconde en un point critique d’une fonction « ordinaire », comme celle dont le graphe est représenté à la figure 2.5.

des états microscopiques qui sont compatibles avec un même état ther-modynamique macroscopique est un continuum (et donc a un cardinal infini, de la puissance du continu).

La première tâche dépend du type d’expérience que nous souhaitons réaliser.

Ici, dans un souci de simplification, nous supposerons que nous avons divisé le domaine Ωcontenant un gaz dilué deN particules en deux sous-enceintes Ω1 et Ω2, de volumes rexpectifs V1 := |Ω1| et V2 := |Ω2| et nous nous inté-resserons uniquement aux nombres de particules N1 et N2 qui se trouvent respectivement dans Ω1 etΩ2 à un certain instant. Donc nous ne tenons pas compte de la pression et de la température et nous pourrons travailler dans la suite avec l’espace des phases microscopique simplifié ΩN au lieu deTN , ignorant ainsi les degrés de liberté des impulsions.

Pour résoudre la deuxième difficulté, nous suivons la stratégie suivante, imagi-née par les physiciens : nous divisons le domaineΩreprésentant l’enceinte en cellules très petites (par exemple des cubes de tailleε). Le nombreM de telles cellules sera de l’ordre deV /ε3, oùV est le volume deΩ. Pour qu’une telle dis-crétisation n’induise pas trop de déformations par rapport au modèle continu, il convient de choisirεplus petit que la distance moyenne entre les particules, et donc, M plus grand que N. Numérotons les cellules par α= 1,· · ·, M et désignons les parqα. L’idée est de regrouper tous les états microscopiques par paquets : deux états microscopiquesxetx0dansΩN sont dans le « même pa-quet » si et seulement si ils correspondent au même nombre de particules dans chaque cellule : ∀α∈[[1, M]], |{i∈[[1, N]]/xi ∈qα}|=|{i∈[[1, N]]/x0i ∈qα}|. Ensuite, étant donné un « état macroscopique », par exemple, spécifier des valeurs (r1, r2) pour les variables (N1, N2), on compte le nombre de paquets d’états microscopiques qui sont compatibles avec l’état macroscopique cor-respondant.

Pour formaliser un peu cela, nous introduisons un « espace des phases » discrétisé intermédiaire, l’ensemble des applications de [[1, N]] vers [[1, M]] :

Γε :={γ : [[1, N]]−→[[1, M]]}.

En effet à presque tout état microscopique x ∈ ΩN nous pouvons associer l’application γ ∈Γε définie par la condition

∀i∈[[1, N]], γ(i) =α où α∈[[1, M]] est l’unique indice tel que xi ∈qα.

Autrement dit, tout état microscopiquex peut être identifié avec une appli-cation [[1, N]] −→Ω, et γ s’obtient à partir de x par la discrétisation de Ω en M cellules. Le nombre total d’états est alors]ε(N) := CardΓε=MN. Ensuite, pour un « état macroscopique » caractérisé par(N1, N2) = (r1, r2), nous comptons combien d’états microscopiques dansΓεsont compatibles avec cet état macroscopique : siΩ1 etΩ2 sont réguliers, les nombres de cellules qα

dans respectivement Ω1 etΩ2 sont respectivement M1 'p1N et M2 ' p2N (avec une approximation d’autant plus bonne que ε est petit). Comme il y a M1r1 façons de répartir r1 particules dans M1 cellules et M2r2 façons de répartir r2 particules dans M2 cellules, le nombre d’états microscopiques est

]ε1,Ω2(r1, r2) = N!

r1!r2!M1r1M2r2. (2.13) A ce propos, nous pouvons retrouver, à l’aide de la formule de Stirling, une confirmation du fait déja illustré dans la section précédente, que parmi les MN configurations dansΓε, une écrasante majorité de configurations corres-pondent à (N1, N2)'(p1N, p2N). Il s’agit pour cela d’estimer (2.14) lorsque (r1, r2) = (p1N, p2N). Pour ce faire, dans un premier temps, nous avons, en utilisantp1+p2 = 1,

N!

(p1N)!(p2N)! ' NNeN√ 2πN pp11NNp1Nep1Npp22NNp2Nep2N

2πp1N√ 2πp2N

= 1

(pp11pp22)N

√ 1

2πp1p2N.

Et comme M1p1NM2p2N = (p1M)p1N(p2M)p2N = (pp11pp22)NMN, nous en dé-duisons que

]ε1,Ω2(p1N, p2N)' MN

√2πp1p2N. (2.14) Cette valeur diffère de ]ε(N) = MN, mais nous prétendons qu’elle est pra-tiquement la même ! Par là nous entendons que le facteur (2πp1p2N)−1/2 ne change pas l’ordre de grandeur. En fait cette observation est significative parce que la quasi totalité des états microscopiques correspondent à des confi-gurations où la différence entre(N1, N2)et(p1N, p2N)est d’ordre inférieur à

√N. Autrement dit et en répétant ce qui a été dit dans la section précédente à propos du paradoxe de Loschmidt, dès que r1/N diffère de façon signifi-cative dep1, le rapport]ε1,Ω2(r1, r2)/]ε1,Ω2(p1N, p2N)est extrêmement petit

(plutôt de l’ordre de 10N que de l’ordre N1/2). Il est donc plus commode de comparer les logarithmes de ces nombres que ces nombres eux-mêmes. Et comme les logarithmes de ces nombres sont encore gigantesques, il est aussi commode de les normaliser en les multipliant par une constante très petite.

Nous sommes ainsi conduits à la

Définition 1 On appelle provisoirement entropie (cinétique) d’un système thermodynamique à l’équilibre la quantité

ε1,Ω2(N1, N2) :=klog ]ε1,Ω2(N1, N2)

, (2.15)

où (N1, N2) représente l’état macroscopique du système, et où k '1,3.1023 est la constante de Boltzmann.

Ainsi, pour (N1, N2) = (p1N, p2N), on obtient en utilisant (2.14) S˜ε1,Ω2(p1N, p2N)'klog

MN

√2πp1p2N

=kNlogM−k

2(log(2πp1p2) + logN). En ayant en tête que d’une part, N ' 1023 et donc logN ' 23 log 10 et, d’autre part, k est très petit, nous voyons que k2 (log(2πp1p2) + logN) est totalement négligeable par rapport à kNlogM. Ainsi nous trouvons

ε1,Ω2(p1N, p2N)'kNlogM =klog]ε(N) = ˜Sε(N) (2.16) La présence du logarithme dans cette définition entraî ne aussi l’extensivité de l’entropie, à cause du facteur N devant le logarithme. De plus une autre vertu du logarithme est la suivante. En effet le nombre]ε1,Ω2(N1, N2)dépend deε. Par exemple si on diviseεpar deux, ce nombre sera multiplié par23N et, plus généralement, pourτ ∈]0,1[,]τ ε1,Ω2(N1, N2)'τ3N]ε1,Ω2(N1, N2). Ainsi notre définition de l’entropie présente le désagrément de dépendre du choix de l’échelle. Mais nous remarquons que, grâce au logarithme, il en résulte une indétermination deS à une constante additive−3N klogτ près. Cela est relativement satisfaisant, dans la mesure où, dans notre première définition de l’entropie, nous admettions que la valeur de celle-ci soit indéterminée à une constante additive près.