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Une politique fiscale qui favorise l’opacité

Chapitre II État des travaux

2.3 Une politique fiscale qui favorise l’opacité

En plus d’offrir certaines formes d’anonymat, les États-Unis adoptent un comportement qui nuit à la transparence financière dans l’application de leur loi fiscale. À ce sujet, Spencer et Sharman (2006, 38) ont démontré que la position américaine se traduit par une forme de secret bancaire de facto. Les auteurs démontrent que seuls les résidents et non-résidents dont l’activité économique se fait aux États-Unis se voient imposer des obligations de déclaration automatique d’information52. De plus, selon les auteurs, la conformité des États-Unis aux directives européennes sur l’échange d’information et la taxation des paiements d’intérêts transfrontaliers n’est pas claire, puisqu’ils ne sont pas contraints d’appliquer la norme d’échange automatique d’information, situation qui peut faciliter l’évitement fiscal d’entreprises étrangères installées aux États-Unis. En fait, non seulement ils ne partagent pas l’information, mais celle-ci n’est pas collectée par l’IRS. En sol américain, les non-résidents sont exemptés d’impôt sur les intérêts générés par leurs dépôts bancaires. Langer (2001) démontre que le Congrès a débattu la question à plusieurs occasions pour rendre permanente l’exemption accordée aux non-résidents en 197653. Cette politique fiscale du Congrès américain semble dirigée par une volonté d’attirer les capitaux étrangers en sol américain. C’est l’avis de Mitchell (2003), qui explique que les révisions de la loi fiscale apportées dans les années 1980 (Tax Reform Act 1976 et 1986) avaient manifestement

52. L’IRS n’impose pas d’obligation de déclarations automatiques de revenus d’intérêts aux entreprises américaines et étrangères engagées dans le commerce ou une activité économique en territoire américain. Il en est de même pour les non-résidents et entreprises étrangères qui n’ont pas d’échanges commerciaux ou d’activités économiques aux États-Unis. Ceci est valide pourvu que certaines conditions administratives soient remplies (Spencer et Sharman 2006).

53. Langer (2001) indique qu’à l’époque, les arguments justifiant cette décision incluaient le fait que dans certains centres financiers américains tels que Miami, les dépôts d’Amérique Latine pouvaient représenter jusqu’au tiers du total des dépôts bancaires et qu’aucune institution bancaire ne pourrait survivre à la perte du tiers de ses dépôts.

cet objectif. Nous verrons cette question plus en détail au chapitre V, puisque notre étude de cas sur le projet de règlement REG 126100-00 y est directement reliée.

Il semble que la recherche d’investissements étrangers a souvent mené les États- Unis à assouplir leurs lois fiscales au détriment de la transparence financière (Helleiner dans Underhill 1999, Langer 2000, Kudrle 2003, Hudson dans Schaeffer 2008). Selon Hudson (dans Schaeffer 2008), il y a longtemps que les États-Unis ont décidé qu’ils jugeaient nuisible de taxer les obligations gouvernementales détenues à l’étranger, « sous prétexte que cela découragerait les masses de capitaux spéculatifs étrangers […] de détenir des bons du Trésor » (traduction libre, Hudson dans Schaeffer 2008). Dans les années 1980, les États-Unis ont abandonné toute forme de retenue d’impôt à la source. Selon Kudrle (2003, 61-62) et Langer (2000), le prétexte utilisé était qu’un haut niveau de taxation (imposé de manière unilatérale) rendrait les emprunts plus chers et réduirait la compétitivité des emprunteurs. Ceci, affirment-ils, aurait eu pour effet d’augmenter le recours aux paradis fiscaux.

D’autres politiques fiscales permettent aux non-résidents de cacher certains revenus aux autorités de leur pays, favorisant ainsi l’évasion fiscale. Spencer et Sharman (2006, 41) illustrent par exemple que la loi fiscale américaine prévoit aussi que l'intérêt sur les obligations au porteur émis à des non-résidents peut être déduit. Or, comme les titres appartiennent à celui qui les détient et que l’émetteur n’a normalement pas d’information sur le bénéficiaire effectif, l’échange d’information entre les États-Unis et le pays d’origine du bénéficiaire risque d’être difficile. Spencer et Sharman (2006, 41) ajoutent que la règle d’intermédiaire qualifié (IQ), procédure par laquelle une institution financière étrangère (ou une filiale étrangère d’une institution américaine) peut devenir un intermédiaire entre l’IRS et des investisseurs étrangers, permet de protéger l’identité de ces investisseurs puisque l’information les concernant est présentée aux autorités de manière agrégée. Ce faisant, elle est transférée des États-Unis à une entité étrangère, opérée dans une juridiction étrangère, généralement une institution privée. Ce procédé réduit la transparence et la capacité des États-Unis de fournir aux juridictions étrangères de l’information relative à l’évasion fiscale qui s’opère en sol américain. Walter (1990, 234) donne un autre exemple de ce type de politique. Celui-ci montre que les États-Unis,

après avoir éliminé les actions au porteur en 1983, avaient créé les titres nominatifs spéciaux (special registered securities). L’ayant droit économique devait prouver à sa maison d’investissement qu’il n’était pas résident des États-Unis. En retour, la maison d’investissement n’avait pas à divulguer son identité au département du Trésor lui offrant ainsi la possibilité de ne pas déclarer les revenus d’intérêts sur ces titres.

Pour récapituler, nous avons présenté ici les travaux des chercheurs qui ont illustré que la politique fiscale américaine contribue à diminuer la transparence, notamment parce qu’elle nuit à l’échange d’information fiscale. Les travaux de Langer (2001), de Mitchell (2003) et de Spencer et Sharman (2006) mettent aussi la table pour notre étude de cas. Contrairement à l’état des travaux traitant de l’enregistrement des bénéficiaires effectifs (section précédente), les travaux cités ici s’appuient sur des cas précis où le gouvernement américain a pris position, notamment en ce qui concerne les réformes fiscales des années 1980. Dans la section qui suit, nous voyons aussi que la concurrence fiscale à laquelle se livrent les États-Unis contribue à l’opacité financière en nuisant à la lutte à l’évasion fiscale.