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Diffuser la recherche et rendre accessible les problématiques du genre

De la professionnalisation journalistique à la professionnalisation politique au prisme du genre

C. Diffuser la recherche et rendre accessible les problématiques du genre

Tout en continuant à mener et à publier des recherches originales et empiriquement fondées, j’ai engagé – souvent avec d’autres de mes camarades de l’Invention de l’élu.E, une démarche de « valorisation de la recherche » en direction des étudiant.es (avec la publication d’un manuel) et en direction du « grand public » avec des interventions dans les médias et dans des réunions publiques.

Si la date de publication (2006) du « Repères » est antérieure à la sortie de Sexes, genre et politique, il correspond tout de même au prolongement des enquêtes menées dans le cadre du groupe Invention de l’élu.E. Alors que nous avions déjà publié sur la question, Françoise Dreyfus m’a sollicitée pour l’écriture d’un Repères, collection dont elle s’occupait pour la science politique à La Découverte. J’avais pris goût à l’écriture collective et je souhaitais partager cette aventure et c’est Catherine Achin qui s’est engagée avec moi sur ce projet. La consigne était donc de finaliser assez rapidement (on évoquait déjà une éventuelle candidature féminine à l’élection présidentielle de 2007), un ouvrage de synthèse sur les femmes en politique. L’exercice du Repères est à la fois excitant et complexe, excitant car complexe222. Il ne s’agit pas de rendre compte d’un travail empirique inédit, comme nous y étions habituées mais de réaliser une synthèse des travaux existants en offrant un angle problématique et une vision de l’objet traité, le tout dans un format relativement restreint (250 000 signes environ). Comment avons-nous abordé l’exercice ? D’un côté, nous avions trop lu d’ouvrages de synthèse qui constituaient en fait une prise de position théorique parfois salutaire et utile mais qui en quelque sorte trompaient le client (principalement étudiant) sur la marchandise. Nous souhaitions ainsi faire un livre rigoureux et accessible mais d’une portée théorique plus modeste que celle du Que sais-je publiée par Michel Offerlé qui, certes a révolutionné l’étude des partis politiques, mais qui était d’un abord difficile pour bon nombre d’étudiant.es de première année. D’un autre côté, nous voulions aussi échapper à la synthèse (chronologique par exemple) qui « aplatit » le sujet et lui enlève toute dimension « réflexive ». Le Que-Sais-Je ?223

qui existait à l’époque sur les femmes en politique représentait

222 Erik Neveu, «Les manuels de science politique. Relève de génération et variations d’un genre académique», in Pierre Favre, Jean-Baptiste Legavre, dir., Enseigner la science politique, Paris, L’Harmattan, 1998, p.63-90.

223 Veronique Helft-Malz et Paule-Marie Levy, Les femmes et la politique française, Paris PUF, Collection QSJ, 2000.

ainsi un contre-modèle au sens où s’il fournissait des informations sur le sujet, mais il n’offrait aucun point de vue et n’exposait aucun parti pris théorique.

Notre idée dés lors, était simple, se déployant selon quatre entrées : le vote (Femmes et citoyenneté politique), le militantisme (Femmes et engagements), l’accès à la vie politique (Femmes et professionnalisation politique) et les politiques publiques (Femme comme objets de politiques). Nous souhaitions, pour chacune des entrées choisies, interroger le décalage existant entre un ordre social plutôt favorable aux revendications égalitaristes et un ordre politique finalement relativement imperméable à ce type d’injonctions. Ce fil rouge nous a permis de problématiser la question, celui du paradoxe (ou je dirais même des paradoxes) français (puisque la consigne et les contraintes de place interdisaient d’aller plus loin que quelques comparaisons internationales ponctuelles). Nous avons ainsi essayé de comprendre pourquoi la France est le pays qui connaît le plus grand écart entre la reconnaissance du suffrage masculin et féminin et pourquoi malgré un ordre social plutôt favorable aux femmes (avec des politiques publiques égalitaires relativement développées), elles restaient exclues de l’ordre politique.

La sortie du « Repères » a eu des effets importants. Nous avons été très sollicitées avec Catherine Achin pour intervenir dans les médias, dans des réunions publiques ou institutionnelles sur la parité (voir encadré). La candidature de Ségolène Royal à l’élection présidentielle de 2007 a accéléré le processus. Et s’est de nouveau posée la question du statut des prises de position publiques des chercheur.es en sciences sociales.

Interventions médiatiques, réunions publiques et institutionnelles suite à la sortie du Repères

• 8 décembre 2006 : « Les femmes en politique », émission Radio Aligre « Recherches en cours ». • 15 décembre 2006 : « Les femmes dans l’espace public », conférence Conseil général, Créteil.

• 8 mars 2007 : « 1945-2007 : où en est-on de l’égalité des sexes en politique ? », conférence Association Droits des femmes, Mairie d’Aubervilliers.

• 8 mars 2007 : « Du grain à moudre » Julie Clarinie, Brice Couturier, Bilan de la parité, La femme est-elle un animal politique ?

La parité dans la loi, l'inégalité dans les faits ?

http://www.franceculture.com/emission-la-parit%C3%A9-dans-la-loi-l-in%C3%A9galit%C3%A9-dans-les-faits-2007-03-08.html

• Le 10 avril 2007 : « La parité peut être un piège », entretien avec Cécile Daumas et Catherine Achin, Libération,

http://www.liberation.fr/cahier-special/010199083-la-parite-peut-etre-un-piege

• 3 mai 2007 : Le vote féminin, arlésienne de Ségolène Royal par ROTMAN Charlotte

Les électrices, surreprésentées chez les retraités, ont davantage voté pour Nicolas Sarkozy au premier tour. http://www.liberation.fr/evenement/0101101143-le-vote-feminin-arlesienne-de-segolene-royal

• 4 février 2008 : Les rencontres Egalité homme/femme au Conseil régional de Haute Normandie, Rouen. • 25 janvier 2008 : « Femmes politiques, femmes en politique », cycle Les rencontres du Pré, animé par Myriam Marzouki, Le Pré St Gervais http://egalite-filles-garcons.ac-rouen.fr/spip.php?article74

Au-delà des interventions plutôt didactiques et pédagogiques, j’ai été en effet aussi amenée à participer au débat public sur ces questions d’égalité notamment au moment des controverses relatives à la supposée théorie du genre. Ainsi en février 2014, j’ai été associée à une tribune qui, prenant prétexte de l’actualité du recul gouvernemental sur les ABCD de l’Égalité, revenait sur l’ambivalence de son action à l’égard des politiques égalitaires, en particulier celles qui auraient pu prolonger le mariage pour tous224

. Avec Laure Béréni et Frédérique Matonti, je suis intervenue dans le cadre d’un café politique organisé le 27 mai 2014 par le Labex Tepsis, ayant pour thème « La question du genre. Rétablir quelques vérités sur le genre »225

. Enfin en octobre 2014, nous avons publié avec Catherine Achin (et pour prolonger la sortie de notre article dans Actes de la recherche en sciences sociales226

) une tribune agacée après les élections sénatoriales qui n’avait guère permis une progression de la parité dans la Chambre haute227

et avons participé, dans un café politique, à un débat sur l’entre soi masculin.

Ces trois interventions s’inscrivent dans le contexte particulier des mobilisations contre le mariage pour tous et des attaques répétées des groupes conservateurs à l’égard de toutes les politiques d’égalité. Si ces interventions restent modestes – et sans aucun doute peu audibles pour un large public – elles participent sans aucun doute à la politisation du débat. Et si le simple fait, pour une femme de prendre la parole et de se montrer dans l’espace public n’est plus, comme c’était le cas pour les journalistes de la Fronde, un véritable acte militant, il n’en reste pas moins, quand on constate la place qu’occupent encore les femmes dans les médias, qu’il y a encore quelque chose de transgressif à devenir « experte228

» – même pour parler des femmes. Ma participation à

224 « Théorie du genre : la désolante capitulation gouvernementale » (Le Monde, 6 février 2014)

(avec Lucie Bargel, Laure Bereni, Michel Bozon, Delphine Dulong, Eric Fassin, Rose-Marie Lagrave, Frédérique

Matonti, et Florence Rochefort).

http://www.lemonde.fr/idees/article/2014/02/06/theorie-du-genre-desolante-capitulation-gouvernementale_4361045_323

225http://tepsis.hypotheses.org/1749

226http://lmsi.net/L-entre-soi-masculin-en-politique

227http://www.liberation.fr/politiques/2014/10/05/la-parite-en-politique-une-revolution-conservatrice_1115386

228 J’ai fini par m’inscrire en 2015 au guide des expertes, qui visent à palier la sous-représentation de la parole des femmes « expertes » dans l’espace public et les médias. http://epoke.fr/guide-des-expertes/

l’édition 2015 du Global Media Monitoring Project229

n’a fait que confirmer la longueur du chemin à parcourir en matières d’égalité femmes-hommes dans les médias.