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Rôle des pays occidentaux dans le développement de l’offre extraterritoriale

Chapitre II État des travaux

2.1 Rôle des pays occidentaux dans le développement de l’offre extraterritoriale

Nous avons vu au chapitre I que les centres financiers extraterritoriaux (CFE) sont intimement reliés au concept d’opacité financière, notamment à cause de leur manque de transparence, d’une certaine faiblesse de leur règlementation financière, de leur manque de coopération et de la force du secret bancaire qui y règnent généralement. Plusieurs auteurs s’entendent aussi sur le fait qu’ils sont utilisés par le crime organisé pour des fins de blanchiment (Blum et al. 1998; Godefroy et Lascoumes 2002; Godefroy et Lascoumes 2004; Chavagneux et Palan 2004; De Maillard 2004; Naylor 2004;

Rosdol 2007)38. Cela dit, Naylor (1989), Underhill (1999), Chavagneux et Palan (2006), Zoromé (2007), Sharman (2006), Picciotto (2007) et Hudson dans Schaeffer (2008) illustrent comment les États-Unis et le Royaume-Uni ont facilité le développement des paradis fiscaux39. Or, comme les paradis fiscaux sont accusés de réduire la transparence financière, l’influence des pays occidentaux dans leur développement équivaut à favoriser l’opacité.

2.1.1 Le lien entre le développement des centres financiers

extraterritoriaux et les États-Unis

Le développement des places extraterritoriales est largement associé à celui des marchés d’eurodevises (un marché de dépôts de dollars américains à l’extérieur des États-Unis) dans les années 1960-1970. Selon Zoromé (2007), il s’agit d’une réaction des banques internationales à la mise en place de règlementations restrictives visant à augmenter le contrôle des flux de capitaux. Pour l’auteur, ces restrictions ont encouragé une réorientation des dépôts bancaires et des emprunts vers des endroits où la règlementation est plus souple :

Ainsi, « l’effet combiné des régimes de règlementation intraterritoriaux de plus en plus restrictifs et des nouvelles occasions d’affaires à l’étranger, engendrés par le retour de la convertibilité totale des actifs des non-résidents en Europe, ont fourni une impulsion aux institutions financières et grandes multinationales pour délocaliser et augmenter le volume de leurs activités financières extraterritoriales » (traduction libre, Zoromé 2007, 26).

Le marché des eurodevises étant né au Royaume-Uni, c’est à Londres que les grandes banques américaines installent d’abord des filiales. Hudson (dans Schaeffer 2008) indique que les banques peuvent y détenir des dépôts bancaires sans qu'il n'y ait d'impact sur les obligations de réserve de capitaux de la maison-mère aux États-Unis. Outre l’imposition de contrôles sur les flux de capitaux, le développement du marché des eurodevises a été activement influencé par les États-Unis et le Royaume-Uni. Hudson

38. Voir aussi les différents rapports de l’OCDE sur le sujet. 39

(dans Schaeffer 2008) explique que les administrations Johnson et Nixon ont mis en place des mesures pour attirer les capitaux spéculatifs étrangers, de manière à financer la guerre du Vietnam sans réduire la consommation américaine et sans devoir « vendre » de larges parts de l’économie américaine à des intérêts étrangers. Hudson soutient que le département du Trésor et le département d’État encourageaient les banques à s’installer dans les centres financiers extraterritoriaux de manière à y attirer des capitaux étrangers en devises américaines. Ainsi, selon l’auteur, les États-Unis concluaient que des dollars détenus dans des filiales de banques américaines en sol étranger auraient le même effet, en matière de balance des paiements, que des dépôts bancaires aux États-Unis.

Au Royaume-Uni, selon Hudson (2008), les besoins en investissements étrangers amènent le gouvernement à assouplir ses règlementations. L’auteur explique que le Royaume-Uni ne se contente pas d’encourager les banques locales à ouvrir des filiales étrangères, il crée aussi des échappatoires fiscales pour attirer les flux de capitaux :

La logique était que le taux de change de la livre sterling devait être supporté par l’investissement étranger. Le principal résultat, cependant, était de favoriser fiscalement les grands investisseurs, par opposition aux propriétaires de maisons ou aux petits investisseurs qui ne mettaient pas en place de comptes à l’étranger. Un investisseur britannique peut mettre en place une société de façade dans ces enclaves et éviter de payer des impôts sur les gains en capital sur la vente de leurs terres, bâtiments, actions, obligations ou autre actifs. (traduction libre, Hudson dans Schaefer 2008).

Helleiner abonde dans le même sens lorsqu’elle met en évidence le rôle joué par les autorités britanniques dans la création des euromarchés : « Ils [les banquiers et les grandes sociétés de Bourse] pouvaient s’adonner à toutes les activités qui leur plaisaient à Londres en tant que joueurs extraterritoriaux et cette liberté jouissait du support tacite des autorités américaines » (traduction libre, Helleiner dans Underhill 1999, 43-46). Pour certains chercheurs, dont Webb (2004), le rôle des États occidentaux ne se limite pas au développement du marché des eurodevises et des CFE. L’auteur affirme que les administrations américaine et britannique supportaient l’idée selon laquelle les havres fiscaux jouaient un rôle dans la libéralisation des flux de capitaux, ce qui aurait plaidé en faveur de leur maintien (Webb 2004, 798). Selon l’auteur, les paradis fiscaux auraient bénéficié de l’appui des États occidentaux.

Ainsi, les pays de l’Ouest, avec en tête le Royaume-Uni et les États-Unis, ont favorisé le développement du marché des eurodevises. Par le fait même, ils ont permis celui des places extraterritoriales où les entreprises nationales établissaient des filiales, profitant de législations fiscales plus souples. Les pratiques des pays occidentaux ont contribué à encourager le développement des zones sous-réglementées que sont les CFE. Un lien peut être fait avec notre hypothèse, puisque c’est la recherche d’investissements étrangers qui a poussé le Royaume-Uni et les États-Unis à favoriser le développement des CFE. Dans la section qui suit, nous constatons que les pratiques des États-Unis en matière de respect du régime antiblanchiment se rapprochent de celles de certains centres extraterritoriaux.

2.2 Les États-Unis comparés aux centres financiers