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De la professionnalisation journalistique à la professionnalisation politique au prisme du genre

D. L’invention de l’élu.E et ses prolongements institutionnels

L’Invention de l’élu.E a aussi modestement contribué à la reconnaissance et finalement une forme de « renaissance » de l’objet « femmes », dans la discipline et à introduire des questionnements sur le genre notamment en les rendant visibles à l’Association française de science politique. Au-delà, l’aventure s’est aussi poursuivie à Paris 1, agrégeant de nouveaux et nouvelles partenaires de travail.

De l’AFSP…

Alors que nous commencions à produire à titre individuel et collectif des travaux sur la question, nous avons aussi cherché à présenter hors de notre cercle et de nos journées d’études les travaux de l’Invention de l’élu.E. Dès 2002, nous avons ainsi proposé à Lille un atelier « Invention de l’élu.E » au congrès de l’AFSP171

. Organisé par Catherine Achin (alors ATER à l’UVSQ) et Frédérique Matonti alors à Nantes, « l’ambition principale » de cet atelier était d’« apporter un regard nouveau sur "l’objet femme en politique" en intégrant dans l'analyse une dimension trop souvent négligée par les gender studies : la spécificité de l’espace des activités politiques ». Cherchant à inventer un format plus dynamique, les intervenant.es étaient invité.es à s’insérer à partir de leurs enquêtes, dans les trois thématiques choisies pour cet atelier : celle du recrutement du personnel politique ; celle des pratiques politiques et des processus de mobilisation et enfin celle de la représentation des femmes (médiatique notamment). L’ambition était donc clairement affichée : introduire dans la science politique les problématiques des gender

171 Participation à l’atelier "Invention de l’élue" au congrès de l’Association française de science politique, Lille 21 septembre 2002. (http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/congreslille/congres2002home.html)

studies qui avaient été affichées comme telles, pour la première fois dans le programme d’un congrès de l’AFSP172

.

En 2007, au congrès de Toulouse, c’est une section thématique (nouveau format adopté par l’AFSP) qui a été proposée173

. Organisée dans le cadre du groupe nouvellement créé à l’AFSP (voir infra), intitulé « Actualité du genre en campagne » et centré sur les élections de 2007, la section thématique s’ouvrait à des collègues d’autres disciplines, des sociologues (comme Yannick Le Quentrec et Catherine Rieu de l’historique laboratoire toulousain Simone Sagesse) et des spécialistes d’info com’ comme Virginie Julliard174

qui deviendra une interlocutrice régulière de nos débats. En 2009 à Grenoble, toujours dans le cadre du groupe « Genre et politique » de l’AFSP, nous avons animé Catherine Achin et moi-même la section thématique intitulée Le métier politique à l'épreuve de sa féminisation. Genre et (re)définition des rôles politiques175

. L’organisation de cette section thématique marquant la volonté de rompre définitivement avec la question « des femmes en politique176

» et de s’interroger sur la construction du métier, sur ses implicites et sur ce que la féminisation de la vie politique révèle de ces implicites. En 2013, mais

172 En 2005, à Lyon le groupe Invention de l’élu.E n’a pas présenté d’atelier mais les questions de genre ont tout de même été abordées dans un atelier intitulé « Genre et actions Publiques en Europe » animé par Sandrine Dauphin et Réjane Sénac, http://www.afsp.msh-paris.fr/archives/congreslyon2005/lyon2005.html

À partir de ce moment là, les questions de genre, et de sexualité ont toujours été présentes au congrès de l’AFSP grâce à de jeunes (et moins jeunes) chercheur.es désormais engagé.es sur ces terrains.

À Grenoble en 2009, Isabelle Engeli et Pierre Muller ont animé une ST consacrée à Genre et politique publiques de la découverte mutuelle au dialogue (http://www.afsp.info/congres2009/index.html ) ;

David Paternotte et Bruno Perreau ouvrent le débat scientifique sur les questions de sexualité, en animant une ST consacrée à Science politique et sexualité en francophonie : un état des lieux

(http://www.afsp.info/congres2009/index.html ).

En 2011 à Strasbourg, c’est Réjane Sénac et Maxime Forest qui ont proposé une ST intitulée, Des politiques d’égalité aux politiques de l’identité : parité, diversité, intersectionnalité

http://www.afsp.info/congres2011/index.html

Emilie Le Biland et Wilfried Lignier ont animé de leur côté une ST sur La justice au prisme du genre : approches comparées http://www.afsp.info/congres2011/index.html

Amélie Le Renard et Elisabeth Marteu, ont proposé quant à elles une ST sur Genre et Nation (http://www.afsp.info/congres2011/index.html )

173 Co-organisation du module du groupe de travail « genre et politique » de l’AFSP, Actualité du genre en campagne, Congrès de l’AFSP, Toulouse, septembre 2007. http://www.afsp.msh-paris.fr/congres2007/index.html

174 Virginie Julliard, Émergence et trajectoires de la parité dans l’espace public médiatique (1993-2007). Histoire et Sémiotique au profit d’une étude sur le genre en politique à l’occasion du débat sur la parité, thèse d’information et communication, Université Paris 2, dirigé par Frédéric Lambert, 2008. Cette thèse a été publiée : Virginie Julliard, De la presse à Internet. La parité en questions, Paris, Lavoisier, coll. « Traitement de l'information », 2012, 286 p

175http://www.afsp.info/congres2009/index.html

176 Du même coup, ce désaccord de fond, nous a conduits à diviser cette année là les activités du groupes Genre de l’AFSP en deux. Mariette Sineau devait ainsi organiser avec Manon Tremblay et dans le cadre des activités du congrès des quatre associations francophones, une section thématique centrée sur les comparaisons internationales et la place des femmes dans la vie politique (qui n’a pas finalement vu le jour). Nous avons présenté un projet sur le genre en politique.

nous y reviendrons, c’est une table ronde sur la sexualité et les questions sexuelles que nous avons animée Frédérique Matonti et moi-même.

Les événements de l’AFSP ont permis « d’installer » progressivement dans la science politique française, la question du genre. Ces rencontres scientifiques ont aussi été un moyen de nous retrouver régulièrement, de garder le contact entre nous et de faciliter ainsi le lancement de nouveaux projets. La mise en place d’un groupe de travail sur Genre et politique a pérennisé nos collaborations et permis une meilleure visibilité de nos recherches. On doit à Yves Déloye la proposition de créer en 2004/2005 ce groupe AFSP « Genre et politique ». Il devait permettre de réunir les différentes générations de chercheur.es sur le sujet. C’est Pierre Leroux et Catherine Achin qui ont partagé avec Mariette Sineau la direction de ce groupe à ses débuts ; j’ai ensuite remplacé Pierre Leroux, puis assuré seule la direction avec Mariette Sineau. Les activités de ce groupe consistaient principalement en l’animation d’un séminaire mensuel où nous invitions des auteurs d’ouvrages récemment (ou non) sortis. Nous avons ainsi eu le plaisir d’ouvrir notre séminaire à des chercheur.es d’autres disciplines que la science politique comme Elsa Dorlin177, Fabrice Virgili178

ou Baptiste Coulmont179

; à des chercheur.es étrangères comme Amy Mazur ou Manon Tremblay … Cette ouverture vers d’autres sujet de recherche (la sexualité notamment) et d’autres problématiques (l’intersectionnalité, l’intrication des rapport de genre et de race) ne s’est pas faite sans heurt, Mariette Sineau ayant une vision plus « classique » de l’objet « femmes en politique ». La cohabitation s’est donc arrêtée en 2009 au moment du congrès de Grenoble où nous avons choisi, contrairement aux consignes de l’AFSP, de scinder l’atelier Genre et politique en deux et d’en animer chacune une partie (avec la partenaire de notre choix). Personne parmi l’Invention de l’Elu.E n’a eu l’énergie de me remplacer et le groupe a été un moment repris en main par Mariette Sineau et Armelle Le Bras Chopard (2008-2012) sans que je suive très précisément ses activités180

.

Le genre, la parité dont l’approche était profondément renouvelée trouvait un regain dans notre discipline portée par de jeunes chercheur.es qui, à Science po comme ailleurs, ont soutenu leur

177 Elsa Dorlin, La matrice de la race. Généalogie sexuelle et coloniale de la nation française, Paris, La découverte, collection textes à l’appui/genre & sexualité, 2006.

178 Fabrice Virgili, La France "virile". Des femmes tondues à la Libération, Paris, Payot, 2000 ; rééd. Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2004

179 Baptiste Coulmont, Sex-shops. Une histoire française, Dilecta, 2007, 263 p.

180 Sur le site de l’AFSP, on trouve encore la trace d’un programme proposé par le groupe Genre et politique, jusqu’en juin 2012.

thèse et ont trouvé par la suite des débouchés académiques. Outre les « filles » de l’Invention de l’élu.E (Catherine Achin, Lucie Bargel Stéphanie Guyon, ou Aurélia Troupel), d’autres thésardes ont soutenu dans un laps de temps assez court une thèse sur ces questions. Ce fut le cas, sur la parité de Réjane Sénac181

, d’Eléonord Lépinard182

ou de Laure Béréni183

; sur les politiques publique d’Anne Révillard184

ou sur les questions d’égalité de Juliette Rennes185

(pour ne citer que celles qui par la suite sont devenues nos collègues). S’était par ailleurs constitué autour de Pierre Muller un groupe sur « Genre et politiques publiques » qui couvrait une autre importante sous-spécialité disciplinaire. Nous le fréquentions dans les congrès internationaux et ailleurs et pouvions entamer de nouvelles et fructueuses collaborations.

A Paris 1

Si l’aventure d’animation de la recherche s’est arrêtée à l’AFSP, elle s’est poursuivie à Paris 1 et a connu des prolongements pédagogiques encore en chantier. À l’initiative de plusieurs collègues de Paris 1, historienne antiquisante comme Violaine Cuchet-Sebillote, démographe comme Armelle Andro, ou géographe comme Marianne Blidon, j’ai eu la chance de participer à la fondation d’un axe transdisplinaire sur le genre à Paris 1186. Les activités de ce groupe ont été à ses débuts très importantes. Ce projet comptait deux autres politistes de l’Invention de l’élu.E : Delphine Dulong et Frédérique Matonti. Outre les réunions de constitution du groupe lui-même, nous avons participé au séminaire qui la première année permettait à chaque représentant.e des disciplines de Paris 1 de mieux se connaître. Deux premières journées d’étude ont été organisées. Nous avons participé avec Delphine Dulong, Frédérique Matonti et Fabrice Virgili à l’organisation de l’une d’elles, le 15 juin 2011 ouverte aux « Jeunes Chercheur-es » sur le thème

181 Réjane Sénac- Slawinski, Identités sexuées et altérité démocratique » Les représentations des différences hommes-femmes dans la société française aujourd’hui, IEP de Paris, dirigée par Janine Mossuz Lavau et Marc Sadoun, 2004

182 Eléonord Lépinard, L'égalité introuvable : stratégies de légitimation et mise en oeuvre de la parité politique en France, Thèse de sociologie, EHESS, dirigé par Marie Claire Lavabre, 2004. J’ai fait un compte rendu de l’ouvrage tiré de cette thèse « L’égalité introuvable. La parité, les féministes et la République » Paris Presse de Sciences Po 2009, dans la revue Travail Genre et société N° 21, avril 2009.

183 Laure Béréni, De la cause à la loi. Les mobilisations pour la cause de la parité (1992-2000), Université de Paris 1, dirigé par Johanna Siméant, 2007.

184 Anne Revillard, La cause des femmes dans l’État, Une comparaison France-Quebec, ENS Cachan dirigée par Jacques Commaille et Jane Jenson, 2008.

185 Juliette Rennes, Le mérite et la nature : une controverse républicaine : la mixité du prestige professionnel, Thèse université de Paris 1, dirigée par Pierre Birnbaum, 2005. J’ai aussi rédigé un compte rendu de l’ouvrage tiré de cette thèse, Justifier l’injustifiable : fonder l’inégalité sexuelle dans la République, dans la revue électronique EspacesTemps.net, mis en ligne le 16.03.2009 http://espacestemps.net/document7700.html

« Pouvoir des femmes. Pratiques, représentations, effets ». Cette journée a été l’occasion d’entendre de jeunes doctorant.es ou docteur.es de disciplines différentes (l’histoire, les lettres, la philosophie, la préhistoire ou les arts plastiques) intervenir sur des thèmes aussi variés que « La philanthropie des parisiennes au 19e siècle, (Rimbault Aurélie-Centre d'histoire sociale du XXe siècle-Paris 1), « Les femmes entrepreneurs dans l'art contemporain en Inde » (Ithurbide Christine - SEDET-Paris 7), « Le catalogue des femmes d'Hésiode » (Kyriakou Irini - EHESS) ou « Le statut de reine héritière à la fin du Moyen Age, au travers du cas de Jeanne 1ere d'Anjou, Reine de Naples » (Vandamme Sarah-Études Italiennes, Lille 3) pour ne citer que quelques exemples187.

Cette activité de recherche a permis de consolider le sous-axe « genre » du CRPS, de renforcer sa visibilité au sein du CESSP et de développer sereinement l’offre de formation sur ces questions au sein du département de science politique188

.

Par-delà la découverte d’éventuels axes communs de recherche, il s’agissait surtout de faire un état des lieux des recherches et d’envisager de possibles collaborations entre enseignant.es de diverses disciplines enseignées à Paris 1. Il existe désormais grâce à Marianne Blidon et Violaine Cuchet-Sebillote une offre de formation transdisciplinaire sur le genre à Paris 1. En effet, dans le cadre d’un programme financé, elles ont mis en place une réflexion qui a permis d’aboutir à la création et à l’ouverture d’un certificat d’études de genre (en formation initiale puis continue), destiné aux étudiant.es et à un public de professionnel.les susceptibles d’être intéressé.es par ces questions (journalistes, enseignant.es, élu.es etc.). Si les sessions de formation continue n’ont pas été ouvertes en 2015, quelques étudiant.es ont d’ores et déjà suivi l’offre de cours du certificat.

Ainsi si l’invention de l’élu.E est à l’origine d’une dynamique collective de recherche ayant des prolongements institutionnels et ayant contribué, même modestement, à introduire les problématiques de genre en science politique, il marque surtout pour moi une véritable réorientation de mes recherches.

187https://www.univ-paris1.fr/axe-de-recherche/laxe-transversal-genre/manifestations-scientifiques/

188 Outre le séminaire de Delphine Dulong consacré à « Genre et développement » dans le master coopération et développement, les étudiant.es de M1 suivent désormais un cours intitulé « Classe, Race, Genre » dispensé par Frédérique Matonti. A la rentrée 2015, les étudiant.es de la nouvelle licence de science politique vont suivre un cours d’introduction aux études de genre que j’assure. Les nouvelles maquettes du M2 de science politique prévoient elles aussi un cours d’analyse sociologique du genre qui ouvrira à la rentrée 2016.

§ 3. Ce que l’Invention de l’élu.E a fait à mes recherches.

L’invention de l’élu.E a ainsi permis de réorienter mes intérêts de recherche et les problématiques dont j’étais jusqu’alors familière. Si au début de cette aventure, et en lien avec mon arrivée à Paris 1, j’ai continué à travailler sur la question de la médiatisation des mouvements sociaux (en particulier sur la question des altermondialistes et de l’enquête dirigée par Isabelle Sommier et Eric Agrikoliansky sur le FSE de 2003, voir supra), j’ai très vite concentré mon attention et mes enquêtes de terrain sur la mise en œuvre de la parité et à ses effets sur le champ politique. Plusieurs travaux (consultables dans le volume 2) sont significatifs de ce tournant dans mes recherches. Commencés dans un cadre collectif, ces travaux se sont ensuite portés sur les municipales à Paris, et sur les questions sexuelles.