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De la professionnalisation journalistique à la professionnalisation politique au prisme du genre

B. Une posture méthodologique, théorique, politique et humaine ?

Armelle Le-Bras-Chopard160

ou Mariette Sineau, toutes ont participé du moins par leur expertise voire par leurs engagements aux combats pour la cause des femmes et la parité. Qu’apportaient de différent les chercheur.se.s de l’invention de l’élue ?

B. Une posture méthodologique, théorique, politique et humaine ?

Il ne s’agit pas ici d’unifier et de réifier une démarche qui, certes collective, a surtout permis d’inscrire des recherches individuelles dans une dynamique stimulante et productive. Nous étions parties avec l’idée de travailler sur les règles du jeu politique et de mesurer leur

153 Mariette Sineau et Janine Mossuz-Lavau, « Les femmes et la politique : les attitudes de gauche des 16-34 ans en milieu urbain », Revue française de science politique, 26 (5), 1976, pp. 929-956 . Elles publieront plus tard un ouvrage de synthèse consacré au comportement politique des femmes : Janine Mossuz-Lavau, Mariette Sineau, Enquête sur les femmes et la politique en France, Paris, Presses universitaires de France, Recherches politiques, 1983, 280 p. Les autres articles publiés à cette époque par Janine Mossuz-Lavau et Mariette Sineau, ensemble ou séparément sont principalement consacrés au vote et aux comportements politiques.

154 Mariette Sineau et Françoise Subileau, «Le militantisme féminin dans un parti de gauche en France: l’exemple du PCF», Revista del Instituto de Ciencias sociales, n°29, Diputacion Provincial de Barcelona, 1977, pp.201-217

155 Mariette Sineau, Les femmes et la vie politique, Paris, Economica, 1988.

156 Janine Mossuz-Lavau, Les Lois de l’amour: les politiques de la sexualité en France de 1950 à nos jours, Paris, Payot, 1991, 348 p.

157 On trouve ainsi dans le CV de Janine Mossuz Lavau tel qu’il est publié sur le site du Cevipof

http://www.cevipof.com/fichier/p_equipe/18/equipe_bibliographie_fr_mossuzlavau.pdf (consulté le 1er Juin 2015), la référence à un article qu’elle consacre dés 1966 à la politisation des questions de régulation des naissance, Janine Mossuz-Lavau, « La régulation des naissances: aspects politiques », Revue française de science politique, 16 (5), octobre 1966, pp.913- 939.

158 Armelle Lebras Chopard, Janine Mossuz-Lavau, Femmes en politique, Paris, L’harmattan, 1997.

159 On pense par exemple a l’ouvrage dirigé par Janine Mossuz Lavau, Femmes hommes pour la parité, Paris Presses de science po, 1998.

160 Armelle Lebras Chopard sera par exemple chargée de mission au ministère de l'Éducation nationale pour l’égalité des chances femmes/hommes dans l'enseignement supérieur entre 1999 et 2009.

plasticité. Cet angle d’attaque nous interdisait de nous situer dans les débats théoriques sur le féminisme et en particulier sur le féminisme différentialiste que nous étions à peu près toutes d’accord pour rejeter comme essentialiste. De fait, il ne s’agissait pas de penser que les femmes allaient effectivement faire de la politique autrement (et du même coup ré-enchanter grâce à leurs qualités toutes féminines le débat politique). Cet argument avait en effet été habilement mobilisé dans les débats autour de la loi de 2000 par les paritaristes pragmatiques, pour justifier la réforme dans un contexte de crise de la représentation politique et de divorce entre la classe politique et les citoyens161

. Renouveler le jeu politique, en introduisant de nouvelles têtes, utiliser l’argument de la « représentation miroir162 » pour imposer l’objectif paritaire semblait aussi efficace pour dépasser les débats théoriques qui avaient prévalu au moment de la réforme constitutionnelle de 1999. Si les paritaristes avaient ainsi réussi à déplacer le débat sur des questions « de bon sens », susceptibles de produire le consensus, notre parti-pris résolument sociologique (et empirique) nous a aussi permis de décaler les questionnements académiques (et les méthodes). Il ne s’agissait plus de réfléchir aux conditions de possibilité théorique163

de la réforme mais d’observer en pratique sa mise en œuvre.

Notre idée était alors d’engager des enquêtes de terrain sur l’entrée des femmes en politique, sur la manière dont la règle allait être utilisée au moment de concevoir les listes, et sur les effets de ce recrutement contraint de nouvelles entrantes sur la campagne, les résultats et plus tard, sur le fonctionnement du champ politique. C’est donc avec les instruments que nous offraient la sociologie politique que nous avons observé quelles candidates allaient être sélectionnées, comment les listes allaient être fabriquées, comment les candidates et les candidats allaient faire campagne, comment ils ou elles allaient user du fait d’être femme (ou homme ?) dans la compétition politique. Les élections municipales de 2001 constituaient par ailleurs un contexte favorable à l’observation d’une reconfiguration de la compétition politique et à une analyse des usages (différenciés) des capitaux politiques individuels et collectifs dans cette compétition. Ainsi armées de nos instruments de politistes, nous nous sommes lancées sur le terrain avec l’objectif de comparer dans ce contexte paritaire, les trajectoires, les manières de

161 Sur les mobilisations paritaires on se reportera à Laure Béréni, La bataille de la parité. Mobilisations pour la féminisation du pouvoir, op.cit.

162 Voir sur ce point Catherine Achin, « Représentation “miroir” versus parité. Les débats parlementaires relatifs à la parité revus à la lumière des théories politiques de la représentation », Droits et Société, n°47, 2001.

163 Voir sur ce point Eric Fassin, « La parité sans théorie. Retour sur un débat », Politix, Vol 18, n°60, 2002, pp.19-32

faire des candidats et celui des candidates. C’est cette comparaison qui nous tenait à cœur et c’est certainement aidée par Eric Fassin, formidable connaisseur de la littérature anglophone sur le sujet, que nous sommes progressivement passé.e.s d’une analyse des femmes et des hommes en politique (ce qui était, nous le considérons encore aujourd’hui, un progrès par rapport à la question jusqu’alors étudiée des « seules » femmes en politique) à une analyse des rapports de domination et des rapports sociaux de sexe que la compétition politique permettaient, peut-être plus que tout autre, d’observer. Il fallait dès lors étudier non seulement ces rapports sociaux de sexe mais aussi ce qu’ils faisaient à la compétition politique et en quoi le champ politique produisait et reproduisait le genre. C’est donc très rapidement à une analyse des mécanismes de domination masculine et à la construction (historique) de ces mécanismes dans l’espace politique que nous nous sommes intéressé.es.

Les choses n’ont pas été forcément été faciles à imposer dans la discipline. Car au-delà des blagues lourdes de certains de nos collègues sur le fait de travailler sur les femmes, notre approche (en terme de rapports sociaux de sexe) heurtait d’une autre manière les tenants de la sociologie politique critique. En effet, du côté des politistes et des sociologues que nous fréquentions, les choses n’étaient (ne sont toujours ?) pas évidentes lorsqu’il s’agit de produire des analyses en terme de genre. Dans de nombreuses réunions, tout se passait comme si travailler sur les femmes c’était d’abord et avant tout trahir la classe sociale (et politiquement les classes populaires), comme si révéler les rapports de domination entre les femmes et les hommes c’était oublier les autres rapports de domination. Outre le mauvais procès de l’essentialisation des femmes qui nous était fait, c’était aussi laisser croire que nous pourrions oublier que les femmes sont par ailleurs des ouvrières et des bourgeoises (des noires, des blanches, des hétérosexuelles, des homosexuelles etc.). Ainsi, si on ne faisait jamais le reproche aux spécialistes des partis politiques d’oublier que Ségolène Royal était aussi une femme (et Nicolas Sarkozy un homme), il semblait pour beaucoup de nos collègues difficile de penser qu’elle le fut (et que cela puisse avoir des effets sur sa trajectoire d’énarque, sur sa candidature, sur son traitement journalistique par exemple). Après une franche hostilité nous avons peu à peu été admises (ou tolérées) dans des tables rondes réputées sérieuses et surtout pas spécialisées sur la question des femmes et de la

parité164

mais sans longtemps réussir à convaincre nos collègues politistes (ou non d’ailleurs) mais qui travaillent sur des sujets « sérieux », comme les partis politiques, les élections ou l’Europe d’intégrer « le genre comme catégorie utile d’analyse politiste » (pour paraphraser Joan Scott). Aujourd’hui encore, je mesure l’illégitimité du sujet aux propos parfois blessants tenus par de vieux amis qui considèrent que tout ça, finalement n’est tout de même pas bien sérieux, ni académiquement ni politiquement165

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